Archives de catégorie : Citations & Morceaux choisis

Saniette

Saniette est un personnage tout à fait secondaire de la Recherche du Temps Perdu. Ancien archiviste, émotif, timoré, il sert de souffre-douleur à M. Verdurin. Il est cependant pour moi l’un des moins méchants et des plus attachants. 

(…) les mêmes défauts s’étaient au contraire exagérés chez Saniette, au fur et à mesure qu’il cherchait à s’en corriger. Sentant qu’il ennuyait souvent, qu’on ne l’écoutait pas, au lieu de ralentir alors, comme l’eût fait Cottard, de forcer l’attention par l’air d’autorité, non seulement il tâchait, par un ton badin, de se faire pardonner le tour trop sérieux de sa conversation, mais pressait son débit, déblayait, usait d’abréviations pour paraître moins long, plus familier avec les choses dont il parlait, et parvenait seulement, en les rendant inintelligibles, à sembler interminable. Son assurance n’était pas comme celle de Cottard qui glaçait ses malades, lesquels aux gens qui vantaient son aménité dans le monde répondaient: «Ce n’est plus le même homme quand il vous reçoit dans son cabinet, vous dans la lumière, lui à contre-jour et les yeux perçants.» Elle n’imposait pas, on sentait qu’elle cachait trop de timidité, qu’un rien suffirait à la mettre en fuite. Saniette, à qui ses amis avaient toujours dit Continuer la lecture de Saniette

La libération de Paris vue par Georges Cambremer

Le 25 aout 1944, il y a quatre-vingts ans, Paris était libéré de l’occupation allemande. Pour commémorer cet anniversaire, voici, recueilli par deux journalistes de Combat quatre années après la Libération, le témoignage de Georges Cambremer, personnage à facettes de « Histoire de Dashiell Stiller ». Vichyssois de la première heure, résistant par opportunité, ambitieux par éducation, ministre menacé, ambigu par nécessité, il raconte avec une modestie de bon aloi sa nuit du 24 août 1944 et la journée qui a suivi qui l’ont officiellement rangé du bon côté de la barrière. 

(…) Les informations que nous recevions sur les plans des alliés étaient vagues, imprécises. On ne savait pas quand ils allaient arriver à Paris ni même s’ils n’allaient pas contourner la ville. Ce sont les communistes, les Francs-Tireurs, qui ont déclenché l’insurrection, le 19 août, un peu trop tôt sans doute, on le sait aujourd’hui. Mais ce qui était fait était fait. Il n’était plus possible de revenir en arrière. Rue de l’Abbé de l’Épée, on s’est décidé à lancer aussi l’ordre d’insurrection générale. La suite, on la connait : l’occupation de la Préfecture de Police et de l’Hôtel de Ville, la Wehrmacht prise au dépourvu qui se ressaisit vite et qui tire au canon sur la Préfecture, la situation désespérée des assiégés, et puis l’entrée de Leclerc dans Paris, la capitulation de Von Choltitz, l’arrivée de De Gaulle, son formidable discours du 25 Aout, et toute la suite…

Combat : C’est effectivement encore dans toutes les mémoires, Monsieur le Ministre. Mais ce que nos lecteurs ne savent pas c’est quel a été votre rôle pendant ces évènements. Pouvez-vous nous en parler ? Continuer la lecture de La libération de Paris vue par Georges Cambremer

LES DISPARUS DE LA RUE DE RENNES (Extrait)

Chapitre 2 – La charge de la preuve.

Où l’on découvrira que prouver un manque n’est pas chose facile et qu’éprouver un manque, non plus.

C’est donc le 17 février 2023 vers 10 h 30 que notre préposé à la vérification des plaques de rue se rendit en toute hâte sur les lieux, muni de son appareil nippon tout neuf et de son certificat tout frais d’aptitude à la prise de vue numérique.

En arrivant en vue de l’église Saint-Germain des Prés, vint à l’esprit curieux de Ratinet la question suivante : « Comment fait-on pour photographier une rue qui a disparu ? ». Son esprit cartésien résista un temps à passer du particulier au général, mais il fallait bien qu’il cédât. Il céda et passa à « Comment fait-on pour photographier quelque chose qui n’est pas là ? », puis, plus général encore, à « Comment prouve-t-on l’absence d’une chose ? » et enfin à son inévitable universalisation : « Comment prouve-t-on qu’une chose n’existe pas ? ». La tête commençait à lui tourner un peu et la pluie à tomber beaucoup. Trempé, il rentra chez lui et prit le reste de sa journée pour sécher et réfléchir à l’abîme philosophique qui s’était dressé devant lui, car quand un abîme se dresse devant vous, ça fait peur.

