Archives de catégorie : Textes

Go West ! (39)

(…)
« Santa Clarita, c’est bon pour toi ?
— C’est loin ?
— Environ trente miles vers le Nord.
— Formidable !
— Alors monte, mon gars ; on y va ! »
En démarrant, il ajoute : « Je suis Joe. Et toi ? ». Mais je ne réponds pas parce que sur le plancher, devant moi, il y a un journal. C’est le Los Angeles Times. J’ai les pieds dessus. On dirait une édition spéciale. Elle est pliée en deux, mais entre mes chaussures, je lis :
« MARYLIN MONROE DIES, BLAME PILLS »

C’est écrit en lettres capitales grasses. Le titre tient toute la page. Juste en dessous, on peut voir la partie haute d’une photographie. C’est un portrait. Il est coupé au niveau du front par la pliure du journal. On n’en voit qu’une chevelure blonde. Mais c’est bien elle ; c’est Marylin ! Et elle est morte. Pauvre fille, toujours si jolie, si innocente, si gaie dans ses films. En fermant les yeux, je la revois descendre cet escalier de « Sept ans de réflexion« , chanter dans ce wagon-lit de « Certains l’aiment chaud« . A l’instant, les mots qui me viennent à l’esprit pour la définir, c’est ‘’adorable… fragile’’… et maintenant ‘’morte’’. Comme je reste figé devant le journal, Joe me dit :
« Ah, tu as vu, Marylin est morte ! C’est triste, hein ? Une jolie fille comme ça ! »
—Je ne comprends pas « blame pills« . Qu’est que ça veut dire ? Continuer la lecture de Go West ! (39)

Go West ! (38)

Et puis partir au hasard de la bonne volonté des automobilistes, ça m’évitait temporairement d’avoir à choisir entre Seattle et Washington. Je verrais bien dans quelle direction le hasard m’entrainerait.
Comme je m’agitais sur mon matelas de carton pour rassembler mes affaires, je sentis quelque chose de dur dans une poche avant de mon jean. C’était le truc que j’avais ramassé sous la Rolls de Peter Lawford et que depuis, j’avais totalement oublié.

A peine plus long mais un peu plus étroit qu’un paquet de cigarettes, très compact, un peu lourd, avec sa petite fenêtre de plexiglass qui couvrait le logement de la cassette et son cordon tressé noir faisant office de gance, il dépassait à peine de ma main fermée. C’était un dictaphone de poche, en acier brossé gris, simple et élégant, le fruit de la technologie et du design allemands. Je le considérai tout d’abord avec hésitation, méfiance même, et puis je décidai d’écouter ce qu’il pouvait bien y avoir d’enregistré sur sa bande magnétique. Son maniement était simple et tout de suite j’ai entendu la voix. Elle disait : Continuer la lecture de Go West ! (38)

Go West ! (37)

(…) Et moi, j’ai fini de jouer mon rôle, je suis fatigué et je voudrais bien que tout ça s’arrête, parce que moi, je n’ai ni secrétaire ni voiture et il va falloir que je m’arrête pour souffler un peu, il va falloir que je dorme. Seulement pour le moment, je ne pense qu’à m’éloigner de l’officier de police Jack Clemmons, de sa voiture et de cette foutue maison.
Tout au long des années qui ont suivi ces événements, j’ai souvent repensé à cette nuit du 4 août 1962, forçant ma mémoire à revenir sur chaque détail. Depuis, j’ai lu, je crois, presque tous les livres et articles de presse qui y ont été consacrés et aujourd’hui, je me rends compte que je suis sans doute l’une des rares personnes vivantes à connaître la vérité. 

Voici donc ce qui est arrivé après que j’aie traversé la dernière propriété privée et me sois retrouvé à trainer mon sac sur Bondy Drive.

