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Une matinée de rêve

Diffusé une première fois en juillet 2016

Comme tous les matins, il ouvre vivement la porte du bureau de sa secrétaire et lance un Bonjour-Léna-comment-ça-va-ce-matin joyeux et sonore.
Tout de suite, il ajoute qu’il fait un temps magnifique, hein, est-ce qu’elle a remarqué, et que, bon, il faudrait qu’elle appelle Drumont pour déplacer le rendez-vous de mardi prochain, non, il veut dire pour le maintenir mardi prochain, mais ailleurs, est-ce qu’elle voit ce qu’il veut dire,  ici, au bureau, par exemple, enfin comme ça l’arrange, lui, Drumont, hein,  ah oui ! et puis aussi il faudrait lui réserver un avion et une voiture pour Bordeaux, pour demain matin de bonne heure, enfin pas le premier avion quand même, hein, retour le soir, pas trop tard, une petite voiture, hein, parce qu’il sera seul et que le rendez-vous n’est pas très loin de Mérignac, il lui demande enfin si on a reçu un accord de la SMT, parce qu’il serait temps, hein, nom de Dieu, pardon Léna, mais qu’est-ce qu’ils fichent depuis le temps, et que bon, si ça ne l’ennuie pas, il prendrait bien un petit café, Léna s’il vous plaît… Léna? Continuer la lecture de Une matinée de rêve

Donald & Benito

Ce rapprochement anachronique n’est pas là pour attiser la comparaison entre un dictateur italien et un président des Etats Unis. (Il n’y a pas de comparaison possible, Donald est un million de fois plus puissant que ne le fut jamais Benito)J’ai seulement voulu attirer l’attention sur l’usage de la lippe mi-boudeuse mi-grondeuse destinée à impressionner le pékin.

Dans les archives photos du siècle dernier, on pourra s’amuser à rechercher les poses avantageuses que prenaient le Duce avec tant de naturel et les comparer à celles que prend le Donald avec le même naturel. Ensuite, on reverra avec plaisir celles d’Aldo Maccione.

Go West ! (72)

(…) Deux minutes plus tard, je trouvai mon sac, ma veste et mes chaussures sagement rangés dans l’un des placards de la cuisine. Mais dans ma fouille, j’avais aussi trouvé dans un autre placard, suspendus sur des cintres en fil de fer et recouverts de housses en papier, des vêtements d’homme, jeans, pantalons, t-shirts et chemises, civils et militaires. Alors ? Mort ou pas mort, Bo ? Il faudrait qu’on parle, Mansi et moi.

On en parlerait, Mansi et moi, mais pas tout de suite. Pour le moment, il fallait que je la réveille doucement, gentiment, pour me faire pardonner, pour lui expliquer, doucement, gentiment, que mon geste d’hier soir, c’était… ce n’était pas … Je me mis à genoux à côté du canapé et, de ma main valide, je commençai à caresser sa joue, doucement, gentiment, chastement. Elle s’est réveillée tout de suite, sans hésitation, sans sursaut, les yeux grand ouverts, souriante. C’était à se demander si elle n’avait pas fait semblant de dormir, comme pour provoquer mon geste.
— Embrasse-moi, a-t-elle dit de ce ton neutre qu’elle affectionnait.
— Écoute, Mansi, je voulais te dire… hier soir… ce n’était pas…
— Embrasse-moi.
Ce n’était pas une injonction, encore moins une supplication. C’était dit comme si elle me demandait de lui passer le sel ou d’ouvrir la fenêtre. Mais j’ai pris ça comme si c’était une condition pour que je puisse rester encore un peu chez elle. Alors, je me suis penché sur elle et je l’ai embrassée, longtemps, du mieux que j’ai pu. Et puis je dois dire que ça me plaisait de plus en plus, de l’embrasser.