Avec le bon sens dont nous avons été témoins plus haut, son épouse lui donna ce double conseil :

— Enlève tes chaussures, sans ça tu vas me saloper toute la moquette, et retourne là-bas dès que tu pourras pour Continuer la lecture de LES DISPARUS DE LA RUE DE RENNES (Extrait)

GUILLAUME N’AIME PAS L’AVION (Extrait)

 Doung ! La compagnie Delta Airlines vous souhaite la bienvenue à bord de ce Boeing 777 à destination de Paris-Orly. Nous atteindrons notre destination dans sept heures et trente minutes. Le temps sera calme sur l’ensemble du parcours avec un risque de turbulences une heure avant l’arrivée. Vous pouvez dès à présent détacher votre ceinture de sécurité. Un diner vous sera servi dans quelques instants. Le personnel de bord est à votre disposition pour…

Dès le début de l’annonce, les hôtesses avaient commencé à s’agiter, fermant les rideaux qui séparent la classe Business du reste de l’avion, sortant les apéritifs et s’enquérant du confort des passagers. Ce tranquille va et vient du personnel de bord, ces légers bruits de vaisselle, ces murmures polis et familiers, tout cela finissait de rassurer Guillaume. Il avait commencé à se sentir un peu mieux dès qu’il avait perçu en même temps que la décélération du Boeing le bruit de ses deux réacteurs qui passait du stade « hurlement rageur » de la phase de montée à celui de « calme vrombissement » de la vitesse de croisière. Mais le début du service de cabine achevait toujours de le convaincre que tout allait bien, car si on servait le champagne, c’était bien la preuve qu’il n’y avait plus de danger.

Guillaume n’aime pas l’avion. Malgré ses centaines de décollages et d’atterrissages et bien qu’aucun incident ne se soit jamais produit sur aucun de ses vols, il n’aime pas l’avion. Il n’aime pas cette idée d’être enfermé dans un gigantesque tube en même temps que trois cents autres personnes assises sur une énorme citerne de produit hautement inflammable. Il n’aime pas cette idée de n’être qu’un pantin impuissant aux ordres d’un équipage qui, en cas de problème, ne fera que lui déguiser la vérité, par exemple celle que l’avion va immanquablement se casser la figure.

Non, Guillaume n’aime pas l’avion. Compte tenu de son métier, c’est plutôt contrariant. Guillaume travaille

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Faut-il ne pas brusquer l’intolérance ?

Morceau choisi (publié une première fois en mars 2017)

(…) C’est pourquoi on ne doit pas transiger avec l’injustice, ni se mettre en position d’attente devant le mensonge, ni faire des concessions à la violence ni sa part à l’intolérance. L’intolérance, par définition, ne compte pas sur des arguments, des « échanges d’idées » avec ses adversaires pour s’imposer, mais sur des positions de force, les seules sur lesquelles elle puisse s’appuyer et qu’elle puisse élargir. S’imaginer que si on évite de la brusquer elle va s’apaiser d’elle-même, c’est s’incliner devant un besoin d’expansion par définition insatiable puisque non fondé en droit ni en raison. Cette naïve tactique est un suicide : les préjugés ne sont jamais reconnaissants. 

J-F Revel, 1960

BLIND DINNER (Extrait)

Ça fait longtemps que je trouve très agaçante cette manie de Renée d’avoir régulièrement chez elle à diner des gens qui ne se connaissent pas. Pourtant, même après toutes ces années, Anne et moi, on n’arrive pas à refuser ses invitations et, deux ou trois fois par an, voilà qu’on se retrouve vers huit heures et demi du soir dans son appartement de la Place des Vosges en compagnie de parfaits inconnus.
Toute la journée, la perspective du diner de ce soir m’avait mis de mauvaise humeur. Quant à Anne, depuis quelques jours, je l’avais trouvée plus maussade que d’habitude sans arriver à en trouver la raison. Y en avait-il seulement une, de raison ? Enfin… les femmes…
Nous roulions en silence Continuer la lecture de BLIND DINNER (Extrait)

CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES (Extrait)

DEUXIÈME CIRCONSTANCE

Sur la terrasse du vingt-cinquième étage de ce grand hôtel, ça fait plus de dix minutes qu’il me tient par le revers, ce type. Mais de quel droit, je vous prie? Ce n’est pas parce qu’on est dans un cocktail et qu’on porte une étiquette au veston qu’il faut se croire le droit de m’adresser la parole comme ça, sans être présenté. Je danse d’un pied sur l’autre en essayant de repérer quelqu’un de connaissance pour pouvoir fuir ce raseur. Rien, personne. Encore, s’il me parlait de moi ! Mais non, il ne parle que de lui. Banalités et lieux communs s’enchaînent les uns aux autres. Et tout ça sur lui, sur sa femme, son beau-frère, son cheval… À un moment, il prononce l’inévitable bêtise, la fadaise exemplaire, l’ineptie majeure, celle que Continuer la lecture de CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES (Extrait)

