Archives de catégorie : Textes

ETUDE DES COMPORTEMENTS DANS LES MUSÉES

par Lorenzo dell’Acqua

Mon cheminement dans les musées est aussi incohérent que celui de l’Homme des foules d’Edgar Poe. La seule logique qui me guide est de faire une photo originale comportant une analogie entre le visiteur et la Peinture qu’il regarde. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette éventualité est fréquente mais personne ne s’en aperçoit et c’est logique : à part moi, tous les autres visiteurs viennent voir les peintures et non les visiteurs.

Aller au musée me permet de joindre l’utile à l’agréable. Lors d’une visite d’une heure et demie au Louvre, je parcours environ quatre kilomètres à pied. Je vais donc au musée comme d’autres vont à la gym. J’ai aussi la chance d’être le seul à savoir que dans les musées, il fait chaud en hiver et frais en été, il ne pleut jamais, les femmes sont pleines de charme, tous les visiteurs sont polis et contents d’être là. En 2024, j’y suis allé 125 fois, soit un jour sur trois et même un jour sur deux si l’on exclut les trois mois de l’année que je ne passe pas à Paris. La raison de cette fréquentation plus qu’assidue est l’espoir de faire un livre avec mes photos.

A force de les suivre et de les dévisager de dos, Continuer la lecture de ETUDE DES COMPORTEMENTS DANS LES MUSÉES

Go West ! (80)

(…)Rafraichi et reposé, vêtu de vêtements propres, rassasié de café, j’ai allumé une cigarette et j’ai entrepris d’inspecter la maison de Mansi. J’ai commencé par le placard où elle avait rangé mon sac. Il était toujours là, sous mon éternelle veste en daim, pendue à un cintre. Dans le sac, j’ai retrouvé toutes mes affaires, mes vêtements, mon revolver, mes cartouches, le dictaphone et même mon passeport. Rassuré sur ce point, j’ai poursuivi mon exploration.

Dans le placard d’à côté, les vêtements d’homme qui m’avaient perturbé la veille étaient toujours là. Quelques sobres chemises, bleu ciel ou blanches, deux T-shirts kaki, une tenue militaire de couleur beige, complète, pantalon, veste et calot, plus un treillis et un blouson de combat en toile camouflée, le tout impeccablement propre, sur cintres en fil de fer et sous housses en papier léger à la marque d’une blanchisserie de Barstow. Je remarquai quelques vêtements civils, un blouson léger rutilant en rayonne rouge marqué aux armes argentées d’une équipe de bowling de Junction City, et une veste en daim à frange comme on en trouve dans les boutiques d’artisanat indien en Arizona. Debout côte à côte dans un coin du placard, il y avait aussi deux de ces gros sacs cylindriques militaires en épaisse toile kaki et, sur un des deux sacs, un képi à galon doré et, à côté, un étui pour deux boules de bowling et une petite malle métallique noire fermée par Continuer la lecture de Go West ! (80)

Descartes, Socrate, Coluche, le Bon Sens et Moi (2/2)

« Le bon sens, tout le monde en a ! »
Sagesse populaire – Op.Cit.

Dans notre précédent article, si opportunément intitulé Descartes, Socrate, Coluche, le Bon Sens et moi (1/2), nous avions vu que cette affirmation selon laquelle tout le monde serait suffisamment pourvu de bon sens est une de ces âneries que la sagesse populaire répand impunément depuis des siècles. Pour notre part, nous avions conclu que « certaines personnes peuvent être grandement ou totalement dépourvues de bon sens tout en clamant par les chemins qu’elles en ont bien assez ».

Mais nous avions négligé un point important, et c’est celui de la définition du bon sens. Pas facile de définir ce truc si bien partagé. On pourrait tenter de contourner la difficulté avec une pirouette de ce genre : « Le bon sens, c’est comme le charme : on en a ou en n’a pas. » Mais, comme on peut dire exactement la même chose du talent, de l’oreille absolue, de la recette de la mayonnaise ou du sens de l’humour, on voit bien que cette élégante sentence, d’apparence spirituelle et définitive, et qui présente en plus l’avantage d’être concise, ne résout rien du tout. Elle me fait penser à ce père déficient qui, à toutes les questions existentielles que lui pose son fils de huit ans, répond invariablement « parce que c’est comme ça !». On sait qu’un tel procédé n’est pas le genre de la maison et qu’ici, on n’évite pas les sujets difficiles en sortant je ne sais quelle gaudriole.
Essayons donc quelques définitions, glanées ici et/ou là, selon lesquelles le bon sens, c’est : Continuer la lecture de Descartes, Socrate, Coluche, le Bon Sens et Moi (2/2)