Au bout d’un temps infini, j’ai fini par passer devant un chantier où l’on construisait une de ces grandes villas faites entièrement de bois. Il était ouvert sur la rue et j’y entrai sans difficulté. Il devait être un peu avant minuit et le lendemain était un dimanche. Au moins, je ne risquais pas d’être surpris à l’aube par une équipe d’ouvriers. Pourtant, si la police se mettait à fouiller le quartier, elle ne manquerait pas de s’intéresser à ce chantier. Mais je n’y croyais pas vraiment. Pourquoi se lancerait-elle à la poursuite d’un type disparu dans la nature et dont le seul crime était, croyait-elle, d’avoir voulu acheter un policier pour 100 $ ? A Los Angeles, ça ne devait pas être si rare Continuer la lecture de Go West ! (37)

Go West ! (36)

(…) A droite, très reconnaissable, une Rolls-Royce, gris clair, énorme, décapotée. Sa plaque de Californie, noir sur fond blanc est bien visible : L-A-W-F-R-D. Aux USA, il est courant que les gens choisissent l’immatriculation de leur voiture en fonction de leur nom, de leur métier ou de leur hobby. Alors je cherche… LAWFRD, LAWFRD… ça doit vouloir dire quelque chose… ça veut surement dire quelque chose…et d’un coup, ça y est, j’ai compris : LAWFRD c’est pour LAWFORD et la Rolls, c’est la voiture du type en bermuda, et ce type, c’est Peter Lawford, le copain de Sinatra, le beau-frère de Kennedy… Incroyable ! Je viens de voir Peter Lawford !

Après tout, je suis à Los Angeles, tout près d’Hollywood et de Beverley Hills. Rencontrer un acteur de cinéma n’a rien d’exceptionnel. Mais quand même, qu’est-ce qu’il peut bien se passer dans cette maison ? J’ai entendu le mot suicide. Un suicide, ce n’est pas rien. On a dû appeler Clemmons pour faire les premières constatations, mais qu’est-ce que vient faire Lawford là-dedans ?  Et combien de temps Clemmons va-t-il me laisser seul dans sa voiture ? J’ai mon sac à côté de moi avec, dedans, mon foutu P .38. La voiture n’est pas fermée à clé. C’est peut-être le moment de ficher le camp. Je ne crois pas que le flic ait noté mon identité sur son carnet. Si je fichais le camp maintenant, il se souviendrait sûrement de ma nationalité, mais peut-être pas de mon nom. Le problème, c’est qu’il ne m’a pas rendu mon portefeuille. Je crois qu’il l’a posé Continuer la lecture de Go West ! (36)

Go West ! (35)

(…) Et voilà ! Pour la deuxième fois en trois semaines, je suis enfermé à l’arrière d’une voiture de police ! Je ne suis pas menotté, c’est un progrès, mais cette fois-ci, je sais pourquoi je suis là et ça n’a rien pour me rassurer.
Tandis que le policier fait marche arrière pour se dégager, ses phares balaient mes cinq camarades. Éblouis, ils ne peuvent surement pas me voir mais moi, je vois bien leur air inquiet, désemparé. Derrière eux, j’aperçois l’arrière de l’Hudson Hornet et, au-delà, un petit morceau de plage et d’Océan Pacifique. Je ne le sais pas encore mais je ne reverrai plus notre belle voiture à 50 dollars.

