Morceau choisi
J’ai souvent dénoncé ici même l’aujourd’hui sacro-sainte « transparence », et en particulier dans ma Critique aisée n°16.
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Je ne suis pas certain d’avoir tout compris de ce que dit Cynthia Fleury de Jankélévitch à propos de la vérité, mais je crois qu’il (ou elle) est plutôt d’accord. Avec une nuance : je dis que « toute vérité n’est pas bonne à dire à tout instant », il dit que « toute vérité est relative à un contexte ». Voyez vous-même :
Quel est donc le rapport entretenu par Jankélévitch avec la notion de vérité ? D’emblée, l’on pensera que l’auteur du Traité des vertus est un défenseur acharné de la vérité, à tout prix, qu’il est conscient, quelle forme pour lui un impératif catégorique indépassable. Comment pourrait-il en être autrement ? Seulement voilà, deux grands camps s’affrontent en philosophie, qu’elle soit métaphysique ou morale : d’un côté, ceux qui croient toucher du doigt la vérité et, de l’autre, ceux qui sont conscients de ses multiples voiles, qui perçoivent non la vérité mais le je-ne-sais-quoi et le presque-rien. D’un côté encore ceux qui interdisent le mensonge car il est forcément contraire à la vérité, et surtout il est impossible de défendre l’universalité d’une morale si elle défend le mensonge…, et de l’autre… ceux qui ne séparent pas la vérité d’une situation, d’un contexte, d’une relation à, d’une responsabilité ici et maintenant, non qu’ils défendent la relativité de la vérité, mais plutôt sa relationnalité, le fait qu’elle fasse sens, si et seulement si, et dès lors l’acte de mentir n’est plus si aisé à dénoncer : il y a des mensonges qui sauve les êtres et les âmes.
Cynthia Fleury – Un été avec Jankélévitch
Oui, cette notion de vérité plurale me plaît. Je l’applaudis. Elle exprime véritablement la réalité des débats d’aujourd’hui. J’avais moi-même pensé à proposer la notion de vérité diversifiée, mais d’un point de vue de la rime, c’est important la rime pour la déclamation oratoire, surtout quand elle est prononcée en alexandrins, plurale offre beaucoup de richesse, avec par exemple sidérale, ou virale, pourquoi pas magistrale, alors que pour diversifiée l’offre de rimes est plus pauvre, peut-être démystifiée, voire cocufiée. En vérité, cette discussion sur la vérité aujourd’hui ne rime à rien. Ce sera ma conclusion sous les huées de l’auditoire électrifié.
Vérité.
Absolutisme ou relationnalité ?
Quand Jankelevitch examinait cette alternative, Donald Trump n’était encore qu’un passable promoteur immobilier et un vulgaire producteur et présentateur de live-show télévisé. Jusqu’alors, il n’avait pu mentir qu’à un nombre limité d’Américains : son père, sa mère, ses frères zéssé sœurs, ohoooo ohooo, ses professeurs, le conseil de révision, ses clients, ses banquiers, les inspecteurs du fisc, ses associés, son père, sa mère, ses frères zéssé sœurs, ohooo ohooo… Mais Jankelevitch, le bienheureux, n’avait jamais entendu parler de Donald Trump ni de ses mensonges fréquents mais ordinaires. C’est pourquoi, il lui était encore permis de discuter des différents aspects possibles et acceptables de la vérité et, en particulier celui de la relationnalité. Ne pas inclure la notion d’alternativité dans son examen ne constituait nullement une coupable lacune dans un essai philosophique, car cette notion n’avait pas encore été inventée. Reprocherait-on à Platon de ne pas avoir discuté avec ce Glaucon de l’influence du smartphone sur le développement du complotisme dans les esprits à faible QI ? (A ce propos, on lui a quand même reproché devant moi de n’avoir pas fait grand chose pour promouvoir le féminisme)
Avant Jankelevitch, Mark Twain avait apporté sa pierre à l’étude de la vérité en disant qu’il y a les mensonges, les gros mensonges et les statistiques. Amusant, comme tout ce que disait Twain, mais périmé : on sait aujourd’hui que les statistiques ont fait d’énormes progrès. J’en veux pour exemple celles du Nouveau Front Populaire qui a pu compter 160.000 manifestants hier à Paris.
Donc Vladimir n’avait pas vu venir les vérités alternatives, nées, comme nous l’a rappelé Jim, sous le règne médiatique et de la bouche de Donald Trump.
Depuis cette vérité alternative proférée par le Donald à propos de l’affluence à son investiture, on se trouve donc devant trois catégories de vérités : absolutisme, relationnalité, alternativité.
La première catégorie est rigoureuse, rigide, tristounette : la vérité sur ce qui s’est passé, c’est ça et pas autre chose. Avouez qu’on s’emmerde un peu.
La deuxième est plus subtile, plus fine, probablement meilleure à dire que la vérité vraie.
La troisième est définie à tort comme alternative. Pourquoi à tort ? Mais parce qu’une alternative se rapporte par définition à l’existence simultanée de deux possibilités. Or, tant qu’à proférer un mensonge, car c’est bien de cela qu’il s’agit, pourquoi se limiter à une alternative, c’est à dire le contraire de la vérité ? : Pourquoi dire « il y avait bien plus de monde à mon investiture qu’à celle d’Obama » ? Pourquoi ne pas offrir aux Républicains hypnotisés cette magnifique vérité autre : « Obama n’a jamais été investi en tant que Président des États Unis ». On s’ennuie déjà beaucoup moins!
Je viens d’ouvrir devant vous une nouvelle notion philosophique. En tant qu’inventeur, c’est à dire découvreur, de cette notion, je me permets de la baptiser aussitôt : ce sera la vérité plurale.
Et je sors sous les applaudissements.
Dire la vérité, vaste débat, malheureusement sans fin. Rappelez-vous celui de Janvier 2017 à propos de la présence à la cérémonie d’investiture de Trump comparativement à celle d’Obama, et la fameuse affirmation ou invention des « faits alternatifs ». La vérité est qu’il n’y a pas de vérité de nos jours, tout est interprété, par les médias notamment, y compris des photographies, le tri à faire entre vérités, contre-vérités (ou mensonges), post-vérités, interprétations, est infernal. Le prochain match à ne pas rater sera le 11 septembre prochain, Trump en champion de la contre-vérité pourtant interprétée comme l’âpre vérité par ses partisans, face à Harris dans son rôle de procureur challenger.