La Chrysler

Dans le cadre de mon retour sur moi-même, je veux dire sur le moi des années passées, voici encore une rediffusion de cet article déjà nostalgique quand je l’ai publié une première fois en 2017.

Chronique des années 90

10-La Chrysler

En fait, on ne l’appelait pas comme ça, mais ça sonne tellement bien « la Chrysler ». Ça fait tout de suite voiture de luxe, puissante, bicolore et sur-dessinée, glissant silencieusement dans les rues de Beverley Hills. Cette image doit me rester de cette chanson parodique de Fernand Raynaud qui commençait comme ça :
T’es un peu belle, mignonne,
T’es balancée comme une Chrysler…

Dans les années 90, l’automobile américaine était en crise. On n’était même pas certain que cette marque puisse passer le prochain hiver. Mais Chrysler commençait à commercialiser en France un mini van sur lequel elle fondait beaucoup d’espoir, le Voyager. Son nez très court qui lui donnait une gueule de petit camion, sa silhouette carrée qui rappelait de loin la Citroën Kubik de mon enfance dont j’ai déjà parlé ici, ses barres de toit qui lui donnaient un air randonneur… Tout cela me plaisait bien. D’ailleurs, il faudrait bientôt remplacer la Volvo qui avait fait son temps et qui de toute façon devenait trop petite : les enfants tenaient de plus en plus de place à l’arrière, sans parler d’Ena, notre labrador jaune de trente-trois kilos.

Avoir à conduire cette encombrante voiture effrayait un peu Sophie, mais elle finit par s’y résigner et accepter que je passe commande.

La voiture arriva deux mois plus tard et j’allais en prendre livraison un samedi après-midi dans le XVème arrondissement.

J’avais choisi la couleur bordeaux qui, selon moi, confirmait bien l’aspect désuet de la voiture. A l’intérieur, ce n’était que cuir crème, plastique marron et moquette beige. Deux confortables fauteuils à l’avant, séparés par un large espace dans lequel pointait le levier de vitesse, une banquette intermédiaire et une banquette arrière permettaient d’asseoir sept personnes. Cela pouvait paraitre trop pour nous qui n’étions que quatre humains et un chien, mais c’est en grande partie ces deux banquettes qui avaient motivé mon choix. En effet, chacun de nos derniers longs voyages en automobile avait été un calvaire à cause des batailles continuelles des deux garçons qui luttaient sur l’unique banquette arrière de notre autre voiture pour gagner le plus possible d’espace vital. Je pensais donc qu’avoir chacun toute une banquette pour soi tout seul apporterait un peu de calme à nos voyages.

Tout juste de retour du concessionnaire, je décidai de partir sur le champ, n’importe où, mais avec tout le monde. Le choix de la destination fut facile : ce serait les châteaux de la Loire, instructif et à distance raisonnable. Nous dinerions sur la route et nous coucherions le soir même à Tours.
Les enfants firent savoir qu’ils n’étaient pas vraiment emballés, mais moi, oui.

Chacun trouva sa place très vite dans la voiture : Guillaume, le plus grand, sur la banquette arrière, Sébastien, plus petit, sur la banquette intermédiaire, Sophie sur le siège de co-pilote et moi, au volant. Ce fut certainement Ena la plus satisfaite de cette nouvelle voiture : elle s’allongea tout de suite entre les deux sièges avant et la banquette de Sébastien. Au cours des milliers de kilomètres que nous parcourûmes plus tard tous ensemble, de temps en temps, n’en pouvant plus de bonheur de se trouver confinée dans un si petit espace avec tout ce qu’elle aimait,  Ena prenait la pose du sphinx, appuyait sa gueule en soupirant sur le pommeau du levier de vitesse et attendait que je pose ma main sur sa tête, tandis que les enfants dormaient, lisaient ou écoutaient silencieusement leur musique, allongés chacun sur leur banquette respective.

Malgré l’alarme de portière qui sonna continuellement pendant le voyage, malgré le froid, malgré le voisinage très industriel de l’hôtel Mercure de Tours, l’expédition fut réussie et l’adaptation de la Voyager à nos besoins démontrée.

La Voyager n’était peut-être pas la voiture la plus fiable du marché du moment (c’est ce que me répétait sans cesse mon ami qui travaillait chez Renault), ce ne fut certainement pas ma meilleure voiture, mais ce fut sans conteste celle qui, encore aujourd’hui, figure dans les meilleurs de mes souvenirs.

Monter dans cette voiture par la portière latérale à glissière, enjamber le chien pour atteindre mon fauteuil, jeter un coup d’œil en arrière pour vérifier le bouclage des ceintures des passagers avant de démarrer le gros moteur, tout cela me donnait des impressions de commandant de bord.

Partir vers le Sud-Ouest, surchargés de vélos de l’année, de cerfs-volants de l’année dernière, de malles de draps, de valises de maillots de bain et de granulés pour chien, me remplissait de bonheur.

Ecouter tout en conduisant entre Mérignac et le Ferret Sébastien et son ami Marc discuter sur la banquette arrière des professions respectives de leur père fut un enchantement.

Par une nuit d’orage, partir seul avec Ena et conduire jusqu’à la Pointe, se garer face à l’Océan et, la main posée sur le crâne du chien, confiant, observer à travers le pare-brise la tempête qui se déchainait sur la dune du Pyla fut un moment intense.

Céder la place du conducteur à Guillaume, lui rappeler la technique pour rétrograder en douceur de la quatrième vitesse à la troisième, le surveiller du coin de l’œil dans sa conduite jusqu’à Paris tandis que le reste de la famille dormait, tranquille, à l’arrière, furent des moments de plénitude.

Cette voiture ne dura bien sûr que quelques années, mais, pleine des souvenirs de grands moments de petits bonheurs, elle reste pour moi un peu comme une maison de vacances où l’on a été heureux, ensemble, quelques semaines, quelques années.

C’est bête, hein ?

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