SÉRIE NOIRE (Extrait)

Si vous n’êtes jamais allé dans le Bronx, continuez comme ça. Mais si un jour, par un effet pervers de travaux routiers, vous deviez traverser ce quartier de New York pour rentrer de JFK à Manhattan, renfoncez-vous au fond de votre taxi, ouvrez en grand le New York Times, plongez-y votre nez et ne regardez pas dehors. Mais si par malheur vous deviez absolument vous y rendre et que vous passiez du côté du carrefour Brook / 148ème, vous avez des chances de m’y rencontrer. Je traîne tous les jours dans le coin, vers chez Matt, plus précisément devant ou à l’intérieur du « Matt’s cocktail lounge ». Si jamais vous entriez au Matt’s cocktail Lounge, vous pourriez être surpris par le décalage abyssal qui existe entre le standing du lieu et son appellation de « cocktail lounge ». L’élégance du mot devait refléter les ambitions de Matt quand il avait ouvert sa boite une demi-douzaine d’années plus tôt. C’est l’effet habituel du Bronx que de dissoudre Continuer la lecture de SÉRIE NOIRE (Extrait)

INCIDENT DE FRONTIÈRE (Extrait)

(…) Ils approchaient d’un village. Des hommes arrivaient de partout, accompagnés de chèvres, de moutons, de chevaux, d’ânes, et de femmes et d’enfants. On pouvait même voir quelques dromadaires. Comme les voitures ne pouvaient plus avancer, ils les garèrent sur le bord de la route et en descendirent pour se mettre à suivre le flot. La foule se dirigeait vers un grand espace en bordure du village, limité par une simple ficelle à laquelle on avait noué de place en place des chiffons de couleur. Le spectacle était grandiose. Sous le piétinement des hommes et des animaux, des nuages de poussière ocre s’élevaient en se mélangeant aux fumées bleutées des marchands de kebabs. Dans la foule, de lents courants se dessinaient, se frôlaient, se croisaient et se contrariaient sans cesse. Des hommes plus pressés que les autres se frayaient un chemin au milieu des troupeaux, faisant naître les cris des bêtes et des propriétaires. Le bruit était immense. Les cris aigus des femmes et des enfants étaient parfois couverts par le braiement d’un âne ou Continuer la lecture de INCIDENT DE FRONTIÈRE (Extrait)

Caroline Fourest en veut

C’est extrêmement rare que je cite in extenso un article de presse. Ce n’est peut-être même jamais arrivé. Mais je vais faire une exception pour Caroline Fourest dont les interventions sur LCI, les articles sur Franc-Tireur, les interviews ici et là sont toujours lumineuses de bon sens, de générosité et de clarté. Caroline Fourest est Directrice éditoriale de l’hebdomadaire Franc-Tireur que je suis depuis plusieurs mois et que je vous recommande, soit sous forme papier, soit sous forme numérique.
Voici l’éditorial de C.F. de l’édition de F-T du 3 juillet.
(Je signale que je recopie cet article sans aucune autorisation de C.F. ou de F-T Mais je suis certain qu’ils ne m’en voudront pas.)

J’en veux, comme tous les commentateurs, au président de la République de nous avoir plongés dans cet enfer : une dissolution sans queue ni tête. J’en veux aux commentateurs de passer toujours plus de temps à baver sur les démocrates, sans jamais dire ce qu’ils font de bien, pour s’étonner ensuite de voir les apprentis totalitaires tirer les marrons du feu.

J’en veux aux Français qui avaient à leur disposition d’autres bulletins que le RN pour cracher leur colère et qui ont choisi la peste suprême. S’ils s’inquiètent pour leur sécurité, ils pouvaient voter pour la droite républicaine. S’ils tremblent pour leur pouvoir d’achat, ils pouvaient voter pour le Nouveau Front populaire. Bien sûr, le RN leur a promis les deux : plus de sécurité et plus de pouvoir d’achat, comme par magie. Mais qui peut être assez naïf pour y croire ? Qui ne voit pas qu’ils sont le chaos et non l’apaisement, qu’ils vont dégrader l’image et la note de la France, libérer le racisme et la défiance en guise de fausse solution à nos problèmes ?

J’en veux, terriblement, à la gauche du déni et du « pas de vagues », qui a tout fait pour pousser 10 millions de Français dans les bras du RN. À cette gauche irresponsable qui Continuer la lecture de Caroline Fourest en veut