Archives de catégorie : Textes

Understatement and the english soul

Ce texte a été publié précédemment il y a neuf ans.

Dans un article précédent consacré à P.G. Wodehouse, j’avais évoqué le caractère intraduisible de ce mot si britannique d’understatement. Certains anglophones scolaires pourront vous dire que understatement pourrait très bien se traduire par litote ou par euphémisme. Hé bien, ce n’est pas mon avis et je le prouve.

Commençons par George Mikes, auteur anglais d’origine hongroise qui, vers la fin des années 40, a traité de l’impossibilité pour un non-anglais (un alien) à devenir anglais dans un petit opuscule à l’humour très britannique, »How to be an alien ». Voici l’une des raisons de cette impossibilité:  « The English have no soul ; they have the understatement instead. »
(Je vais me permettre ici une incidente pour souligner que le vocable d’alien que les Grands Bretons utilisent volontiers pour nous désigner, nous les étrangers, fait inévitablement penser, depuis une trentaine d’années, à un être verdâtre, gluant et agressif, mais par dessus tout mal élevé qui met en évidence le peu d’estime Continuer la lecture de Understatement and the english soul

Gisèle ! (13)

(…) — Écoute moi bien, Toto ! dit Robert calmement en regardant Bernard dans les yeux. Ou bien tu me donnes mon fric, ou bien tu me files ta valise et tu vires de mon camion. C’est clair pour toi ?
— Mais vous n’avez p-pas le droit… En plein milieu du tu-tunnel, comme ça, dans le froid…
— Te plains pas, Toto ! Au moins, ici, y a pas de neige. Je pourrais te laisser du côté italien, tu sais, dehors, en pleine cambrousse. Doit pas y faire chaud en ce moment ! Alors, tu choisis ? On n’a pas des plombes…
— Mais je ne veux pas vous donner ma valise. Vous n’allez pas me la prendre d-de force, quand même ?
— On parie ?
— Et puis, je refuse de descendre ! C’est q-quand même pas croyable, ça, à la fin !
— Tu refuses ! Sans blague ? »

Brusquement, Robert s’est penché vers Bernard. De la main gauche, il a saisi la poignée de la petite Samsonite qui dormait entre les genoux de son passager et, passant devant son corps, de l’autre, il tâtonne à la recherche de la poignée de la portière droite. Bernard n’arrive pas à croire à ce qui lui arrive : coincé dans la cabine d’un 35 tonnes arrêté en plein tunnel entre la France et l’Italie, il lutte avec un chauffeur routier deux fois plus lourd que lui pour conserver sa valise et ne pas se faire jeter dehors. De ses deux mains, il tente de repousser Robert loin de lui en répétant d’un ton offusqué « mais enfin, mais enfin, mais enfin… » La portière est maintenant entr’ouverte et Bernard peut sentir dans son dos le froid de l’extérieur. S’il peut encore résister à la poussée de Robert, Continuer la lecture de Gisèle ! (13)

Rendez-vous à cinq heures en auto-stop (4)

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Langage des signes 

Voici la quatrième intervention de Bernard Schaefer dans le Journal des Coutheillas. Il nous y explique ce qu’a été pour lui l’auto-stop en tant qu’auto-stoppeur e§t d’auto-stoppé. Ensuite, vous pourrez découvrir une de ses expériences d’auto-stoppé. 

 L’autostop est aujourd’hui une pratique presqu’oubliée. Internet l’a remplacée presque totalement avec le recours à des sites de rapprochements qui permettent à des personnes de faire du covoiturage ou de l’autopartage. Ceux qui ont une voiture individuelle souhaitent généralement partager les frais d’un déplacement et/ou avoir de la compagnie pour un trajet plutôt long, prévisible à l’avance, parfois régulier.
Mais autrefois, l’autostop consistait à chercher à arrêter une voiture, pour se faire transporter gratuitement, le plus souvent par le geste du pouce levé, parfois en portant aussi une pancarte sur laquelle on avait écrit sa destination. Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures en auto-stop (4)

Gisèle ! (12)

(…) Le connard, je l’ai vu dans le rétro, y s’est mis à chasser dans tous les sens que c’en était marrant. Il a dû finir dans le décor, le mec… »
Robert se tait quelques instants. Il semble réfléchir, puis il ajoute en secouant la tête : « Y a quand même de sacrés brêles sur la route ! Vous trouvez pas ? »

…Robert est sympa, Robert est un chic type, Robert va m’emmener à Turin…Robert est sympa, Robert est un chic type…non ! Robert est un gros con, il a failli me faire tuer, Robert est un gros con, Gustave est un gros con, tous les routiers sont des gros cons, des tarés, des salopards…

