BLIND DINNER (Extrait)

(…)
Je viens de sonner à la porte de l’appartement et, Anne et moi, nous attendons en vérifiant l’état de nos chaussures que l’on vienne nous ouvrir, quand tout à coup :

« Meeerde ! Tu as oublié les fleurs dans le taxi ! »

Anne a réussi à crier son accusation tout en la chuchotant. Crier en chuchotant est un exercice difficile mais elle le pratique avec aisance. C’est sur le même ton, car j’ai beaucoup appris d’elle dans cette technique d’agressivité, que je proteste :

« TU as oublié… ! Tu es gonflée, quand même ! TU les as oubliées autant que moi, il me semble ? Et puis, ne dis pas merde comme ça tout le temps. Chez une femme, ça fait vulgaire.

— Merde, merde et merde ! Sans vouloir être vulgaire : tu me fais chier, Gérald, chuchote-t-elle furieusement, puis, dans la foulée, mais sur un ton beaucoup plus mondain : Oh ! Bonsoir ma chérie ! C’est nous ! Nous ne sommes pas trop en retard ?

Renée venait de nous ouvrir la porte.

— Bonsoir Anne, bonsoir Gérald. Pas du tout, vous êtes les premiers. La circulation doit être monstrueuse ce soir, tout le monde est en retard. Entrez donc ! »

Tandis que je laisse passer Anne devant moi pour entrer dans l’appartement, elle en profite pour lancer perfidement :

« Gérald a oublié mes fleurs dans le taxi : un très joli bouquet de chez Morelli. On ne peut vraiment pas faire confiance aux hommes pour ces choses-là. »

Elle lève les yeux au ciel puis elle soupire avec affectation :

« Pour le reste non plus, d’ailleurs…

—Ce n’est pas grave, ma chérie, dit Renée en souriant. L’essentiel, c’est que vous soyez là. »

Tout en échangeant ces politesses, Renée nous a conduits jusqu’au salon. Comme à l’habitude, la pièce n’est éclairée que par quelques lampes dispersées ici et là, sur une commode, un bureau, un guéridon et par les minuscules projecteurs qui éclairent discrètement les tableaux accrochés aux murs. Ce faible éclairage fait naturellement ressortir la lumière qui vient de l’extérieur et, du même coup, la vue magnifique que l’on a des fenêtres sur les arbres du jardin et les immeubles de la place. Je sais par expérience que nous allons rester dans cette demi-pénombre jusqu’à ce que les derniers arrivés aient achevé de s’extasier. Alors Renée s’écriera :

« Mais on n’y voit rien ici. Françoise, voulez-vous allumer quelques lumières, s’il vous plait ? »

Et Françoise, la vieille bonne, glissera le long des murs et des canapés pour allumer lustres et lampadaires. C’est à chaque fois comme ça. C’est le jeu.

Anne et Renée s’asseyent côte à côte sur l’un des deux grands canapés de (…)

*

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Blind dinner
Un « Blind dinner », c’est un dîner un peu particulier dans lequel les invités ne se connaissent pas. Dans les beaux quartiers, c’est très à la mode. Renée, la maitresse de maison, trouve cela très chic et parfois follement drôle.  Mais ce soir là, quand on a commencé à parler d’un mystérieux virus venant de Chine, le diner a vite tourné au vinaigre.

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