(…) et puis cette chaleur humide, cette ambiance confinée, ce vase clos, étanche, presque insonorisé, qui donnait l’impression apaisante et libératrice que rien de l’extérieur ne pouvait vous y atteindre, que rien de ce qui pouvait s’y passer ne pouvait avoir de conséquence ; enfin l’alcool et les mets épicés et la chaleur intérieure qu’ils prodiguaient, dispensatrice de confiance. J’étais différent et, pour le moment au moins, j’étais prêt à tout, ou presque.
Tout le monde faisait face au poste de télévision. Bob et moi nous étions assis d’autorité sur le canapé et les filles s’étaient installées par terre, adossées au siège, Fran entre les jambes de Bob, Mansi entre les miennes et Brenda entre Fran et Mansi.
Sur l’écran gris bleu, confiné dans son local laissé comme il se doit sous la surveillance d’un bidasse somnolent, le bloc de glace dans lequel la « Chose d’un autre monde » était enchâssée fondait goutte après goutte sur fond de musique angoissante. Tout le monde et Brenda se doutaient qu’une fois libérée de sa gangue translucide, la silhouette humanoïde et colossale de la « Chose » allait causer bien des soucis à la petite équipe militaro-scientifique qui l’avait extraite de la banquise. De trois quarts arrière, je regardais la grande bringue. Tendue, légèrement penchée en avant, entièrement immergée dans l’action du film, elle ne cessait de mordre ses ongles artificiels que pour tirer sur son joint ou pour boire une lampée de vodka. De temps en temps, elle émettait une plainte du genre « Aïe, aïe, aïe ! Mais y voit pas que ça fond, l’autre andouille ! ». Alors Bob et moi tentions une plaisanterie, une remarque ironique sur la naïveté du suspense. Fran ne disait rien. La nuque posée sur l’aine de Bob, les yeux au ciel, elle regardait monter vers le plafond les volutes de fumée qu’elle laissait s’échapper de sa bouche. Moi, je commençais à m’habituer à l’âpreté du joint. Après avoir toussé deux ou trois fois en faisant semblant d’avoir avalé ma bière de travers, je m’étais essuyé les yeux, je m’étais enfoncé en peu plus dans le canapé, j’avais posé mes mains autour du cou de Mansi et, de mes deux pouces, j’avais commencé à lui masser la nuque, doucement, presque distraitement, à mille milles marins au nord de sa petite tache de naissance en forme d’Australie. Je me sentais drôlement bien. Continuer la lecture de Go West ! (75) →