Après, on a fait frire des œufs et du bacon et on Continuer la lecture de Go West ! (72)

Go West ! (71)

« (…) Mais quand il est revenu, il avait pris du grade et il a été affecté à Fort Irwin, tout près d’ici. Au bout d’un an, il a emprunté pour acheter une maison, cette maison. Pendant des mois, on a passé nos week-ends à la réparer, la repeindre, à la meubler. De temps en temps, des amis venaient nous aider. Alors, on leur organisait un barbecue pour les remercier. On buvait de la bière, on chahutait. Bo avait 39 ans, j’en avais 25.  On avait tout ce qu’il fallait pour être heureux… On l’était. Et puis la guerre de Corée est arrivée. Bo a tout de suite signé. Il est parti au printemps 51. « 

Mansi s’est tue. Au bout d’un moment, elle s’est assise au bord du lit pour allumer une cigarette. Et puis elle restée comme ça, assise, de longues minutes, sans rien dire, à regarder droit devant elle. De temps en temps, elle levait la tête et soufflait au plafond un long panache de fumée grise. Depuis le salon, la télévision faisait entendre une cacophonie ininterrompue de sifflements, d’explosions, de roulements de tambours et de coups de cymbales. Sans doute un dessin animé… Je n’osais pas parler, je n’osais pas lui poser de question parce que je commençais à deviner les raisons de son silence. J’ai quand même fini par me décider : je me suis levé, j’ai fait le tour du lit et je me suis assis à côté d’elle. J’ai allumé une cigarette, j’ai soufflé la fumée devant moi et je lui ai demandé :
— Ça va ?
— Ça va, ça va…
— Bo n’est pas rentré, c’est ça ?
— Il est mort là-bas, en décembre.

Je ne savais pas quoi dire, alors j’ai voulu lui caresser le dos. C’était juste un geste affectueux que je voulais faire, un signe de compassion, mais Continuer la lecture de Go West ! (71)

Pas des gens comme nous

Moi,  on m’a toujours dit, Bill, tu sais, les nègres, c’est pas des gens comme nous.

Et c’est vrai que c’est pas des gens comme nous. Il suffit de les regarder, on voit tout de suite que c’est pas des gens comme nous.

Bon, bien sûr, y a la couleur, mais ça, c’est pas le principal. Et puis, moi je dis  que leur couleur, ils y sont pas pour grand-chose. C’est comme leurs cheveux ou leur nez ou leur bouche, tout ça c’est pas vraiment de leur faute.

Je me rappelle le jour où j’ai dit ça un soir à la ferme. Y avait toute la famille en train de diner. C’était juste après la moisson. Je sais plus pourquoi, d’un coup, j’ai dit :

-Mais P’pa, les nègres, si y sont noirs, c’est pas de leur faute !

Dis-donc ! Le père, il a recraché sa soupe, il a renversé sa chaise en arrière et il s’est mis à me courir après à travers la grande pièce avec son ceinturon. Bien sûr, il a fini Continuer la lecture de Pas des gens comme nous

Go West ! (70)

(…) Il faudrait qu’elle fasse très attention, parce que si quelqu’un se rendait compte qu’elle était indienne, qu’elle n’avait que quinze ans, et qu’ils n’étaient pas mariés, ils auraient tous les deux de très graves ennuis. Et surtout, ils seraient séparés, lui en prison et elle dans un orphelinat pour indiens. Il fallait qu’elle promette. Elle promit.

« J’étais heureuse à Milford. Bo partait au camp le matin et il rentrait le soir et moi, je l’attendais. Au début, je ne sortais jamais sans lui. Le soir, nous allions au supermarché de Junction City et il m’apprenait à faire des courses. Après, on rentrait à la maison et il me montrait comment préparer un hamburger, ou des œufs au bacon, ou de la salade de chou, ou des beignets de tomates vertes. Ou alors, il m’apprenait à lire. Le dimanche, on allait piqueniquer au bord du lac. Il me faisait boire un peu de bière, juste pour m’habituer. Quelquefois, on partait loin dans la campagne et il m’apprenait à conduire.

Bo était différent des autres sous-officiers qui habitaient autour de nous. Pour la plupart, c’était des brutes, et racistes par-dessus le marché ! Au contraire, Bo était doux et patient, et affectueux aussi. En fait, il m’aimait. Alors je l’aimais aussi. Je voulais lui faire plaisir ; j’apprenais bien mes leçons, je faisais la cuisine du mieux que je pouvais, je nettoyais bien la maison. Petit à petit, j’ai commencé à sortir seule ; je prenais le bus pour aller à Junction City, je faisais des courses sans Bo. Au bout de trois mois, j’étais capable de conduire sa voiture. Alors, il m’a inscrite à l’examen du permis de conduire. Ensuite, il s’est débrouillé pour ce soit un de ses amis qui me le fasse passer. Je l’ai eu tout de suite et Bo m’acheté une voiture. Moi, Mansi, quinze ans, orpheline adoptée par une famille Hopi, j’avais une voiture à moi ! Continuer la lecture de Go West ! (70)