Au revoir, l’Amérique…

Oui, je sais, ce titre est un peu pompeux, emphatique même. Et encore, je n’ai pas dit « Adieu… »! J’aimerais tant donner dans l’understatement ; ce serait tellement plus drôle, tellement plus élégant. Mais comment garder une « upper lip stiff » quand une bonne partie de ce sur quoi vous vous êtes construit s’effondre sous la poussée de ce que vous avez toujours considéré comme le pire de la nature humaine.

Bien sûr, cet effondrement n’est pas vraiment une surprise quand, depuis Continuer la lecture de Au revoir, l’Amérique…

Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stiller ?

Des écrivains vous répondent…

27 juin 2023 (probablement). Quelque part, mais où… ?

C’était en novembre, peut-être à Paris, peut-être ailleurs… Vichy, Vienne, Valparaiso… je ne sais plus. Comme tous les jours à cette saison imprécise, il y avait du brouillard, partout du brouillard, du brouillard dans la rue, du brouillard dans l’escalier, du brouillard dans ma tête. Je l’ai cherchée longtemps dans la bibliothèque de mon père, cette Histoire de Dashiell Stiller dont je crois me souvenir qu’il m’avait dit le plus grand bien. Mais était-ce mon père ? Était-ce bien mon père qui m’avait dit cela ou bien était-ce ce marchand de cravates de la rue des boutiques occultes ? Ou bien encore cet ami de jeunesse perdue, Francis ? Francis… que j’aurais pu connaitre, mais qui est mort avant… enfin, je crois…
Je ne sais pas, je ne sais plus…
De toute façon, je ne l’ai pas trouvé, le bouquin ! Alors arrêtez de m’emmerder avec cette Histoire de Dashiell Stiller ! Compris ?

Patrick Medrano, amnésique Continuer la lecture de Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stiller ?

Go West ! (79)

(…) Une autre fois, je plane ; littéralement, je plane ; comme un vautour ; je suis un vautour ; je vole lentement en larges cercles au-dessus de la table basse ; ma vision de vautour est perçante et je distingue parfaitement les détails de la pièce, la table, les chaises, les tapis, le poste de télévision et, dispersés au milieu du désordre, des corps à moitié nus, enchevêtrés, emmêlés sur le canapé, sur la table, sur le sol, des corps qui remuent lentement comme un nœud de serpents et parmi lesquels, je le reconnais au peignoir jaune qui l’embarrasse, il y a le mien.

Et puis, j’ai eu une vision. Insérée quelque part au milieu des images incohérentes et irrationnelles qui me sont restées en mémoire et de celles qui n’ont pas laissé de trace, j’ai eu une vision très précise. Une vision… je n’aime pas cette idée. Je n’avais pas cru un instant à la vision de Mansi. J’avais mis son récit sur le compte d’une idéalisation ou plutôt d’une rationalisation de son coup de foudre pour Bo. Que l’on puisse avoir une prémonition aussi précise, une vision aussi nette d’un instant à venir était en pleine contradiction avec mes certitudes rationnelles. S’il était possible à qui que ce soit d’avoir une vision de l’avenir, le sien ou celui d’un autre, cela voudrait dire que le futur existe déjà quelque part et qu’il est possible d’y avoir accès, et cela, je me refuse à y croire.

Malgré tout, malgré Continuer la lecture de Go West ! (79)

Automne indien

par MarieClaire

Il fait très chaud. Après un mois de septembre pluvieux, l’automne s’est fait radieux.
Dehors, sur la terrasse, deux chaises longues attendent leurs occupants. Le tourniquet diffuse une fine pluie sur la pelouse et elle aimerait profiter de sa fraicheur, mais il a décidé de monter la bibliothèque. Les cartons la contenant encombrent le garage depuis des semaines !
– Déballe les montants pendant que je prends les mesures, dit-il.
Elle s’exécute avec mollesse et maudit cette maison qui depuis des mois lui gâche tous ses dimanches.
– On aurait dû choisir un jour de pluie pour faire ça. Il fait si beau…Ne fais pas les trous avant d’être sûr des mesures.
Elle frémit à l’idée de voir percer Continuer la lecture de Automne indien

