(…)Il a choisi deux pendentifs, un Yongosona et un épi de Talasi. Il a demandé :« Combien pour les deux ? ». Je lui ai dit :« Deux fois 1 dollar » Il a sorti deux billets du rouleau et me les a donnés. Ensuite, il m’a tendu le Yongosona en disant « Pour toi, petite grenouille ! » et le Talasi à Pahana, « Pour toi !», et puis il a rejoint l’autre soldat dans leur voiture et ils sont partis vers l’ouest.
C’est comme ça que j’ai rencontré mon mari, Bo. »
C’était la deuxième fois qu’elle évoquait son mari. Il fallait absolument que j’en sache davantage, mais Mansi s’était tue. J’avais dans la tête tout un tas de questions : « Qui est ce mari ? Pourquoi n’est-il pas là ? Où est-il ? Comment est-il ? Grand ? Costaud ? Jaloux ? Violent ? Est-ce qu’il ne risque pas de revenir, comme ça, sans prévenir ? » Maintenant, au moins, je savais qu’il était grand et probablement costaud, mais les autres questions, je n’osais pas les poser : quand on veut jouer les blasés, les hommes tranquilles et sûrs d’eux-mêmes, quand on partage un lit avec une dame, quand il s’agit de son lit conjugal, on ne s’inquiète pas de son mari. Mais finalement, je n’ai pas eu besoin de demander pour en apprendre davantage sur Bo.
Après un long silence, Mansi s’est retournée sur le lit. Elle s’est dressée puis s’est dirigée vers la porte. Au moment de la franchir, elle s’est immobilisée un instant, les jambes légèrement écartées, les mains sur les hanches, la tête inclinée de côté comme si elle réfléchissait. Sa silhouette sombre se détachait en contre-jour sur l’écran gris de l’encadrement. Elle faisait semblant d’hésiter, mais moi, je savais que c’était pour que je puisse contempler ses formes. Et puis, elle s’est décidée, elle est entrée dans le salon. De là-bas, elle m’a demandé : « Tu veux du café ? » Je n’en voulais pas. « Un verre de vin ? » Je n’en voulais plus. Je l’ai entendue ouvrir des placards, fouiller dans des tiroirs, agiter des objets, changer plusieurs fois de canal sur le téléviseur. J’entendais sourdement les sons de l’un de ces late late show que la télévision française essaie encore d’imiter sans y parvenir. Et puis Mansi est revenue dans la chambre. Elle s’est allongée à côté de moi, sur le dos, sans me toucher. Entre ses lèvres, elle tenait une Winston extra-longue et entre ses mains posées sur son ventre, une tasse de café.
Et Mansi s’est remise à raconter. Elle a parlé jusqu’au matin et je l’ai écoutée aussi longtemps que j’ai pu. Quand elle restait silencieuse, j’entendais les rires, les applaudissements, les plaisanteries et les chansons qui provenaient du poste de télévision. Je me souviens même d’avoir reconnu la voix de Dean Martin. De temps en temps, Mansi se levait, allait chercher un verre de vin, un sandwich, du café, puis elle me rejoignait sur le lit et racontait encore. Une fois, pendant qu’elle parlait, je me suis tourné vers elle et je l’ai caressée doucement. Elle s’est tue, elle a roulé sur moi et nous avons fait l’amour.
« C’est le troisième jour que j’ai revu Bo. Il est arrivé de l’ouest… »
C’est le troisième jour qu’elle avait revu Bo. Il était arrivé de l’Ouest vers la fin de la matinée. Il s’était arrêté bien avant l’Homme-Silence, mais Mansi avait reconnu la voiture et, elle et son amie s’étaient dressées, inquiètes, se demandant si elles avaient encore le temps de replier leur éventaire de bijoux et de s’enfuir avec dans le désert. Mais Bo avait fini par sortir de sa voiture. Il était en civil. Quand Mansi avait vu qu’il était seul, elle s’était rassurée. Tout en approchant, Bo avait commencé à lui parler. Il était encore trop loin pour qu’elle comprenne ce qu’il disait. Quand il ne fut plus qu’à quelques mètres, quelque chose s’était passé dans sa tête et, dans un grondement, sans quitter Bo des yeux, elle avait ordonné à Pahana de partir :
— Va-t’en, Pahana, va-t’en ! Ramasse les bijoux et rentre au village. Tout de suite ! Raconte-leur ce que tu veux ! Va-t’en !
