Au revoir, l’Amérique…

Oui, je sais, ce titre est un peu pompeux, emphatique même. Et encore, je n’ai pas dit « Adieu… »! J’aimerais tant donner dans l’understatement ; ce serait tellement plus drôle, tellement plus élégant. Mais comment garder une « upper lip stiff » quand une bonne partie de ce sur quoi vous vous êtes construit s’effondre sous la poussée de ce que vous avez toujours considéré comme le pire de la nature humaine.

Bien sûr, cet effondrement n’est pas vraiment une surprise quand, depuis décembre 2016, c’est-à-dire depuis la première élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis d’Amérique, et jusqu’à ce jour, j’ai écrit plusieurs dizaines d’articles sur Donald Trump, ses amis, ses complices, son GOP, ses chances d’être réélu, et toute cette sorte de choses.

De plus, il pourrait y avoir une certaine satisfaction intellectuelle quand, quinze jours après l’élection de novembre 2024, deux mois avant la prise de fonction officielle, on a signé un article dont le titre était « Naissance d’une dictature » et qu’on voit se réaliser, plus rapidement qu’on ne le pensait possible, ce que l’on craignait qu’il arrive.

Mais on en n’est plus au stade où Cassandre est contente d’être Cassandre, surtout lorsque l’on constate, sans réelle surprise, que comme Cassandre, on est condamné à ne pas être cru. Se réjouir de façon mesquine d’avoir eu raison ne serait pas à la hauteur des bouleversements qui s’annoncent et se précisent chaque jour davantage.

Ce qui compte aujourd’hui, c’est qu’à l’intérieur, la dictature est née, elle est en marche, celle qui commence par le népotisme, l’oligarchie, la censure, la chasse aux mauvais esprits, aux mauvais juges, aux mauvais fonctionnaires, aux mauvais étrangers, la rancune, la vengeance, l’intimidation — bref, la dictature — et qui finit mal.

A l’extérieur, le tableau n’est pas plus réjouissant. Je l’ai dressé à de nombreuses reprises tel que je le vois de ma fenêtre : l’amitié virile avec tout ce que le monde compte de dictateurs, autocrates et ploutocrates, la faiblesse avec les forts, la force avec les faibles, l’expansionnisme décomplexé, la recherche de l’espace vital (le Lebensraum de sinistre mémoire), le chantage, la volte-face, la trahison, bref l’impérialisme territorial et mercantile, la loi du plus fort, celle de la jungle.
Rien de nouveau sous le soleil ; on a déjà vu ça il n’y a pas si longtemps.

Mais, assez ! Basta cosi !

Ces deux interjections n’entendent pas initier une réaction contre cette dictature naissante ni cet impérialisme assumé.
Pour ce qui est de la dictature, je pense que personne, moi compris, n’arrivera à faire sortir les Démocrates de leur stupeur et de leurs divisions avant bien longtemps.
Pour ce qui est de ce nouvel impérialisme, l’indéniable solution pour nous et, avec nous, pour l’Europe est de s’affranchir de la tutelle et de la protection américaines. Mais pour cela, il faudra faire un effort. Tout le monde la connait, cette solution, même ceux qui refusent de l’admettre, même les Socialistes qui continueront, c’est leur habitude, à réclamer des avancées sociales qu’ils savent utopiques pour ne pas se faire jeter par leur électorat, même les Syndicats qui persisteront à bloquer la France pour obtenir encore plus d’avantages quand l’heure n’est plus au confort mais à l’effort.

Non, en l’occurrence, les deux interjections que j’ai lancées quelques lignes plus haut ne s’adressent qu’à ma propre personne. Elles me disent : tous tes articles sur Trump, les USA et leur dérive, ça suffit comme ça. Eh bien, soit !

Des articles sur Trump et son train, il n’y en aura plus !

Pour un certain temps, du moins …
Car il ne faut jurer de rien, n’est-ce pas ?

Alors je dis au revoir à l’Amérique. Au revoir à cette Amérique sur laquelle la moitié de ma génération, et moi, et bien d’autres encore, se sont partiellement construits, l’Amérique de la conquête de l’Ouest, celle de la Nouvelle Frontière et celle de la Conquête de l’Espace, l’Amérique de Steinbeck et de James Dean, de Salinger et de Kennedy, de Gene Kelly et de Stanley Kubrick, de Louis Armstrong et Sammy Davis Jr, de la Ford Mustang et de Kissinger, de Bob Woodward et de Carl Bernstein, de Leonard Bernstein et de Raymond Chandler, de Jack Lemon et de Tom Wolfe, de Douglas Fairbanks et de John Mc Enroe, de Leonardo de Caprio et de Ronald McDonald, de Norman Rockwell et de Jackson Pollock, de Happy Days et de La Mort d’un Commis Voyageur, de Francis Ford Coppola et de Buster Keaton, l’Amérique de la Cinquième avenue et du Grand Canyon, de Frank Kapra et de Tennessee Williams, de James Stewart et de Harry Belafonte, de Judy Garland et de Dolly Parton, de Mark Spitz et de Richard Feynman, de Dustin Hoffman et d’Alfred Hitchcock, de Cary Grant, Mark Twain, Marlon Brando, Duke Ellington, Mohamed Ali, Philip Roth, Frank Lloyd Wright, Katharine Hepburn, Audrey Hepburn, Rothko, Tom Hanks, Paul Auster, John Ford, John Irving, Marylin Monroe, John Doe…
Au revoir à cette Amérique qui vient de renoncer par un vote populaire à tout ce qui faisait que nous la regardions avec agacement, envie, amitié et admiration, au revoir à ce Dr Jekyll qui a démocratiquement choisi de céder la place à Mr Hyde…

