Archives de catégorie : Textes

J’en ai marre !

Il y a six ans environ, je publiai cette critique de la conversation. Les choses ayant plutôt tendance à empirer dans ce domaine, il devenait urgent que je la publie à nouveau. 

J’en ai marre !

La conversation est sans conteste l’une des activités qui distingue le mieux l’homme de l’animal. Qui plus est, c’est aussi l’exercice qui permet de distinguer l’homme distingué de l’homme tout court. Nos ancêtres, tout au moins ceux d’entre eux qui, depuis Platon jusqu’au baron de Charlus, se trouvaient en haut de leur panier, avaient poussé l’art de converser vers des sommets qui, contemplés aujourd’hui depuis nos marécages embrumés, paraissent bien inaccessibles.
S’il existe plusieurs catégories de conversations, chacune d’entre elles, quand elle est honorablement pratiquée, peut présenter de l’intérêt. On distingue habituellement:

—les propos anodins ou, comme disent les anglais, small talks, les petites conversations, sur le temps qu’il fait, l’augmentation du prix des fruits et légumes ou l’ingratitude des enfants,
—le dialogue, qui est un échange de propos sensés, d’égal à égal, du moins pour le temps de l’exercice,
—la conférence, forme élaborée du soliloque, et sa forme plus modeste, la causerie qui, malheureusement, consistent la plupart du temps à asséner des banalités à des gens qui sont peut-être venus pour ça, mais pas toujours de leur plein gré,
le conciliabule, qui réunit au moins deux personnes pour se mettre d’accord par la discussion sur un certain nombre de points ou de dispositions à prendre, et qui revêt toujours un aspect Continuer la lecture de J’en ai marre !

Go West ! (43)

(…) J’ai confirmé que j’avais bien compris : Marylin s’était suicidée. Sur place, il faudrait jouer mon rôle de flic normal, sanctuariser les lieux, faire les constatations, interroger les témoins tout en faisant mon boulot d’agent double en cherchant un Dictaphone. Pour quoi il faudrait faire tout ça, je n’en avais aucune idée. Je me disais que je ne le saurais probablement jamais, mais qu’avec Marylin et tous les pontes qui tournaient autour ce devait être drôlement important. Deux minutes plus tard, j’entrai dans 5th Helena drive. Il était 10:34 p.m.

C’est un cul de sac. La maison de Marylin est tout au fond, portail ouvert. Deux voitures garées côte à côte font face à la porte d’entrée, un cabriolet T’Bird et une Rolls Royce décapotée. Sous le porche il y a un type en bermuda qui s’avance vers moi entre les deux voitures. Je le reconnais tout de suite, c’est Peter Lawford, l’acteur. Je ne suis pas surpris, tout le monde sait que c’est un ami intime de Marylin. Je me présente. Lawford a l’air bouleversé.  Dans le désordre, il me dit que Marylin est dans sa chambre, qu’elle est morte, sur son lit, que c’est la nurse qui l’a appelé, qu’il est venu tout de suite, que c’est terrible, qu’il a cassé un carreau pour entrer dans la chambre, qu’elle a fait une overdose, qu’elle est morte, qu’il a appelé le médecin de Marylin, que la nurse a appelé la police, que c’est bien d’être venu si vite, qu’elle est morte… Je finis par l’interrompre et lui demander Continuer la lecture de Go West ! (43)

Une nouvelle émission de Berthe Granval

Berthe Granval poursuit sa série d’émissions littéraires de l’après-midi. Après Pierre -André Mariotte, dont l’interview du 13 novembre 2016 est encore dans toutes les mémoires, elle reçoit aujourd’hui Philippe-Jean Coutheillas, dont feu Bernard Pivot disait avec regret qu’il n’en avait jamais entendu parler.

*

Il est dix-sept heures et cinq minutes. Les premières notes du Clair de Lune de Debussy s’égrènent lentement, puis une voix s’élève, effaçant presque la musique :

— Bonsoir, c’est Berthe Granval qui vous invite comme chaque après-midi à écouter ses « Histoire d’écrire« .

