Archives par mot-clé : Proust

Rendez-vous à cinq heures avec l’Entre-deux selon Philippe

La page de 16h47 est ouverte…*


Comme vous l’avez compris, je l’espère, les textes en gras sont l’incipit et l’excipit d’ À la recherche du temps perdu, et ce qui est entre les deux est de Philippe

Longtemps, je me suis couché de bonne heure,
vers les sept heures, sept heures trente. La plupart du temps, je m’endormais sans difficulté, presque immédiatement, pour me réveiller sur les coups de trois heures du matin sous l’effet d’un besoin naturel de satisfaire une envie pressante. Alors, en vêtement de nuit, malgré l’obscurité la plus totale qui régnait dans notre maison et grâce à la parfaite connaissance que l’habitude m’en avait donnée, je franchissais sans difficulté les quelques mètres qui me séparaient des lieux d’aisance. Ceci fait, et une fois de retour dans ma chambre, j’allumais enfin ma chandelle et me consacrais à ma collection d’aiguilles de pin d’Alep jusqu’à ce qu’immanquablement, à sept heures précises, Françoise m’apportât mon petit déjeuner. 

Un matin de novembre, je trouvai, appuyée  contre la théière d’argent Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures avec l’Entre-deux selon Philippe

Retour de Campagne (39) Jeu de l’ Entre-deux.

Retour de Campagne (39)

N.B. Pour simplifier la tâche des typographes du JdC, le titre « Retour de Campagne » sera remplacé dès demain par « Rendez-vous à cinq heures ». Pas trop tristes ?

Jeu de l’Entre-deux 

Avec ce jeu, on va compliquer un peu les choses. On va imposer et l’incipit et l’excipit. 

Autrement dit, il va vous falloir remplir de façon logique et, si possible, surprenante l’espace compris entre l’incipit de Du côté de chez Swann, premier volume de la Recherche du temps perdu et l’excipit du Temps retrouvé, son dernier volume.

Entre les deux, Marcel avait écrit 3000 pages. Vous n’êtes pas obligé d’en faire autant. Mais, à mon avis, il y a de quoi faire. Vous avez une semaine. Mais c’est bien parce que c’est Noël.

*

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. 

…………

Mais c’est quelquefois au moment où tout nous semble perdu que l’avertissement arrive qui peut nous sauver : on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu’on aurait cherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir et elle s’ouvre. »

Proust au Ritz

Marcel Proust était un habitué de l’hôtel Ritz. Il y venait souvent y diner seul.

Il y occupait également un appartement dans lequel il donnait des réceptions, des concerts, des auditions musicales et des diners.

Quand il recevait à diner, il arrivait souvent qu’il prenne son propre repas avant l’arrivée de ses invités. C’était dans le but de se rendre plus disponible pour converser avec ses amis.

La journée, il passait des heures dans le grand hall. Il se plaçait toujours au même endroit , dans un fauteuil qu’il avait choisi pour Continuer la lecture de Proust au Ritz

Legrandin ou « Comment éviter de rendre service »

Cette scène est extraite de « Du côté de chez Swann ». Elle met en scène Monsieur Legrandin, ingénieur, poète au langage fleuri, qui au premier abord impressionne fortement le narrateur. Mais un peu plus tard, il se rendra compte, dans une autre scène, que Monsieur Legrandin est un snob de la plus belle espèce, et dans celle-ci, qu’il est prêt à tout dire pour éviter d’avoir à introduire quelqu’un auprès de sa sœur, qui a épousé un petit noble de la région de Balbec.
Cet extrait est pour moi absolument exemplaire de la façon dont le petit Marcel décrit l’hypocrisie de ses personnages.
Quand la scène commence, Legrandin, qui est en train de décrire les beautés de la Côte d’Opale, prononce le nom de Balbec, station balnéaire où doit bientôt se rendre le narrateur en vacances.

— (…) De Balbec surtout, où déjà des hôtels se construisent, superposés au sol antique et charmant qu’ils n’altèrent pas, quel délice d’excursionner à deux pas dans ces régions primitives et si belles

— Ah! est-ce que vous connaissez quelqu’un à Balbec? dit mon père. Justement ce petit-là doit y aller passer deux mois avec sa grand’mère et peut-être avec ma femme.

Legrandin pris au dépourvu par cette question à un moment où ses yeux étaient fixés sur mon père, ne put les détourner, mais les attachant de seconde Continuer la lecture de Legrandin ou « Comment éviter de rendre service »

De l’introspection par la lecture

Morceau choisi

L’écrivain ne dit que par une habitude prise dans le langage insincère des préfaces et des dédicaces : « mon lecteur ». En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage de l’écrivain n’est qu’une espèce d’instrument optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans ce livre, il n’eut peut-être pas vu en soi-même. La reconnaissance en soi-même, par le lecteur, de ce que dit le livre est la preuve de la vérité de celui-ci, et vice-versa, au moins dans une certaine mesure la différence entre les deux textes pouvant être souvent imputée non à l’auteur mais au lecteur.

