Rendez-vous à cinq heures avec l’Entre-deux selon Lorenzo

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Comme vous l’avez compris, je l’espère, les textes en gras sont l’incipit et l’excipit d’ À la recherche du temps perdu, et ce qui est entre les deux est de Lorenzo.

 

A la recherche du sommeil perdu

Longtemps, je me suis couché de bonne heure, 
mais, à la grande désolation de ma mère, je ne m’endormais jamais avant que ne s’inscrive sur la montre gousset en or massif de cinquante carats de chez Gaeger-le-Coultre, offerte pour l’anniversaire de mes dix ans par mon oncle Philippe, le chiffre fatidique « minuit » annonçant le passage tant redouté à un jour suivant et différent. Ma mère, que le petit personnel avait surnommée affectueusement Lariégeoise, convaincue que mes difficultés d’endormissement nuisaient à mes performances scolaires au Lycée Condorcet où j’étais entré en sautant une classe grâce à ce que certains envieux appelaient avec dédain un « piston », en réalité l’intervention bienveillante et à peine insistante de mon oncle Philippe, celui-là même qui m’avait offert la montre, essayait donc d’y remédier par tous les moyens dont elle disposait comme la lecture le soir après le paisible dîner familial des Fables de Monsieur de La Fontaine ou bien du supplément illustré hebdomadaire du Journal des Coutheillas pour les petits enfants sages de dix ans et originaires de préférence des beaux quartiers, mais sans connaître la moindre efficacité, hélas, je m’empresse de le dire pour que personne ne s’égare en de vaines et inutiles espérances relatives à la cure définitive de cette insomnie invalidante que je tenais d’ailleurs en toute vraisemblance de sa sœur aînée Angela, autrement dit de ma propre tante, qui, elle aussi, souffrait depuis sa plus tendre jeunesse de cette infirmité qualifiée à juste titre par mon père, ce brillant et reconnu médecin parisien spécialisé en Médecine Interniste, c’est-à-dire, pour les ignorants, en maladies rares et peu connues, de trouble bénin et héréditaire à transmission autosomique dominante n’épargnant ni les membres masculins ni les membres féminins ou féminines de la famille (là, j’ai un doute grammatical qui ne relève pas d’une inclination discutable de ma nature, et, d’ailleurs, je vous rassure, Marcel et Philippe ne savent pas non plus), trouble qu’il avait d’ailleurs été amené à étudier avec un groupe de jeunes élèves au sex ratio franchement déséquilibré, comme le découvrit un jour sa fidèle épouse et comme il se refusait obstinément à le reconnaître lors des conversations orageuses du repas dominical après la messe à la cathédrale Sainte Cécile située à deux pas de chez nous où il avait communié et était donc censé s’être confessé au préalable de tous ses misérables fantasmes sentimentaux, à l’occasion de ses consultations  matinales et bénévoles à l’Hôpital de la Pitié-Salpétrière qui lui permettaient d’exercer ses fonctions d’Assistant des Hôpitaux de Paris, certes à titre honoraire vu son âge déjà avancé à cette époque, mais lui conférant, comme le sait tout un chacun, des charges d’enseignement clinique aux futures générations de sauveurs de nos concitoyens bénéficiant d’une prise en charge effective par la Sécurité Sociale nouvellement créée et à jour de leurs cotisations semestrielles encore d’une incroyable modicité au moment où je rédige ces lignes. Ma mère, cette sainte dont la mémoire m’est restée intacte si longtemps après sa disparition dans des circonstances mal élucidées où intervint sa lassitude à supporter la vie bruyante et harassante de la capitale, seule à la tête de notre maisonnée de trois personnes depuis la mort de mon père due à un arrêt cardiaque aussi inattendu que définitif, m’empêche aujourd’hui de m’endormir par un curieux paradoxe ou bien, comme ont coutume de le dire les paysans frustres des fermes autour de la maison de Tante Léonie à Combray, ce charmant village de mon enfance perdu au milieu des champs dorés de blé en pleine Beauce et si accessible désormais en train depuis la gare d’Austerlitz, par un cruel retour de bâton, ma mère, donc, à cette époque encore vivace et téméraire, s’enhardit un jour, en désespoir de cause et alors que cela lui avait été interdit de façon formelle et même avec une certaine agressivité par mon géniteur pourtant loué dans tous les salons mondains de la capitale pour sa gentillesse proverbiale, à tenter d’ouvrir les portes d’habitude hermétiquement closes du cabinet du docteur Proust, son mari, pendant une absence justifiée de ce dernier, mais qui, par une chance inespérée, ne l’étaient pas ce jour-là ce qui lui permit de s’y introduire et de fouiller telle une furie hystérique dans tous les tiroirs et toutes les étagères de ses placards emplis jusqu’à la gueule d’échantillons de médicaments que de jeunes et souvent jolies déléguées des laboratoires pharmaceutiques célèbres lui fournissaient gracieusement et parmi lesquels, ô divine surprise, elle tomba sur un produit au nom de fleur avec des x et des z qualifié dans la notice d’accompagnement de somnifère doux dont la prescription, loin d’être réservée aux vieillards cacochymes, pouvait aussi être proposée aux enfants en bas âge insomniaques comme c’était justement mon cas. Déjà parvenue à l’extérieur du cabinet de mon père, et après en avoir soigneusement refermé les lourdes portes de chêne que mon père tenait d’habitude verrouillées, elle se dit en son for intérieur : 
mais c’est quelquefois au moment où tout nous semble perdu que l’avertissement arrive qui peut nous sauver : on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu’on aurait cherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir et elle s’ouvre.

*(…) RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES pourrait être l’occasion pour vous de reprendre cette expression, à propos de tout, de rien, d’un évènement, d’un film, d’un animal (plus de veaux svp), du temps qu’il fait. Un texte de fiction, un souvenir, un poème, un coup de colère ou d’enthousiasme sur la vie qui va, un peu tout ce que je fais en tant que rédacteur quasi unique du JdC. L’avantage du RENDEZ-VOUS par rapport au commentaire d’article est que vous serez libérés de l’obligation de rester à peu près dans le cadre du sujet de l’article.
Ça pourrait marcher comme ça : vous écrivez votre machin en Word, vous lui donnez un titre et si vous le souhaitez, vous y joignez une photo vous m’envoyez le tout par email en me précisant quelle signature vous souhaitez voir apparaître sous le texte, votre pseudonyme ou votre vrai nom. (…)
(JdC du 13/05/2020 — Extrait))

2 réflexions sur « Rendez-vous à cinq heures avec l’Entre-deux selon Lorenzo »

  1. @Lariégeoise. Je remercie très sincèrement Lariégeoise pour ses encouragements aux participants bénévoles (et non rémunérés) du blog parce que ce n’est pas de la tarte d’écrire des textes avec les contraintes paranoïaques imposées par le Rédacteur en Chef. Merci donc à vous, Madame.

  2. chapeau l’artiste! Notre nouvel coauteur vient de produire une longue phrase proustienne!
    C’est un journal à quatre mains désormais?
    Mais c’est bien cette nouvelle formule.

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