Le flic s’appelle Jack Clemmons ; il est sergent ; c’est ce que dit son badge.  Ce crétin croit que j’ai voulu l’acheter avec un billet de 100 dollars glissé dans mes papiers ! Mais c’est complètement fou, ce truc ! Mon billet, il n’était pas glissé dans le permis ! Il était gentiment plié en deux dans un des compartiments de ce foutu portefeuille ! Et il a bien vu que je lui avais donné le portefeuille parce que je n’arrivais pas à le sortir, ce foutu permis rose à trois volets à la con que le monde nous envie, coincé qu’il était dans son foutu triptyque en plastique. Il a bien dû s’en rendre compte, cet abruti, que je lui avais donné pour qu’il puisse le lire sans le sortir du plastique !  Mais non ! Si ça se trouve, il voulait me voler, ce flic ! Il a fouillé mon portefeuille pour le trouver, le billet ! Ou alors, il avait envie de s’amuser, et il a fait semblant de prendre ça pour une tentative de corruption. « Vous avez voulu acheter un officier de police ! » Acheter un officier de police ! Tu parles ! Il s’ennuyait, l’officier de police, c’est tout ! Faut dire qu’à dix heures du soir, contrôler une grosse voiture marron sale immatriculée en Arizona rôdant à quinze miles à l’heure dans Santa Monica avec six types à bord, une vielle Hudson qui hésitait, faisait demi-tour sur Ocean Boulevard, hésitait encore pour Continuer la lecture de Go West ! (35)

La Chrysler

Dans le cadre de mon retour sur moi-même, je veux dire sur le moi des années passées, voici encore une rediffusion de cet article déjà nostalgique quand je l’ai publié une première fois en 2017.

Chronique des années 90

10-La Chrysler

En fait, on ne l’appelait pas comme ça, mais ça sonne tellement bien « la Chrysler ». Ça fait tout de suite voiture de luxe, puissante, bicolore et sur-dessinée, glissant silencieusement dans les rues de Beverley Hills. Cette image doit me rester de cette chanson parodique de Fernand Raynaud qui commençait comme ça :
T’es un peu belle, mignonne,
T’es balancée comme une Chrysler…

Dans les années 90, l’automobile américaine était en crise. On n’était même pas certain que cette marque puisse passer le prochain hiver. Mais Chrysler commençait à commercialiser en France un mini van sur lequel elle fondait beaucoup d’espoir, le Voyager. Son nez très court qui lui donnait une gueule de petit camion, sa silhouette carrée qui rappelait de loin la Citroën Kubik de mon enfance dont j’ai déjà parlé ici, ses barres de toit qui lui donnaient un air randonneur… Tout cela me plaisait bien. D’ailleurs, il faudrait bientôt remplacer la Volvo qui avait fait son temps et qui de toute façon devenait trop petite : les enfants tenaient de plus en plus de place à l’arrière, sans parler d’Ena, notre labrador jaune de trente-trois kilos.

Avoir à conduire cette encombrante voiture Continuer la lecture de La Chrysler

Mais où sont les neiges d’antan ?

Ce poème nostalgique a été publié pour la première fois le 16 février 2017. Quand parfois je réalise qu’avec l’âge et le réchauffement climatique, le ski pour moi, c’est bel et bien fini, voilà que le spleen me reprend. 

TIGNES LE LAC

À Jean-Louis
À Patrick
À François

Vous souvenez-vous, mes amis,
Aujourd’hui devenus bien vieux,
Quand nous allions faire du ski,
O combien c’était merveilleux.

Nous partions de très bon matin,
C’est à dire vers neuf heures et demi
Tandis que je rongeais mon frein
A attendre ce bon vieux Jean-Louis.

Je dressais le programme du jour.
Jean-Louis finissait son loto.
Patrick et François, pleins d’humour,
M’app’laient aussitôt Bénito.

C’était bien souvent vers la Daille Continuer la lecture de Mais où sont les neiges d’antan ?

Go West ! (34)

(…) La journée passe comme ça, en confirmation des images que nous avons apportées avec nous. Et c’est vrai, tout est là, comme nous l’attendions : les beatniks et les maisons étranges de Venice Beach, la jetée de Santa Monica et sa fête foraine, la plage déserte de Pacific Palisades, les courbes majestueuses du Sunset Boulevard, les larges allées bordées de cocotiers et de maisons invisibles de Beverley Hills, l’animation de Hollywood Boulevard et le légendaire Théâtre Chinois.