« Vous trouvez pas ? répète le gros con.
— Si, bien sûr… les gens conduisent n’importe comment, les Mercedes surtout, répond docilement Bernard.
— Ah ! Vous voyez bien ! conclut Robert, satisfait »
Le silence s’établit dans la cabine. Quelques instants plus tard le camion franchit la barrière de péage et pénètre dans le tunnel. Aussitôt, la neige disparait et, après quelques grognements, les essuie-glaces s’immobilisent en bas du pare-brise.
Robert détend un peu sa ceinture de sécurité, se soulève de son fauteuil en se trémoussant, puis il se laisse retomber sur le siège, soupire un grand coup et allume une cigarette.
« Ouf ! On y est… Maintenant c’est tout bon, on est pépères… Quatorze kilomètres de tunnel… route sèche, bien éclairée, bien à l’abri, presque au chaud ! Et après, ça descend tout du long jusqu’à Turin… du gâteau ! Dites, j’y pense… C’est comment, votre nom ? Charly me l’a pas dit…
— Charly ? Je ne … Ah, oui, Gus… Charly, oui bien sûr… Charly…
— Alors, c’est comment, votre nom ? Moi, c’est Robert.
— Je m’appelle Gustave…, je veux dire Bernard… Bernard Ratinet.
— Et vous faites quoi dans la vie ? Continuer la lecture de Gisèle ! (12)

Histoire de Dashiell Stiller ? Je l’ai lu !

La première question qui vient à l’esprit quand on s’interroge sur un roman tel que cette Histoire de Dashiell Stiller est celle-ci : où son auteur se cache-t-il, dans quel personnage ?

Une analyse sommaire du roman pourrait mener à conclure que Stiller, c’est Coutheillas. Stiller est écrivain, Coutheillas voudrait l’être. Dashiell est encore jeune, Philippe pense qu’il l’est toujours… Ceux qui connaissent bien Coutheillas ont pu décliner ainsi les ressemblances avec le photographe américain, mais pour cela, il leur aura fallu patienter car, avant le dernier chapitre, le lecteur ne saura rien de Dashiell, sinon qu’il est tombé amoureux d’Isabelle par une douce fin d’après-midi Continuer la lecture de Histoire de Dashiell Stiller ? Je l’ai lu !

Gisèle ! (11)

(…) À bout de fatigue, étourdi par la tempête, abruti par les injonctions du routier, Bernard se conduit comme un parfait imbécile. Il ne sait plus où donner de la tête. Il avance, saisit la poignée de la portière du conducteur, la lâche comme si elle était brûlante, recule, part vers l’arrière du semi-remorque,  repart dans l’autre sens, laisse tomber sa valise, se penche pour la ramasser, glisse et tombe sur le dos, veut se relever trop vite, glisse et tombe à nouveau…  Tout d’abord subjugué par les contorsions de Bernard, Robert s’est tu un court instant. Mais maintenant, il explose :
« Non mais quel andouille ! Vous avez pas bientôt fini de faire le clown ? Je vais finir par vous planter là, moi. Ça va pas trainer !»
…si tu crois que c’est facile, Ducon !…

Bernard en a assez d’être moqué, bousculé, insulté. Ça ne peut plus durer ; il a décidé de l’appeler Ducon, ce gros plein de soupe de Robert, ce pauvre type, ce primaire mal embouché, ce primate, avec son métier à la con… Non mais sans blague… il ne va pas se laisser traiter comme ça sans rien dire… il faut qu’il réagisse… il va réagir…

« Si vous croyez que c’est facile, dit-il doucement en montant dans la cabine. Je fais ce que je peux, Monsieur Robert, je fais ce que je peux…
— Bon, ben grouillez-vous de mettre votre ceinture, répond Robert d’un ton un peu radouci. On a plus de cent bornes à faire et le temps a pas l’air de s’arranger. »

Le semi-remorque s’est engagé sur la voie d’accès à l’autoroute après quelques manœuvres effectuées avec concentration et adresse à grands renforts de rugissements de moteur. En trois gestes du majeur, Robert est passé en troisième vitesse et le moteur s’est calmé. C’est à présent une sorte de ronronnement puissant qui semble pousser le camion dans la côte. Apaisé par le silence et la maitrise de son chauffeur, réconforté par la chaleur qui règne dans l’habitacle, Bernard s’enfonce dans son siège et observe l’intérieur de la cabine. Sur sa gauche, Continuer la lecture de Gisèle ! (11)

Gisèle ! (10)

(…) Il y a longtemps que le propriétaire de Gisèle ne l’écoute plus. Il est reparti vers la table où ses deux compères l’accueillent avec des plaisanteries que Bernard n’entend pas. Ils éclatent de rire encore une fois puis se saluent en heurtant leurs poings fermés. Le bon Samaritain  se dirige vers la porte qui s’efface devant lui, amenant un grand courant d’air froid dans la cafétéria surchauffée. Les emballages de sandwiches s’envolent de la table de Gustave qui hurle « Robert ! La porte, nom de Dieu ! » et éclate de rire encore une fois. Sans se retourner, Robert lui fait un doigt d’honneur et disparaît dans un tourbillon de neige. Le vent s’est levé et maintenant, devant la vitrine, les flocons volent à l’horizontale.