Descartes, Socrate, Coluche, le Bon Sens et moi (1/2)

Beaucoup de gens pensent que le bon sens est suffisant pour bien mener sa barque. Ces gens-là disent « A quoi bon l’histoire, la littérature, les maths, la philosophie, la culture en général, à quoi bon l’intelligence même du moment qu’on a du bon sens ? Et le bon sens tout le monde en a ! » Pour le prouver, inévitablement, ils vous ressortent cette antienne “Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée“.
Et avec ça, ils sont contents, les gens ; ils disent « Alors ! Vous voyez bien ! Le peuple a du bon sens, même qu’il est très bien partagé, le bon sens, et même que c’est Descartes qui l’a dit, et Descartes, c’est pas la moitié d’un imbécile. » (Eh oui, c’est comme ça qu’ils s’expriment, les gens !)

Et moi, je dis d’accord : Descartes (1596-1650) n’était pas la moitié d’un imbécile. Et j’ajoute : mais ce qui est totalement idiot, c’est de ne pas citer Descartes complètement. Voyons voir : dans le Discours de la Méthode, perché qu’il était sur son poêle, le bon vieux René avait dit : « Le bon sens est Continuer la lecture de Descartes, Socrate, Coluche, le Bon Sens et moi (1/2)

Go West ! (78)

(…)Et le dictaphone ? Ah ! Le dictaphone ? Eh bien, mais… ça venait d’une pièce de théâtre… de Steinbeck, oui c’est ça, de Steinbeck, Mort d’un Lion de Montagne ; quand j’étais à Flagstaff, j’avais rencontré une fille qui devait jouer la pièce avec une troupe amateur ; j’avais enregistré le monologue pour aider la fille à l’apprendre ; comme elle admirait Marylin, elle essayait de jouer comme elle ; pas plus compliqué que ça !
Voilà ce que j’allais raconter à Mansi et Fran et tout le monde serait content. On pourrait continuer à fumer, à boire et à faire la fête. Mais encore une fois, ça ne s’est pas passé comme ça. Pas du tout comme ça…

Ça ne s’est pas passé comme ça parce que, au moment où je commençais à raconter le vol du pick-up, Bob et Brenda sont entrés dans la chambre. Bob a allumé la lumière et pris un temps pour contempler le tableau que nous formions, Fran et Mansi, assises sur le lit côte à côte, adossées au mur et le drap du dessus remonté jusqu’aux épaules, et moi, assis de biais au bout du lit, toujours vêtu de mon peignoir trop grand. Brenda avait posé sur ses épaules la grande chemise à carreaux que Bob portait hier soir en arrivant. Lui, il avait noué une serviette de bain autour de sa taille.
Bob a dit que nous n’avions Continuer la lecture de Go West ! (78)

Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stilller ?

Des écrivains vous répondent…

July 20 2010, 815 5th avenue, Manhattan, NYC

La première fois que j’ai rencontré Dashiell Stiller, c’était en 1952, à Brooklyn. J’avais alors 17 ans et lui ne devait pas être loin de la quarantaine. Il se trouve que mon ami Spats Levinski devait installer l’air conditionné chez Stiller mais qu’il devait le même jour aller à Colombus pour jouer du banjo dans la bar-mitzvah du fils du neveu de sa grand-tante, Shoshana. Comme la prestation d’artiste payait 2 dollars 50 de plus que celle de plombier, Spats m’avait demandé de le remplacer chez son client. Levinski et moi nous avions le même âge et je l’admirais beaucoup pour tout un tas de raison. La première c’était qu’il affirmait coucher une fois par semaine avec Madame Jakubowski, la femme du boucher de Franklin street. Mais la raison la plus motivante, c’est qu’il faisait de la boxe française et qu’il savait comment vous envoyer de ces coups de savates inoubliables dans les parties sensibles. Je ne pouvais donc rien lui refuser. C’est pourquoi, en cette très chaude matinée de juillet de 1952, vers les 9 heures, je sonnais à la porte de l’appartement 2C du 250 Furman Street. Stiller m’accueillit très aimablement mais sortit aussitôt de l’appartement en me remettant la somme convenue entre les mains et en me disant qu’il devait se rendre illico à Manhattan d’où il ne rentrerait pas avant le soir. Je lui répondis que pour moi c’était « OK, boss ».

C’est à cet échange que s’est réduit mon premier contact avec celui qui devait devenir l’écrivain que Continuer la lecture de Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stilller ?