Le son du piano remonte quelques secondes, puis redescend. A nouveau, la voix :

— Aujourd’hui, je reçois l’écrivain Philippe-Jean Coutheillas. Bonsoir Philippe-Jean Coutheillas.
— Bonsoir, chère Berthe Granval.

Les notes remontent, ruissèlent, s’affaiblissent et disparaissent. Continuer la lecture de Une nouvelle émission de Berthe Granval

Go West ! (42)

Un peu déçu, je compris à la lecture de cet article de Vanity Fair que ce n’était pas chez Lawford que je trouverai les réponses à mes questions. Bien qu’il ait divorcé depuis longtemps de Patricia et bien que John F. et Robert aient disparus peu d’années après Marylin, pouvais-je en attendre davantage d’un ex-membre de la puissante famille Kennedy ?
Les mémoires de Jack Clemmons devait s’avérer beaucoup plus intéressantes.

En août 1962, Jack Clemmons venait d’avoir 38 ans et il était sergent dans la police de Los Angeles, le fameux LAPD. Il termina sa carrière en tant que chef de la police municipale de Fort Myers en Floride où il prit sa retraite pour y mourir en 1998. Quelques années auparavant, il avait fait paraître un livre de souvenirs intitulé « Say good by to the President ». C’est de ce livre que j’ai tiré l’essentiel des informations que je reproduis ci-dessous.

Diplômé en droit de New-York University en 1947, le jeune Clemmons obtint un emploi au FBI. Après une formation complémentaire de six mois à Quantico, il effectua quelques missions banales en Californie en tant qu’adjoint d’un agent confirmé. A cette époque, l’inamovible directeur du FBI, J. Edgar Hoover, avait la ferme conviction qu’Hollywood était un nid d’espions communistes, souvent juifs et toujours dépravés. Il avait donc infiltré un petit nombre de ses agents dans le LAPD. Ces taupes du FBI étaient chargées de lui transmettre tout ce Continuer la lecture de Go West ! (42)

GO WEST ! (41)

Je sentais monter en moi une évidence, de plus en plus claire, incontestable, effrayante : cet enregistrement était terriblement dangereux. Je ne voulais aucun rôle, aucune responsabilité dans cette affaire ! Il fallait que je me débarrasse du dictaphone au plus vite. Que la police se débrouille toute seule pour découvrir la vérité sur la mort de Marylin. Mais la panique s’était installée en moi et si je pouvais encore penser, ce n’était qu’à ce qui pourrait m’arriver si j’étais pris avec cette pièce à conviction. Il n’était plus question de tentative de corruption d’un officier de police, de possession illégale d’arme à feu ou de coups et blessures sur une citoyenne américaine mais d’obstruction à la justice dans une scabreuse affaire d’État.
Il fallait que je me débarrasse de ce truc…

Au cours de la soixantaine d’années qui s’est écoulée depuis mon premier périple américain, j’ai effectué bien des voyages à travers le monde, il m’est arrivé de croiser de façon fugace quelques célébrités et si j’ai vécu quelques circonstances historiques, ce fut toujours de façon involontaire, passive et marginale. Mais la mort de Marylin Monroe est sans conteste l’événement mondial le plus important auquel j’ai pu être mêlé d’aussi près.

Dans les heures qui avaient suivi le constat du décès de Marylin, le Coroner avait conclu à un probable suicide et, par la suite, plusieurs enquêtes officielles ont confirmé cette conclusion. Mais ni la première enquête de police ni celles qui ont suivi n’ont réussi à convaincre personne. Star hollywoodienne, personnages politiques de premier plan, scandale, faux témoins, vrais amis, journalistes à sensation, enquêteurs privés et préférence naturelle du public pour le complot, tous les ingrédients étaient réunis pour que Continuer la lecture de GO WEST ! (41)

La règle du jeu

Critique aisée n°234 (Rediffusion)

George Mikes a dit : « La meilleur définition de l’humour que je connaisse est celle-ci : ‘’L’humour est une affirmation de la dignité de l’homme, une façon de déclarer sa supériorité à tout ce qui lui arrive.’’ Je dis que c’est la meilleure définition parce que c’est moi qui l’ai trouvée. »
Eh bien, comme George, je trouve que ma critique de La Règle du jeu est la meilleure que l’on puisse trouver. C’est pourquoi je vous la ressert sans vergogne. 

