Archives de catégorie : Textes

Rendez-vous à cinq heures avec Paddy

 

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Comme suite aux articles d’hier et avant-hier, Paddy voudrait qu’on l’appelle Didier. 

Appelez-moi Didier, Didier Viguier. C’est mon nom quand je me promène à Paris en vêtements civils, des vêtements parisiens que j’ai acheté À la Samaritaine quand je suis arrivé à Paris il y a un an, le 16 mai 1941. Dans une semaine, le 23 mai, ce sera mon vingt-deuxième anniversaire et mon jour de fête, celui des Didier, les souhaités selon l’origine de ce prénom. Mais je ne serai plus à Paris pour fêter ce double événement car je serai en route pour le front de l’Est. Pourquoi ? J’y viendrai plus loin mais en attendant voici une première explication. C’est parce que mon vrai nom est Dieter Wiegenfeld, je suis allemand, mais pour les français seulement je suis Didier Viguier. Je me suis attaché à ce nom, un viguier en vieux français était un petit juge local, une profession à laquelle je me destinais quand je faisais mes études de droit à Heidelberg.

J’aime amoureusement Paris. À chaque moment de permission qui me libère de la Kommandantur où je suis affecté je visite tous les quartiers de la ville. Il ne m’a pas été difficile de me procurer à la Kommandantur de faux papiers d’identité français au nom de Didier Viguier. Dans tous les quartiers de Paris, que ce soit à Ménilmontant, à la Butte aux Cailles ou à Saint Germain des Prés, je me sens bien, j’aime parler avec les gens Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures avec Paddy

Au petit fer à cheval (75 ans plus tôt)

Hier, je vous ai demandé de regarder une photographie en couleur.

Aujourd’hui, je vous demande de regarder cette photographie-là. Elle vous rappelle sans doute quelque chose. Oui, c’est bien le Petit Fer à Cheval, il y a bien un serveur, une cliente, un comptoir mouluré, quelques tables et des bicyclettes sur le trottoir. Regardez bien : la ressemblance avec la photo d’hier est frappante, n’est-ce pas ?

Mais le garçon ne s’appelle pas Patrick. Il s’appelle Robert et la jeune fille, ce n’est pas Emilie, c’est Denise. La petite robe noire qu’elle porte n’est pas celle d’un magasin chic, mais la robe de deuil que sa mère a portée pendant un an et qu’elle vient de transformer pour que sa fille puisse aller danser. Elle n’est pas vendeuse, Denise, elle cherche du travail. Les temps sont difficiles. Son sandwich ne contient ni jambon ni fromage, seulement un peu de confiture de rhubarbe qu’elle a elle-même apportée. Si les bicyclettes Continuer la lecture de Au petit fer à cheval (75 ans plus tôt)

Au petit fer à cheval

Ce texte, ainsi que sa suite qui paraitra demain, ont déjà été publiés en juin 2017. 

 Au petit fer à cheval
30 rue Vieille du Temple Paris 4°

Je ne suis jamais allé dans ce café, et rarement dans cette rue. Le 4ème, ce n’est pas mon quartier. Ce n’est pas que je ne l’aime pas ou que je le méprise ou même qu’autrefois, je l’aie trouvé trop décrépit et aujourd’hui trop bobo, trop « touriste », mais je ne le connais pas et, comme disait Boubouroche, je n’y ai pas mes habitudes.
Pourtant cette photo, prise 16 mai 2017 à onze heures quarante-trois, pourrait bien me donner envie d’en créer, des habitudes. Regardez-là attentivement. Agrandissez-là au besoin :

Remarquez d’abord les vélos : depuis que Continuer la lecture de Au petit fer à cheval

Rendez-vous à cinq heures à bicyclette

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GIANT
par Lorenzo dell’Acqua

Dans mes souvenirs d’enfance, la bicyclette n’était qu’un jouet. Mon premier vélo m’avait été offert pour l’anniversaire de mes sept ans et ce n’est pas ma chute avec une fracture du bras qui m’empêcha de continuer à en faire toute ma vie. Aujourd’hui encore, il me donne un plaisir infini et une incroyable sensation de liberté.