Alors, en attendant qu’elle redevienne elle-même, je dis « Au revoir, l’Amérique… »

Enlightning the world ? No more…

6 réflexions sur « Au revoir, l’Amérique… »

  1. Je précise, suite à mon commentaire précédent, que c’est bien à l’Amérique que je dis adieu, elle ne me fait plus rêvée, ma fascination est terminée, mais ce n’est pas un adieu envers mes nombreux amis et proches américains qui, comme beaucoup d’autres américains, de plus en plus nombreux, sont tout aussi écœurés que moi par ce que leur pays est en voie de devenir.

  2. Ce n’est pas qu’un au revoir que j’envoie aujourd’hui à l’Amérique, c’est carrément un adieu, même si j’hésite encore en écrivant ces lignes. Une dictature est née là-bas avec Trump et ses sbires, je pense qu’elle ne manquera pas de s’effondrer à la vue des derniers événements qui démontrent la crasse de cette administration idéologue, inculte, brutale, inexpérimentée, égocentrique, et je ne sais pas quoi encore. L’Amérique de mes héros d’origine, parmi eux Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln, Martin Luther King, est morte, et bien morte. Celle née en 1945, avec un Franklin Roosevelt qui s’était amouraché de Joseph Stalin après deux premières brèves rencontres à Casablanca et Téhéran, et qui lors de leur rendez-vous final à Yalta céda à tous les désirs de son nouveau pote, laissant tomber rigolard son allié le courageux et persévérant Winston Churchill, cette Amérique là démontra qu’elle ne voulait plus s’encombrer d’alliés, surtout européens, mais de vassaux contrôlables â merci. Elle accepta toutefois l’indiscipline de l’un d’eux doué d’une force de caractère, la France du Général de Gaulle, mais aussi par une indéniable obligation de reconnaissance de l’aide déterminante apportée à sa naissance en 1781. Cette Amérique a depuis évoluée cahin-caha vers le despotisme et maintenant vers une dictature réelle dont la manifestation essentielle est la subordination du pouvoir juridique, la sacro-sainte Law ciment de la démocratie américaine d’antan, au pouvoir présidentiel. Moi non plus, comme Philippe je tenterai de ne plus en parler, mais cette nouvelle dictature, si dangereuse pour nous autres européens, a par ailleurs des mésaventure si cocasses qu’il sera difficile de ne pas s’en moquer.

    PS: je conseille la lecture de l’excellent livre de Nicole Bacharan, historienne et politologue spécialiste des EUA, souvent présente à la télé et pour cause: « Les grands jours qui ont changé l’Amerique », paru en 2021

  3. J’ajoute, comme un codicille, que je n’ai jamais partagé l’attirance de Philippe pour les Etats-Unis. Héritage paternel ou fruit de mes trop brèves visites à New-York ou Fort Lauderdale, au cours desquelles j’ai profondément ressenti cette absence de préoccupations communes. Mais je comprends à la fois son enthousiasme et sa douleur.

  4. De retour d’un voyage d’affaires aux Etats-Unis, en 1960, mon père avait rapporté pour chacun de ses neuf enfants des objets que l’on n’appelait pas encore gadgets de ce côté-ci de l’Atlantique. J’avais ainsi hérité d’une série de mini stylos à bille de toutes les couleurs qui s’encastraient l’un dans l’autre pour en former un maxi. Devant nos yeux ébahis, il avait vanté le dynamisme de cette nation, sa créativité, son avance en toutes choses. Et puis il avait terminé son dythirambe par ces mots : « Mais ils ne vénèrent que l’argent : ils nous trahiront ». Je n’ai jamais compris pourquoi mon père était anti-gaulliste !

  5. Et puis comme ça, on va pouvoir reparler un peu d’Anne Hidalgo, pas vrai ?

  6. Ouais ! C’est ça ! Adieu à cette Amérique-là et bonjour à l’Autre, celle dont on dit qu’elle a toujours été là, mais cachée, ignorée, méprisée, humiliée même, celle qui surgit aujourd’hui en pleine lumière, furieuse et triomphante, intolérante et ignorante, grégaire et idolâtre, remplie de certitudes, avide de vengeance…
    Eh bien, bonjour à toi, Elon, le bouffon du roi, et à toi aussi, J.D., le Mosca de Trump-Volpone, et à toi aussi le Donald, Dionysos parvenu, avec ta sarabande de Ménades excitées par l’odeur du musc et du fric, et à vous aussi, là, les G.O.P. de Panurge, serviles courtisans, rassemblés en un seul troupeau resserré par la peur du berger et de ses chiens.
    Vous tous, là, oui, vous l’avez, le bonjour d’Alfred !

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