Go West ! (69)

(…)Il a choisi deux pendentifs, un Yongosona et un épi de Talasi. Il a demandé :« Combien pour les deux ? ». Je lui ai dit :« Deux fois 1 dollar » Il a sorti deux billets du rouleau et me les a donnés. Ensuite, il m’a tendu le Yongosona en disant « Pour toi, petite grenouille ! » et le Talasi à Pahana, « Pour toi !», et puis il a rejoint l’autre soldat dans leur voiture et ils sont partis vers l’ouest.
C’est comme ça que j’ai rencontré mon mari, Bo. »

C’était la deuxième fois qu’elle évoquait son mari. Il fallait absolument que j’en sache davantage, mais Mansi s’était tue. J’avais dans la tête tout un tas de questions : « Qui est ce mari ? Pourquoi n’est-il pas là ? Où est-il ? Comment est-il ?  Grand ? Costaud ? Jaloux ? Violent ? Est-ce qu’il ne risque pas de revenir, comme ça, sans prévenir ? » Maintenant, au moins, je savais qu’il était grand et probablement costaud, mais les autres questions, je n’osais pas les poser : quand on veut jouer les blasés, les hommes tranquilles et sûrs d’eux-mêmes, quand on partage un lit avec une dame, quand il s’agit de son lit conjugal, on ne s’inquiète pas de son mari. Mais finalement, je n’ai pas eu besoin de demander pour en apprendre davantage sur Bo.
Après un long silence, Mansi s’est retournée sur le lit. Elle s’est dressée puis s’est dirigée vers la porte. Au moment de la franchir, elle s’est immobilisée un instant, les jambes légèrement écartées, les mains sur les hanches, la tête inclinée de côté comme si elle réfléchissait. Sa silhouette sombre se détachait en contre-jour sur l’écran gris de l’encadrement. Elle faisait semblant d’hésiter, mais moi, je savais que c’était pour que je puisse contempler ses formes. Et puis, elle Continuer la lecture de Go West ! (69)

Go West ! (68)

(…)Je croyais qu’elle s’était endormie, quand d’un coup, elle se recroquevilla en chien de fusil et recommença à parler. A présent, sa tête était posée là où quelques instants plus tôt se trouvait le cendrier qu’elle avait écarté pour le poser à côté du lit et, tandis qu’elle entrait dans le récit de sa vie, sa voix résonnait dans mon ventre.

« Je suis née à Gallup au Nouveau Mexique, mais j’ai grandi dans le village de Shungopavi, là-haut dans la mesa.. Le village n’existe plus aujourd’hui. Il a été abandonné après la grande sécheresse de 48. Mais à cette époque, une trentaine de familles y vivaient. Mes parents sont morts l’un après l’autre quand j’étais encore toute petite. Comme le veut la coutume Hopi, j’ai été adoptée par une des familles et j’ai été élevé par la tribu avec les autres enfants. Je n’étais pas esclave ni même maltraitée puisque ma vraie mère était une Hopi. Mais ma mère adoptive me faisait accomplir des travaux qu’elle n’exigeait pas de ses propres enfants. Parfois même, elle me mettait au service Continuer la lecture de Go West ! (68)

Le tsunami

Tsunami1 est un mot d’origine japonaise. Littéralement, il veut dire « vague de port ». Aujourd’hui, alors que tout le monde a vu au moins une fois à la télévision ce que sont réellement un tsunami et ses effets dévastateurs, on peut se demander pourquoi cette tranquille locution sert à désigner un phénomène maritime monstrueux. Si vous ignorez cette raison et si vous voulez la connaitre, lisez la note de bas de page. Sinon, passez à la ligne d’en dessous : 

Le 26 décembre 2004 à 7 h 58, un tremblement de terre de magnitude supérieure à 9 et dont l’épicentre se situait à 250 km au large de l’île de Sumatra provoqua un tsunami qui atteignit la ville de Banda Aceh vingt minutes plus tard. À cette époque, la ville comptait 250.000 habitants ; 70.000 d’entre eux Continuer la lecture de Le tsunami