Le 25 aout 1944, il y a quatre-vingts ans, Paris était libéré de l’occupation allemande. Pour commémorer cet anniversaire, voici, recueilli par deux journalistes de Combat quatre années après la Libération, le témoignage de Georges Cambremer, personnage à facettes de « Histoire de Dashiell Stiller ». Vichyssois de la première heure, résistant par opportunité, ambitieux par éducation, ministre menacé, ambigu par nécessité, il raconte avec une modestie de bon aloi sa nuit du 24 août 1944 et la journée qui a suivi qui l’ont officiellement rangé du bon côté de la barrière.
(…) Les informations que nous recevions sur les plans des alliés étaient vagues, imprécises. On ne savait pas quand ils allaient arriver à Paris ni même s’ils n’allaient pas contourner la ville. Ce sont les communistes, les Francs-Tireurs, qui ont déclenché l’insurrection, le 19 août, un peu trop tôt sans doute, on le sait aujourd’hui. Mais ce qui était fait était fait. Il n’était plus possible de revenir en arrière. Rue de l’Abbé de l’Épée, on s’est décidé à lancer aussi l’ordre d’insurrection générale. La suite, on la connait : l’occupation de la Préfecture de Police et de l’Hôtel de Ville, la Wehrmacht prise au dépourvu qui se ressaisit vite et qui tire au canon sur la Préfecture, la situation désespérée des assiégés, et puis l’entrée de Leclerc dans Paris, la capitulation de Von Choltitz, l’arrivée de De Gaulle, son formidable discours du 25 Aout, et toute la suite…
Combat : C’est effectivement encore dans toutes les mémoires, Monsieur le Ministre. Mais ce que nos lecteurs ne savent pas c’est quel a été votre rôle pendant ces évènements. Pouvez-vous nous en parler ?
G.C. : Je pourrais, bien sûr, mais à vrai dire je n’aime pas beaucoup me mettre en avant dans ce genre de choses. Ce sont les soldats de Leclerc, les FFI et le peuple de Paris qui ont libéré la Ville. Mon rôle à moi n’a été que modeste. Disons simplement qu’avant le 19 aout, j’ai rendu divers services en faisant la liaison entre les réseaux des différents quartiers et deux ou trois fois, j’ai transporté des munitions. J’ai même collé des affiches un peu partout dans Paris. C’était pendant la nuit du 13 au 14 juillet ; les affiches donnaient des informations sur l’avancée des alliés vers Paris et appelaient la population à célébrer la Fête Nationale et à se préparer à l’insurrection. Du 19 au 24 aout, pendant que les Allemands assiégeait la Préfecture et l’Hôtel de Ville, j’ai continué à assurer la liaison entre les FFI des quartiers. Et puis le 24 au soir, j’ai reçu l’ordre de me poster avec un petit groupe d’une dizaine de FFI du Vème à Denfert Rochereau et d’y attendre les chars de la 2ème DB qui devaient entrer dans Paris le lendemain matin par la Porte d’Orléans. Vous vous souvenez que ce jour-là, dans Paris, c’était déjà la fête depuis dix heures du soir parce qu’une dizaine de blindés de l’armée Leclerc était parvenus sans encombre jusqu’à Notre Dame. Il faisait chaud, et les cloches sonnaient de partout. À Denfert, toutes les brasseries de la place étaient ouvertes et débordaient de gens qui chantaient, qui dansaient, qui s’embrassaient. Curieusement, les Allemands ne se montraient pas. Nous avons passé la nuit-là. À l’aurore, les civils étaient partis se coucher et nous demeurions là à guetter l’avenue d’Orléans par où devaient arriver les chars. Ce n’est que vers 9 heures et par l’avenue du Parc Montsouris qu’une colonne est arrivée. Nous nous sommes faits connaître du char de tête et, par deux ou trois, nous avons grimpé sur les tourelles des premiers engins pour les guider vers l’Hôtel de Ville. Nous avons rejoint la rue Saint-Jacques et c’est quand nous commencions à descendre vers la Seine que la colonne a été prise sous le feu de mitrailleuses lourdes. Elles étaient installées tout en haut de l’observatoire de la Sorbonne et prenaient toute la rue en enfilade, depuis la rue Soufflot jusqu’à la Seine. Le FFI qui se tenait à côté de moi a tout de suite été tué. Tout le monde a sauté à terre pour s’abriter et les chars ont attaqué la tour au canon. Au bout d’une dizaine de minutes, les mitrailleuses se sont tues et nous avons pu continuer vers Notre-Dame, mais brusquement le char sur lequel j’étais a tourné à gauche pour remonter vers le Sénat, suivi par cinq ou six autres. En fait, il y avait une poche de résistance allemande fortement installée dans le Palais du Luxembourg, avec des tranchées, des blockhaus, et des armes lourdes. Il a fallu plusieurs heures pour la réduire. Ensuite, nous avons fait notre jonction avec les autres groupes de Leclerc et avec les Américains place de la Concorde. Paris était libéré.
Voilà ce qu’ont été mes quelques jours à Paris au moment de la Libération. Vous voyez, pas d’acte d’héroïsme particulier, mais je suis fier d’avoir pu participer à la bataille. (…)
*
Ces lignes sont extraites de « Histoire de Dashiell Stiller », roman disponible sur Amazon.fr dont vous atteindrez le site en cliquant sur l’image de la couverture ci-dessous.
Histoire de Dashiell Stiller
Paris 1935. Dashiell, jeune touriste Américain, prend une photographie de la terrasse d’un café du Boulevard St-Michel, le Cujas. Treize années plus tard, il est de retour à Paris pour rencontrer les huit personnages qui se trouvaient sur la photo. Il les fait parler sur leur vie, sur la façon dont ils ont vécu cette période troublée de la guerre, l’Occupation, la Résistance, la Collaboration, les Camps, la Libération… Mais pourquoi fait-il cela ? Pour écrire un roman ? Pour retrouver quelqu’un ? Pour expier un crime ? Pour retrouver sa propre histoire, l’histoire de Dashiell Stiller ?