Mansi venait d’avoir une sorte de vision, une image, une seule. Elle n’avait duré que deux ou trois secondes, mais, dans cette image, elle s’était vue, elle, vieille, avec cet homme, vieux. Mais Pahana refusait de partir. Alors Mansi lui avait lancé des pierres et maintenant, Pahana attendait à l’écart, hors de portée, tandis que Bo continuait à parler. Il disait qu’il pensait à elle sans arrêt, qu’il ne dormait plus, qu’il voulait l’emmener avec lui, qu’il l’emmènerait partout où il irait, toujours, qu’il voulait qu’elle soit à lui, à côté de lui, toujours… Mansi ne se souvenait plus de tout ce qu’il lui avait dit. D’ailleurs, elle n’avait pas tout compris parce qu’à cette époque, elle ne parlait pas encore très bien l’anglais et peut-être aussi parce que Bo parlait de manière confuse et décousue. Elle n’avait pas tout compris, mais qu’importe, elle avait eu sa vision et elle savait qu’elle allait partir avec ce blanc, où qu’il aille.
Effectivement, ce jour-là, Mansi était montée dans la voiture de Bo. Sans crainte, sans regret, elle laissait derrière elle Pahana et les bijoux, sa famille adoptive et sa tribu, toute la Réserve et, au moins pour un temps, sa culture indienne. Tandis qu’ils roulaient vers l’est, Bo lui avait expliqué qu’il venait d’être muté de Camp Navajo à Fort Riley au Kansas et que c’étaient là qu’ils allaient s’installer. Dans la tribu de Mansi, les hommes parlaient parfois de Camp Navajo. Ce n’était pas loin de Flagstaff. Mais pour elle, Fort Riley, le Kansas, tout ça devait être plus loin que la Lune. Mais pour le moment, ces détails étaient sans importance, et tout ce qu’elle voulait, c’était être dans cette voiture avec ce blanc qui l’emmenait au bout du monde vivre avec lui le reste de ses jours.
Mansi m’a raconté sa première nuit avec Bo. Passée la frontière d’Arizona, ils s’étaient arrêtés un peu avant un motel à la sortie de Gallup. À cause de la race et de l’âge de Mansi, Bo avait dû l’y faire entrer en fraude en la cachant dans le coffre de la voiture. À quatorze ans passés, Mansi avait déjà partagé quelques plaisirs charnels avec les filles du village, le plus souvent avec Pahana, mais elle était toujours vierge. Pahana, elle, ne l’était pas et elle savait bien des choses sur l’amour avec les hommes. Tout ce que la mère naturelle de Mansi aurait dû lui transmettre si elle avait vécu assez longtemps pour cela, c’est Pahana qui le lui avait enseigné. Ça s’était fait à l’ombre de l’Homme-Silence, lentement, naturellement, avec douceur et même avec tendresse. La nuit du motel n’avait pas été si différente, si ce n’est que Mansi la passait avec l’homme de sa vision.
Ils avaient mis encore trois jours pour parcourir le millier de miles qui les séparaient de Fort Riley. Ils dormaient dans la voiture ou à la belle étoile. Lorsqu’ils étaient arrivés à Fort Riley au milieu du quatrième jour, Bo avait garé sa voiture à l’extérieur du camp militaire et y était entré seul, à pied. Il n’était revenu que trois heures plus tard. Et puis, sans rien dire à Mansi, l’air mystérieux, il avait conduit pendant quelques miles vers le nord jusqu’à une petite ville, plutôt un village, fait de maisons en bois, toutes identiques. Bo s’était arrêté devant l’une de ces maisons et avait dit simplement : « C’est chez nous ».
Ils étaient à Milford, le lotissement que l’Armée avait construit pour loger les officiers et sous-officiers mariés. Comment Bo avait fait pour se faire passer pour marié à Mansi et obtenir un logement à Milford, je ne sais pas. Peut-être Mansi me l’avait-elle raconté à un moment où je m’étais endormi ? Peut-être ne le savait-elle pas elle-même ? Toujours est-il qu’au cours de leur première nuit dans leur maison, Bo avait longuement expliqué à Mansi ce qu’elle était désormais : elle s’appelait Nancy Ciezarek, elle avait dix-neuf ans, elle était née à New-York. Ses parents étaient nés en Italie ; ils s’appelaient Giuseppe et Maria Mantovani, commerçants à Brooklyn, décédés l’année dernière. Bo et elle s’étaient rencontrés deux semaines plus tôt à Las Vegas où Bo était en permission. Ils s’étaient mariés trois jours plus tard et ils arrivaient de leur lune de miel au Grand Canyon. Bo avait tous les faux papiers qu’il fallait, mais elle devait promettre de ne plus jamais prononcer un mot indien, d’oublier tout de son passé Hopi, jusqu’à son vrai nom, sa vraie famille. Elle devait changer ses habitudes, couper ses longs cheveux bruns, apprendre à faire un hamburger, à boire un peu d’alcool, à conduire, à remplir un frigidaire, à laver le linge à la laverie automatique, à faire ses courses au supermarché, bref, tout ce qu’une italo-américaine née à Brooklyn doit savoir faire. Bien sûr, cela prendrait du temps, beaucoup de temps, des mois, mais il l’aiderait tout le temps, tous les jours. Il faudrait qu’elle fasse très attention, parce que si quelqu’un se rendait compte qu’elle était indienne, qu’elle n’avait que quinze ans, et qu’ils n’étaient pas mariés, ils auraient tous les deux de très graves ennuis. Et surtout, ils seraient séparés, lui en prison et elle dans un orphelinat pour indiens. Il fallait qu’elle promette. Elle promit.