Chez ma tante à Dreux, j’eus par la suite un « routier » bleu, une sorte de vélo de course avec de gros pneus et des garde-boue, l’ancêtre des VTT, sur lequel je sillonnais sans plaisir cette sous-préfecture sans charme. A Tharon-Plage au bord de l’Atlantique où je passais les vacances d’été, un vélo de course récompensa mon succès au BEPC avant d’être remplacé par un solex. Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures à bicyclette

Que faut-il penser d’ Histoire de Dashiell Stiller ? (9)

A peine sorti de presse, l’Histoire de Dashiell Stiller déclenche les polémiques auxquelles les ouvrages de Philippe Coutheillas nous ont habitués.
Histoire de Dashiell Stiller… Roman d’aventures, autofiction, roman historique, histoire d’amour, roman à l’eau de rose, roman de l’été, bide de l’année… tout à été dit.
Mais que peut-on en penser, que FAUT-il en penser ?

Des écrivains vous répondent…

Moi, j’avais jamais rien dit, rien demandé. Rien. Ça m’est arrivé comme ça, un matin, par la poste. Normalement, je reçois rien par la poste, que des cadavres de chat, des cloportes empaillés, des merdes dans de la cellophane et des lettres d’injures. Que des amis qui m’envoient ça ! Des copains d’avant comme ils disent à l’ORTF. Ça prouve au moins qu’ils pensent à moi. D’avant quoi, les copains ?  D’avant la guerre, c’est sûr ! La Grande, je veux dire. Z’ont pas aimé mes souvenirs d’au bout de la nuit alors ils m’envoient des leurs, des souvenirs bien frais de leurs entrailles, des trucs qu’ils ont libérés hier soir dans du papier bonbon en faisant bien attention de pas se salir les doigts. C’est pour offrir qu’ils disent. Moi, je m’en fous de leurs attentions. Je les balance dans le jardin et c’est mes chiens qui Continuer la lecture de Que faut-il penser d’ Histoire de Dashiell Stiller ? (9)

Un ptérodactyle sur fond d’azur

Le fameux récit des aventures de Philippe aux Philippines sortira bientôt en livre broché sur le site Amazon. Pour vous mettre ou vous remettre dans l’ambiance avant de lire ou relire cette oeuvre magistrale dans cette nouvelle édition de luxe, en voici le premier chapitre en deuxième diffusion. 

Bonjour, Philippines ! 

Chapitre 1 – Un ptérodactyle sur fond d’azur

La première scène se passe au Bureau Central d’Études pour les Équipements d’Outre-Mer, 15 Square Max Hymans à Paris. Philippe est seul dans la salle de réunion du quatrième étage, département des études économiques. Sur le grand planisphère offert par UTA qui est affiché au mur, ça ressemble à un gigantesque ptérodactyle volant lourdement sur fond d’azur. C’est Mindanao.

*

Mindanao. J’ai mis du temps à trouver cette île sur la carte, car au moment où j’ai appris qu’on voulait m’envoyer aux Philippines pour cinq ou six mois, je ne savais même pas dans quel océan se trouvait cet archipel. Maintenant, je sais : c’est loin. Cette multitude d’îles avec leurs formes étranges et entremêlées ne m’inspire pas une grande confiance. De plus, les circonstances ne sont pas très favorables : Cécile vient d’avoir six ans et Thomas six mois et il n’est pas question de les emmener dans un pays si éloigné et si différent de tout ce que nous connaissons. Cela signifie donc une longue séparation. Vaguement inquiet, je me dis cependant que, revenant d’une mission presque paradisiaque au Liban, il serait malvenu, si je veux progresser un peu dans cette société, de refuser celle-là. Je me dis aussi qu’il est peut-être temps de vivre des expériences un peu plus aventureuses qu’étudier l’intérêt économique du boulevard périphérique de Beyrouth. Je vais donc accepter la mission. Et c’est pourquoi en ce début décembre, je suis devant cette grande carte du monde en train d’évaluer la distance entre Paris et ce gros oiseau de mauvais augure. Continuer la lecture de Un ptérodactyle sur fond d’azur

Gisèle ! (20)

(…)n’oublie pas, la rive droite tout le temps, et tu arriveras aux premières maisons de Bardonnèche. Après, t’arriveras bien à te débrouiller pour faire de l’auto-stop. Ah ! et puis, surtout, fais attention aux … »
Bernard n’écoute plus, submergé par les instructions du passeur, fasciné par ses allers et venues dans le local, angoissé par la conscience que dans quelques minutes, il va se retrouver seul dans la nuit, encore une fois, sans lampe, dans un milieu hostile et glacé, plein de pièges, de rochers abrupts, de torrents gelés et de carabiniers en patrouille.

