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Bonnes nouvelles

« La nouvelle se porte bien1 ; elle est en train d’échapper aux périls où le roman est exposé (occupation du terrain par les écrivains philosophes, dissociation du moi, effondrement du sujet, après celui de l’objet)2. La nouvelle tient bon, grâce à sa densité. Elle garde un public vrai, celui qui ne demande pas un livre de lui servir d’aliment (un écrivain n’est pas un restaurant). Il n’y a pas de quoi se nourrir dans une nouvelle, c’est un os. Pas de place pour la méditation, pour un système de pensée. On peut tout mettre dans une nouvelle, même le désespoir le plus profond, mais pas la philosophie du désespoir. Les personnages sont cernés, gelés dans leur caractère ; ils n’ont pas le temps de tomber malade, de mourir de la maladie du roman contemporain. La nouvelle opère à chaud, le roman, à froid. La nouvelle est une nacelle trop exiguë pour embarquer l’Homme : un révolté, oui, la révolte, non. »
Paul Morand – Ouvert la nuit -Préface à l’édition de 1957

Ouvert la nuit, publié en 1921, est le deuxième recueil de nouvelles de Paul Morand (1888-1976).  Morand fut un diplomate écrivain, beaucoup plus écrivain que diplomate, antisémite, dandy, ambassadeur sous Vichy, beaucoup plus dandy qu’ambassadeur,  à ma connaissance ni condamné ni même jugé pour collaboration, mais exilé Continuer la lecture de Bonnes nouvelles

Excipit

Morceau choisi

« Si du moins il m’était laissé assez de temps pour accomplir mon œuvre, je ne manquerais pas de la marquer au sceau de ce Temps dont l’idée s’imposait à moi avec tant de force aujourd’hui, et j’y décrirais les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes – entre lesquelles tant de jours sont venus se placer – dans le Temps.« 

C’est avec cette phrase¹ que Marcel Proust termine l’œuvre gigantesque qu’il avait commencée trois mille pages plus tôt avec « Longtemps, je me suis couché de bonne heure.« 
Cet excipit est plus représentatif, non du style, mais de la phrase que le petit Marcel construit habituellement, cette phrase que Paul Morand, tout en s’amusant à pasticher le style qu’il décrivait, analysait ainsi :

« Cette phrase chantante, argutieuse, raisonneuse, répondant à des objections qu’on ne songerait pas à formuler, soulevant des difficultés imprévues, subtile dans ses déclics et ses chicanes, étourdissante dans ses parenthèses qui la soutiennent comme des ballons, vertigineuse par sa longueur, surprenante par son assurance cachée sous la déférence, et bien construite malgré son décousu, vous engaine dans un réseau d’incidents si emmêlés qu’on se serait laissé engourdir par sa musique si l’on n’avait été sollicité soudain par quelques pensées d’une profondeur inouïe ou d’un comique fulgurant.« 

¹ Marcel Proust – À la Recherche du temps perdu – Le Temps retrouvé

Se survivre au participe passé

La règle du participe passé invariable des verbes qui ne peuvent avoir de complément d’objet direct nous fournit une liste qui, à elle seule, est un joli roman :

se rassembler   —  se sourire  —  se parler  —  se convenir  —  se complaire  —  se suffire  —  se mentir  —  se déplaire  —  s’entretenir  —  se succéder  —  se survivre

Paul Morand – Journal inutile – 5 janvier 1971

Sans vouloir être pédant, je vous inflige un petit rappel (extrait de L’Obs-Conjugaison). Si ça peut vous être utile… Continuer la lecture de Se survivre au participe passé

La phrase de Proust

Si vous voulez savoir ce que je pense de Marcel Proust, allez lire ma critique « Ne lisez jamais Proust !« 

Mais  si vous voulez savoir ce que Paul Morand pensait de la longue phrase caractéristique du petit Marcel, lisez ce qui suit:

« Cette phrase chantante, argutieuse, raisonneuse, répondant à des objections qu’on ne songerait pas à formuler, soulevant des difficultés imprévues, subtile dans ses déclics et ses chicanes, étourdissante dans ses parenthèses qui la soutiennent comme des ballons, vertigineuse par sa longueur, surprenante par son assurance cachée sous la déférence, et bien construite malgré son décousu, vous engaine dans un réseau d’incidents si emmêlés qu’on se serait laissé engourdir par sa musique si l’on n’avait été sollicité soudain par quelques pensées d’une profondeur inouïe ou d’un comique fulgurant. »

Si vous voulez un bel exemple de la phrase proustienne, cliquez sur Proust à longueur de phrase