La Règle du jeu
Jean Renoir – 1939
Marcel Dalio, Nora Grégor, Jean Renoir, Roland Toutain, Paulette Dubost, Julien Carette, Gaston Modot…

La première fois
La première fois que j’ai vu La Règle du jeu, c’était au Champollion. Pas à l’Actua-Champo, non, dans la grande salle, au Champo.
La grande salle du Champollion ! Cent places ? Cent cinquante ? Légèrement en pente, elle était si petite que, pour pouvoir projeter sur un écran de taille acceptable, le propriétaire avait fait installer un système très particulier : par le truchement d’un périscope, le film était projeté sur le mur du fond de la salle où un miroir renvoyait les images sur l’écran. L’Actua-Champo, dont la salle était encore plus petite, ne bénéficiait pas, je crois, de ce système ; c’est dire la taille de l’écran.
Mais la première fois que j’ai vu La Règle du jeu, c’était bien au Champollion, dans la grande salle.
Je devais avoir 17, 18, 19 ans tout au plus. C’était l’été, les vacances… le mois d’août plus précisément. Il faisait chaud, sûrement. J’étais seul. À ce moment-là, je n’avais pas de petite amie, ou alors elle n’était pas là, je ne sais plus. Il devait être 4 heures de l’après-midi et je passais rue des Écoles, probablement à la recherche d’une âme sœur. On n’est pas sérieux quand on a 17 ans et qu’on a des platanes verts sur le Boulevard Saint-Michel.
Il devait faire chaud, je l’ai dit. Je crois même qu’il y avait de l’orage dans l’air, pas au sens figuré, de l’orage, du vrai. L’affiche au-dessus de l’entrée annonçait « La Règle du jeu« . Elle n’était pas bien tentante. C’était l’affiche originale sans doute. On y voyait surtout deux visages, celui Continuer la lecture de La règle du jeu

Go West ! (40)

Toute la L.A.’s Gate semblait me dire « C’est ici qu’on construit le monde ! C’est ici que ça se passe, mon vieux ! Ici, tout le monde est bronzé, tout le monde fait du sport, tout le monde travaille, tout le monde gagne de l’argent ! Alors ? Qu’est-ce que tu attends pour en faire autant ? »
Debout sous le soleil, les bras ballants au milieu de cette fourmilière bigarrée, pendant quelques instants, j’avais oublié Marylin. Mais la parenthèse insouciante s’est refermée quand sa voix est revenue : « Dans une heure, je serai morte. J’espère que Jack et Bobby pourriront en enfer. »

Oublier Marylin ! Je voudrais bien moi, mais comment faire ?

Marylin, Kennedy, Lawford, Clemmons… ces noms tournent dans ma tête. Et ces mots aussi « Dans une heure, je serai morte… je veux mourir parce que je ne veux plus passer ma vie à attendre… si tu continues à nous emmerder, tu vas en baver, ma cocotte ! … on aurait dit un gangster… que Jack et Bobby pourrissent en enfer ! » Et cette voix qui est enfermée dans ma poche…

Tout ça me dépasse. Je ne sais pas quoi faire. Je n’ose pas me demander ce qu’il faudrait faire ; je n’ose même pas poser le problème. Je n’ai plus envie de jouer, je ne veux plus être le privé redresseur de torts de la nuit dernière, je veux juste me retrouver avec cinq copains dans une Hudson à cinquante dollars sur la route de San Francisco. Je veux juste que rien de tout cela ne soit arrivé ; je n’ai pas aperçu Peter Lawford à travers une vitre de voiture de police, je n’ai pas ramassé le dictaphone, je n’ai jamais approché la maison de Marylin Monroe, je n’ai rien à voir avec tout ça.  Mais mon pauvre déni ne dure pas : j’ai vu Lawford, j’ai pris le dictaphone, j’ai écouté la cassette, Marylin est morte et je sais pourquoi. Je suis le seul à le savoir, le seul peut-être avec Peter Lawford.