La nuit est tombée. Vers dix heures du soir, nous n’avons toujours pas trouvé d’hôtel et nous décidons de dormir à nouveau sur une plage. Pour y parvenir, la route est évidente : Go West, young man ! Sunset boulevard vers l’ouest, jusqu’au bout. Je me suis débrouillé pour conduire, bien que ce ne soit pas mon tour. Même au volant de cette vieille voiture poussiéreuse, conduire ses deux tonnes dans les virages voluptueux du Boulevard le plus long et le plus célèbre du monde est un plaisir fabuleux. Toutes vitres ouvertes sur la douceur de la nuit, le coude à la portière, j’écoute le chuintement des pneus sur l’asphalte impeccable, je sens ma chemise flotter et battre au vent qui s’engouffre dans sa manche courte, je respire l’odeur des magnolias arrosés par les jets d’eau des jardiniers nocturnes mexicains, je regarde la lune qui nous suit en courant au sommet des bosquets qui cachent les propriétés.  Du côté de Pacific Palisades, le bord de mer est désert. Je roule doucement le long de la plage. Arrivé devant les lumières de la jetée de Santa Monica, je fais demi-tour pour reprendre Ocean Avenue vers le nord. Je finis par tourner à gauche sur Ocean pour m’engager dans une courte impasse et me garer face à l’océan. Je coupe le moteur. Nos quatre portières s’ouvrent en même temps.

D’un seul coup, nous sommes illuminés par les phares d’une voiture qui vient se coller contre le pare-chocs arrière de l’Hudson. C’est une voiture de police, avec sa Continuer la lecture de Go West ! (34)

Le joueur d’échecs

Critique aisée n°265

Le joueur d’échecs
Stefan Sweig

Au fur et à mesure de mon exploration post-scolaire, tardive et paresseuse de la littérature, je me suis constitué une modeste collection d’auteurs favoris. Elle comporte forcément un grand nombre de lacunes ; c’est ainsi que je n’ai jamais rien lu de Joel Dicker (en fait si, 40 pages, et je le regrette encore), d’Annie Ernaux ou de Chrétien de Troyes, auteurs consacrés, couronnés et révérés unanimement. Alors, j’ai honte et, de temps en temps, je fais un effort pour sortir de mes habitudes et je vais piocher chez un libraire un de ces livres idolâtrés. C’est exactement de cette manière, par exemple, que j’ai découvert Proust et sa Recherche (je vous ai suffisamment cassé les pieds avec le Petit Marcel pour que vous sachiez ce que j’en pense). C’est aussi comme cela que j’ai découvert avec enthousiasme Bret Easton Ellis, Virgile, Maurice Pons et quelques autres.

Mais ma méthode hasardeuse et autodidacte ne m’a pas donné que des satisfactions, et si je ne suis pas Continuer la lecture de Le joueur d’échecs

Go West ! (33)

(…)  La procédure s’achèvera quand les deux clients officiels iront régler la note juste avant de partir avec la voiture tandis que les quatre clients additionnels sortiront discrètement pour attendre un peu plus loin sur la route. Hervé avait appelé cette méthode Cheval de Troie, car dans ses premières tentatives, il arrivait souvent que deux des passagers clandestins se cachent au fond de la voiture. Impraticable à six, cette technique particulière a été abandonnée mais le nom est resté.

Cela fait cinq heures que nous roulons après notre deuxième demi-nuit à Las Vegas. Le jour se lève. Nous sommes tous à nouveau épuisés mais, avec le jour, il n’est plus nécessaire de monter la garde à la fenêtre avec la lampe électrique.

Hier soir, vers neuf heures, propres et reposés, nous avions quitté le Centennial Motel où notre opération Cheval de Troie avait parfaitement fonctionné. Ayant payé la chambre et n’étant pas emporté les couvertures avec nous, nous avions la conviction de n’avoir lésé personne et nous n’éprouvions pas le moindre des remords. Arrivés au Golden Nugget, désormais Continuer la lecture de Go West ! (33)