Bernard s’agite. Il se soulève un peu de son fauteuil en s’appuyant péniblement sur les accoudoirs — douleur. Son pantalon encore humide se décolle de ses cuisses comme à regret. Aussitôt, un froid humide enveloppe son entre-jambe. La sensation est extrêmement désagréable. Il se lève, sa veste pèse sur ses épaules et sa chemise vient adhérer à sa poitrine. Sous le contact poisseux, il frissonne. Il essaie d’enfiler ses mocassins. Ils ont perdu une pointure et leur cuir ressemble à du carton froissé. Bernard passe une première manche de son manteau sans trop de difficulté mais, à la deuxième, son bras meurtri se rappelle à lui encore une fois — douleur… Le vêtement lui semble peser autant qu’une cotte de maille. Bernard a mal aux pieds, il a mal au bras, il est épuisé, trempé,  fiévreux. Pourtant il n’y pense plus. Tout ce qu’il sait c’est qu’il y a un camion qui l’attend, avec son routier sympa, son habitacle surchauffé, probablement son Thermos de café et, pourquoi pas même — il sait que beaucoup de semi-remorque en sont équipés — sa couchette accueillante à l’arrière de la cabine. Il a réussi à enfiler ses mocassins en écrasant Continuer la lecture de Gisèle ! (10)

Rendez-vous à cinq heures en auto-stop (3)

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Bernard Schaefer a beaucoup pratiqué l’auto-stop. Il nous fait part de quelques unes de ses expériences. En guise de troisième, voici la première :

27 janvier 1941

C’est très tôt que j’ai eu l’expérience de ce que l’on nomme aujourd’hui le covoiturage. A vrai dire, ce fut avant même ma naissance. En ce jour du 27 janvier 1941, il neigeait en Lorraine et plus particulièrement sur la ville de Metz. Aussi, les transports publics étaient-ils à l’arrêt : pas de bus ni de tramway avant que les chaussées soient déneigées ou sablées.

Or ma maman était sur le point de mettre au monde le bébé qui allait naître, à savoir moi. Il fallait l’emmener à la maternité de l’hôpital dès que possible. Mon futur papa n’avait pas encore Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures en auto-stop (3)

Rendez-vous à cinq heures à la pharmacie

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Numéro 048
par Lorenzo dell’Acqua

Canicule oblige, je portais alors une robe si légère qu’elle ne m’avait pas permis de garder mon soutien-gorge. A cinquante ans passés, l’indécence de cette frivolité ne risquait pas de provoquer un scandale. Jeune, j’avais été une Louise Brook blonde aux yeux verts fort courtisée qui conservait aujourd’hui de beaux restes arrondis par un léger embonpoint. Pharmacienne dans une station balnéaire agréable, je n’étais pas malheureuse mais, ce matin-là, ma tenue aguichante m’avait donné à la fois l’illusion d’être encore désirable et une nostalgie un peu volage.

Le chiffre qui s’affichait là-haut sur l’écran était identique à celui inscrit sur le petit papier blanc qu’il me tendait. C’était donc bien son tour.

— Numéro 048, merci de me montrer votre ordonnance Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures à la pharmacie

Gisèle ! (9)

(…) mais si Gisèle m’avait pas mis en retard… putain, Gisèle, tu fais chier !… si Gisèle m’avait pas mis en retard, je vous aurais doublé à toute allure en klaxonnant la Cucaracha et je serais passé bien avant l’avalanche ; et vous, dans votre cabine crasseuse pleine de paquets de cigarettes à moitié vides et d’emballages poisseux, vous m’auriez regardé filer vers l’Italie et le siège de Sauti-Casagrande SpA en écoutant à fond votre musique reggae à la con !…

Pendant que son manteau s’égoutte au sol, que ses mocassins commencent à se recroqueviller sur le radiateur et que Bernard maugrée toute sa rancœur contre la gent routière, les trois poids-lourds finissent par se calmer. Ils essuient leurs yeux avec des serviettes en papier, se mouchent dedans, poussent de grands soupirs de satisfaction en extrayant de la glacière trois nouvelles Kro. Ils restent silencieux quelques instants puis l’un d’eux, pas Gustave, un autre, frappe la table du plat de ses deux mains, se lève en poussant une sorte de hennissement. Puis, d’un air décidé, il se dirige vers Bernard.

…qu’est-ce qu’il me veut, celui-là ? j’espère qu’il m’a pas entendu tout à l’heure quand je… bon sang, il a l’air sacrément costaud…  j’espère que je l’ai pas mis en colère… mon Dieu, faites que je l’aie pas mis en colère ! faites que…

« Dites, c’est vous qui voulez être à Turin avant demain matin ?
— Euh… oui… pourquoi ? répond Bernard, sur la réserve.
— Parce que j’y vais, moi, à Turin. Je pars dans dix minutes avec Gisèle. Si vous voulez que…
— Avec Gisèle ? Continuer la lecture de Gisèle ! (9)