A ce moment, me revient du fond de ma mémoire que Lawford Continuer la lecture de Go West ! (40)

Averses à La Flotte

Mercredi 3 avril : Pluie ininterrompue à La Flotte
par Lorenzo dell’Acqua

         Quand on ne joue ni aux cartes ni au scrabble, le mauvais temps à la mer oblige à se rabattre sur des activités solitaires. Cette semaine, j’ai lu un roman de Jean d’Ormesson dont le sous-titre aurait pu être : l’Eloge de la Futilité. Contrairement à ce qu’il dit avec une fausse modestie dont il est coutumier, ce livre ou plutôt cette autobiographie, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, est de loin son meilleur roman. Et il faut bien reconnaître que la réalité y dépasse la fiction. Cette constatation me perturbe un peu car il m’est devenu de plus en plus difficile de lire des ouvrages de fiction. Il me semble logique d’aimer les fictions quand on est jeune et que la vie s’offre à nous avec toutes ses possibilités. On y découvre alors les voies que l’on aimerait emprunter ou au contraire celles qui nous rebutent. Mais quand la vie est derrière nous, se plonger dans la fiction ne m’intéresse plus et me semble même absurde. A quoi revenir sur ce que nous n’avons pas réalisé ou su réaliser au cours de notre vie ? Aurais-je dû être un autre ? C’est le début de la dépression, à coup sûr !

         La lecture de ce livre de Jean d’O est troublante Continuer la lecture de Averses à La Flotte

Grand tourisme

Le poème qui suit a déjà été publié le 5 juillet 2018 sous le titre
 Les valises à roulettes.

Les achélèmes de Costa accostent au quai d’ Ostie.
Les réacteurs faciles encombrent da Vinci.
Le Grand Raccord Annulaire est pris en masse.
Les valises à roulettes ébranlent les pavés de Rome.

Couples âgés de touristes
cheveux blancs mais tenue de sport
ils sont encore en forme
et parcourent la ville en se tenant la main.

Touristes en troupeaux
derrière le parapluie rouge replié de leur guide
abrutis de fatigue, de pavés noirs et de culture
ils ingurgitent Auguste juste avant Michel-Ange
et confondent déjà le Colisée et le Capitole.

Jeunes gens en bandes, ou par deux Continuer la lecture de Grand tourisme

Go West ! (39)

(…)
« Santa Clarita, c’est bon pour toi ?
— C’est loin ?
— Environ trente miles vers le Nord.
— Formidable !
— Alors monte, mon gars ; on y va ! »
En démarrant, il ajoute : « Je suis Joe. Et toi ? ». Mais je ne réponds pas parce que sur le plancher, devant moi, il y a un journal. C’est le Los Angeles Times. J’ai les pieds dessus. On dirait une édition spéciale. Elle est pliée en deux, mais entre mes chaussures, je lis :
« MARYLIN MONROE DIES, BLAME PILLS »

C’est écrit en lettres capitales grasses. Le titre tient toute la page. Juste en dessous, on peut voir la partie haute d’une photographie. C’est un portrait. Il est coupé au niveau du front par la pliure du journal. On n’en voit qu’une chevelure blonde. Mais c’est bien elle ; c’est Marylin ! Et elle est morte. Pauvre fille, toujours si jolie, si innocente, si gaie dans ses films. En fermant les yeux, je la revois descendre cet escalier de « Sept ans de réflexion« , chanter dans ce wagon-lit de « Certains l’aiment chaud« . A l’instant, les mots qui me viennent à l’esprit pour la définir, c’est ‘’adorable… fragile’’… et maintenant ‘’morte’’. Comme je reste figé devant le journal, Joe me dit :
« Ah, tu as vu, Marylin est morte ! C’est triste, hein ? Une jolie fille comme ça ! »
—Je ne comprends pas « blame pills« . Qu’est que ça veut dire ? Continuer la lecture de Go West ! (39)