Marcel Proust – Le Temps retrouvé

 

Excipit

Morceau choisi

« Si du moins il m’était laissé assez de temps pour accomplir mon œuvre, je ne manquerais pas de la marquer au sceau de ce Temps dont l’idée s’imposait à moi avec tant de force aujourd’hui, et j’y décrirais les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes – entre lesquelles tant de jours sont venus se placer – dans le Temps.« 

C’est avec cette phrase¹ que Marcel Proust termine l’œuvre gigantesque qu’il avait commencée trois mille pages plus tôt avec « Longtemps, je me suis couché de bonne heure.« 
Cet excipit est plus représentatif, non du style, mais de la phrase que le petit Marcel construit habituellement, cette phrase que Paul Morand, tout en s’amusant à pasticher le style qu’il décrivait, analysait ainsi :

« Cette phrase chantante, argutieuse, raisonneuse, répondant à des objections qu’on ne songerait pas à formuler, soulevant des difficultés imprévues, subtile dans ses déclics et ses chicanes, étourdissante dans ses parenthèses qui la soutiennent comme des ballons, vertigineuse par sa longueur, surprenante par son assurance cachée sous la déférence, et bien construite malgré son décousu, vous engaine dans un réseau d’incidents si emmêlés qu’on se serait laissé engourdir par sa musique si l’on n’avait été sollicité soudain par quelques pensées d’une profondeur inouïe ou d’un comique fulgurant.« 

¹ Marcel Proust – À la Recherche du temps perdu – Le Temps retrouvé

Proust, c’est moi !

 » Borgès disait que Shakespeare n’existait pas, que Shakespeare était le lecteur de Hamlet dans le temps de la lecture, au moment où il lisait Hamlet. Shakespeare, c’est moi quand je lis Hamlet. Eh bien je trouve que cette boutade, superbe, s’applique admirablement à Proust. Proust, c’est moi lorsque je lis À l’ombre des jeunes filles en fleurs. C’est en cela qu’on pourrait dire que quand on lit Proust, on l’écrit, on a le sentiment de l’écriture, on participe, en somme, et au monde de Proust et à sa mise en œuvre. On rentre dans l’univers par les portes laissées ouvertes par lui. »
Marguerite Duras – interview 1963

Voilà qui aurait plu sans doute (mais peut-on jamais être certain ?)  à un certain commentateur du JdC, René-Jean, aujourd’hui silencieux, dont l’un des nombreux chevaux de bataille, car c’est bien de batailles qu’il s’agissait, était que le lecteur et non l’auteur donnait son sens au message. D’où les « Shakespeare n’existe pas… » de Borgès et les « Proust, c’est moi » de Duras. Entre nous, je ne suis pas tout à fait certain que ces boutades, car c’est ainsi que Duras qualifie ces sentences, abondent véritablement dans le sens du cheval de René-Jean, mais sait-on jamais ?

Quoiqu’il en soit, elles ne sont pas à confondre avec les « Madame Bovary, c’est moi » de Flaubert et les « Walter Mitty, c’est moi » de votre serviteur. Mais ceci est une autre histoire, déjà racontée ici.

Bientôt publié

11 Mar, 7 h 47 min Pourquoi la mer est salée
12 Mar, 7 h 47 min Les pingouins
13 Mar, 7 h 47 min Une douche froide (1/5)
14 Mar, 7 h 47 min L’histoire, on s’en fout

Les pavés de l’Hôtel de Guermantes

temps de lecture: 18 minutes
Morceau choisi

Les pavés de l’Hôtel de Guermantes

Il y a quelques jours, j’ai publié ici le fameux passage de la Recherche du temps perdu qui évoque la Petite Madeleine. Dans mon commentaire d’introduction à ce monument, j’émettais l’opinion que, si relativement peu de monde avait lu ces quelques pages, tout le monde avait entendu parler de cette Madeleine et que pas mal de gens avaient même une idée assez nette de ce qu’elle signifiait.

Mais, dans la Recherche, il est un autre passage qui traite de la mémoire, la mémoire involontaire, la seule qui compte vraiment. Ce passage est tout aussi important, et peut-être même plus que celui de la Madeleine. C’est celui des pavés inégaux de la cour de l’Hôtel de Guermantes. Il est sensiblement plus long que celui de la Madeleine, et à cela je vois deux raisons. Continuer la lecture de Les pavés de l’Hôtel de Guermantes

A propos de l’affaire Dreyfus

En réalité, nous découvrons toujours après coup que nos adversaires avaient une raison d’être du parti où ils sont et qui ne tient pas à ce qu’il peut y avoir de juste dans ce parti, et que ceux qui pensent comme nous c’est que l’intelligence, si leur nature morale est trop basse pour être invoquée, ou leur droiture, si leur pénétration est faible, les y a contraints.

Marcel Proust – Sodome et Gomorrhe

Pas facile, cette phrase, hein?

Proust fait cette remarque à propos de l’affaire Dreyfus pour expliquer les positions successives de certains de ses personnages :
—Le grand monde pense que Swann est dreyfusard parce qu’il est juif
—Le narrateur pense que Robert de Saint-Loup est dreyfusard malgré sa noblesse parce qu’il est intelligent
—Le grand monde pense que Saint-Loup est dreyfusard parce que sa maitresse est juive
—Swann pense que le Prince de Guermantes est anti-dreyfusard parce qu’il est aristocrate
—Le Prince de Guermantes devient dreyfusard par droiture

Aucune de ces raisons ne tient compte de ce qu’il peut y avoir de juste dans ce parti.

Aujourd’hui, alors que le moindre évènement politique prend une allure d’affaire Dreyfus, la phrase du petit Marcel reprend toute son actualité. Demandons-nous à quelle raison nous attribuons les positions de ceux qui ne pensent pas comme nous. On verra que rarement ce sera « ce qu’il peut y avoir de juste dans ce parti. »

Bientôt publié

    • 21 Mar, ………Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
    • 22 Mar, ………Tableau 246
    • 23 Mar, …….. La fin de l’écriture
    • 24 Mar, ……..Big Bang