Ça y est, Tony a claqué la porte de la baraque et l’a verrouillée. C’est vrai, il ne neige pas, il n’y a pas de vent et une lune presque pleine éclaire un paysage en noir et blanc. Tony a accompagné son petit groupe de réfugiés sur une dizaine de mètres vers le haut, puis il est redescendu vers Bernard qui restait à les regarder, planté sur le seuil de la baraque en béton. Il lui a redonné quelques consignes essentielles, rester sur le chemin, contourner le poste des Carabiniers, suivre la rive droite du torrent et puis… « bonne chance pour l’auto-stop ! » Il lui a même donné trois billets de 10 euros, « de la part de Tanios » et il est remonté prendre la tête de la petite colonne de ses clients. Ils se sont mis en marche. Longtemps après qu’ils se soient évanouis dans l’ombre d’un gros rocher, Bernard était encore là, immobile, hésitant, à fixer l’endroit où le dernier Syrien avait disparu. Continuer la lecture de Gisèle ! (20)

Le wokisme et les sous-marins

Il y a presque exactement deux ans, énervé par la consultation très régulière que je faisais du New York Times et du Washington Post, j’avais écrit ceci :

« Un jour, alors que nous discutions des sentiments réciproques des Américains et des Français, un ami — était-ce Jim, était-ce Paddy, je ne sais plus — m’a dit ceci : « Les Américains sont persuadés que les Français ne les aiment pas, mais les Français les adorent. A l’inverse, Les Français croient que les Américains les aiment ; or ils les détestent. »

Je n’y avais jamais réfléchi auparavant, mais cette sentence me parut concrétiser tout ce que j’avais ressenti confusément jusque-là.

Aujourd’hui, mon propos n’est pas de m’étendre sur le fait que, malgré tout ce qu’ils peuvent en dire, les Français aiment les Américains. Les exemples en sont nombreux et, si vous arrivez encore à réfléchir honnêtement quelques instants, vous les trouverez de vous-même très facilement.

Ce qui m’occupe, c’est plutôt le fait que, malgré ce que nous Français croyons, les Américains ne nous aiment pas. Et c’est peut-être la fraction des Américains que Continuer la lecture de Le wokisme et les sous-marins

Gisèle ! (19)

(…) Mais j’ai tué quelqu’un ! crie Bernard. On ne peut pas recommencer sa vie quand on a tué quelqu’un ! »
A l’autre bout de la pièce, le guide s’agite et gronde :
« Vous n’allez pas la fermer un peu, là-bas ? Je vous préviens : on repart dans une demi-heure alors, vous feriez bien de dormir, sacré bonsoir ! »
Bernard répète en chuchotant :
« On ne peut pas recommencer sa vie quand on a tué quelqu’un…

— D’autres l’ont fait avant vous, soyez-en sûr. Et d’abord, êtes-vous certain de l’avoir tué ? Tout à l’heure, vous avez dit que vous n’aviez pas frappé si fort que ça. Est-ce qu’il était vraiment mort, votre Robert, quand vous êtes parti ? Vous avez vérifié ? Non, bien sûr ! Alors, peut-être n’avez-vous fait que le blesser. Et puis, il m’avait l’air costaud. Si ça se trouve, il s’est fait soigner au PC du tunnel et il est en train de rouler vers Turin avec un pansement sur le crâne, votre agresseur… parce que c’en est un, d’agresseur ; vous vous êtes simplement défendu contre un agresseur et vous l’avez envoyé au tapis. Vous devriez être fier : pour une fois, vous voyez, vous n’avez pas cédé, vous vous êtes battu et vous avez Continuer la lecture de Gisèle ! (19)

Rendez-vous à cinq heures avec les souvenirs

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Aimer Modiano

Chaque fois que nous évoquons un souvenir, nous le modifions.

Sa profession médicale et les hasards de la vie nous firent nous retrouver par hasard cinquante ans plus tard. Nous parlâmes de cette époque avec nostalgie. Comme j’évoquais ma passion pour Patrick Modiano, elle me demanda si je me souvenais de la soirée passée chez Dominique Zerhfuss, une de ses amies d’enfance et future femme de l’écrivain. Dans son souvenir, il s’agissait d’un magnifique appartement du quai Anatole France donnant sur la Seine et les Jardins des Tuileries où nous étions allés ensemble. Je suis absolument certain n’y être jamais allé et, d’ailleurs, je n’ai pas non plus le moindre souvenir de Dominique Zerhfuss. Lisant ce soir une biographie de Modiano, je m’aperçois qu’il s’est marié en septembre 1970. Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures avec les souvenirs