A SUIVRE
Je remercie Enguéri de Marignan d’avoir fait amende honorable
Voilà maintenant qu’un nouveau commentateur arrive sur le JDC en la personne d’Enguerrand de Marigny qui fut, rappelons le, l’un des premiers grands premiers ministre de la France, au service d’un certain roi dit Philippe le Bel, cela quelques sept siècles avant l’actuel François Bayrou. Ce pauvre Enguerrand fut injustement condamné à mort et pendu, victime de la traîtrise des partis ambitieux comme toujours, mais réhabilité heureusement par la suite. Je ne désespère pas de voir bientôt intervenir sur le JDC un autre grand premier ministre en la personne de Saint Éloi, lui était capable de voir au premier coup d’œil si un pantalon est à l’endroit où a l’envers, c’est important ça de pouvoir distinguer l’endroit de l’envers pour prétendre à la parution d’un commentaire sur le JDC, et puis d’autres, Sully qui commentera l’art culinaire de la poule au pot, Colbert, Pompidou, lui dira qu’il faut arrêter d’emmerder les français, ils ne manquent pas les premiers ministres potentiels commentateurs du JDC.
Cher Lorenzo,
Je suis profondément désolé et confus que vous ayiez ramené à vous une critique qui ne visait que les touristes dont les acrobaties ridicules, semblables dans leur uniformité et leur manque de naturel aux figures imposées du patinage artistique ou, pire, de la natation synchronisée, tentent de composer des photographies aussi originales et amusantes que le deux-cent-cinquante et unième dessin de chat par Siné.
Il n’était pas question pour moi d’apporter la moindre réserve sur une photographie de pigeon dressé ou de coïncidence entre une paire de chaussettes et une colonne rayée.
Je pensais que c’était clair, mais finalement il apparaît que non. Alors, cher Lorenzo, veuillez agréer l’expression de mes excuses les plus sincères.
Votre dévoué Enguerrand de M.
Ah bon ? Cette critique m’était donc destinée ? Étant l’offensé, je me réserve un droit de réponse : il est dommage que ce regretté Enguerrand, qui n’a eu à mon humble avis que ce qu’il méritait, n’ait pas décelé dans mes photographies leur originalité et leur qualité reconnues par tous les professionnels. On peut détester la Cathédrale de Rouen mais ce n’est pas une raison pour détester les peintures de Claude Monet. Na !
Ce cher Enguerrand a dû se tromper de bouton quand il a envoyé son commentaire, dont la véritable place est en évidence à la suite de l’article « Une journée particulière ». Il faut l’excuser, il n’a plus toute sa tête. Pensez ! il a plus de sept cents ans!
Pour ceux qui n’auraient pas Wikipedia à portée de main, je préciserai qu’Enguerrand de Marigny a fini au gibet de Montfaucon. Mais ce n’est pas une raison pour le tutoyer.
Et tu t’étonnes d’avoir fini pendu ?
Il ne faut pas juger les oeuvres d’art en fonction des photographies que l’on peut en tirer. C’est vrai que ces avortons de Buren rayés comme des gilets de laquais poussent les visiteurs, qui ne voient plus rien qu’au travers de leur smart phone, à prendre des poses originales, strictement les mêmes que les 3.345.253 touristes qui les ont précédés l’année dernière, pour réaliser des photos humoristiques qui feront sourire poliment autour de la machine à café chez Mitsumoto Inc., 1458 Mitsumoto Avenue, Kyoto., mais uniquement parce que, alors que l’Ibère est rigoureux, le Japonais, lui, est poli.
Ces mêmes humanoïdes de Panurge feront un peu plus tard les mêmes simagrées acrobatiques devant la pyramide du Louvre, mais la différence, c’est que la pyramide est belle et que les colonnes sont moches.
Pourquoi Buren, c’est moche et Peï, c’est chouette ? Parce que je le sens comme ça.