Archives de catégorie : Textes

Go West ! (21)

(…) elle m’avait expliqué où elle habitait dans Zermatt, la rue, le nom de l’immeuble, l’étage, le couloir, le numéro de sa porte, tout. Et puis elle était partie, gaiment, sans autre explication. J’en étais tout retourné, abasourdi, ne pouvant croire qu’une grande fille comme ça, sure d’elle-même, exubérante, spectaculaire, puisse s’intéresser à un type de mon âge, plutôt introverti, alors qu’elle était entourée de grands, beaux, riches et spectaculaires italiens.

Une heure plus tard, juste pour ne pas avoir l’air trop pressé, j’ai trouvé la rue, l’immeuble, l’étage, la porte, tout. Il doit être entre minuit et une heure. Je suis sur un nuage. Dans le couloir, le silence est total. Doucement, je frappe à la porte. Rien. Je frappe un peu plus fort. Silence. Je frappe encore et je chuchote : « Paola ! C’est moi… ». Toujours rien. Je frappe à nouveau.
« Paola ! C’est…
— Chut ! Je suis fatiguée, allora je dors, rentre à ta maison ! »

Le ciel me tombe sur la tête et, avec lui, une tonne de déception. Je pense : « Ah ben non, alors ! »
« Paola ! Ouvre, s’il te plait, ouvre ! » Continuer la lecture de Go West ! (21)

Go West ! (20)

(…) Je n’ai plus rien écrit de personnel depuis cette série de tristes poèmes en octosyllabes laborieux que j’ai abandonnée il y a quatre ou cinq ans, et l’ébauche de ce journal de voyage m’ennuie rapidement. J’enfonce les deux malheureuses feuilles au fond de mon sac et laisse mon esprit vagabonder. Comme il revient sans arrêt sur l’épisode du Cove Creek, je ferme les yeux très fort et me force à penser à Patricia.

Patricia… Je l’ai rencontrée un soir à l’entrée d’une boîte de nuit. C’était à Zermatt, en Suisse. Il n’était pas encore six heures et le Broken Ski Club venait d’ouvrir ses portes pour la soirée. A cette heure, les jeunes godelureaux qui résidaient dans les trois grands hôtels de Zermatt venaient au Broken Ski pour y passer la fin de l’après-midi en buvant des Coca-Cola et en dansant le Madison, avant d’aller dîner avec leurs parents dans les grandes salles à manger d’apparats, nappes blanches amidonnées, chandeliers d’argent et lustres de Venise. Les plus âgés y reviendraient plus tard avec l’autorisation et l’argent de leurs parents.

À cette époque, parmi toutes les stations de sports d’hiver dans le monde, Zermatt était Continuer la lecture de Go West ! (20)

Retour au Comptoir

Couleur Café n° 26  (Publié une première fois le 16/11/2018)

 Le Comptoir du Panthéon

C’est dimanche et il fait beau et chaud. Dans la partie haute de la rue Soufflot, la terrasse du Comptoir du Panthéon est bondée. Quelques habitués du quartier, raisonnablement halés, y retrouvent Paris avec plaisir en cette fin du mois d’août, mais l’essentiel de la clientèle est constitué de touristes. Ce sont des touristes comme je les aime, par couple ou par petits groupes de trois ou quatre, pas plus. Pas bruyants, contents d’être là, de se reposer une petite demi-heure avant de chercher la station de ce terrifiant RER qui devrait les mener aux Champs Élysées.

Il y a quelques minutes, je me suis installé de biais de manière à faire face au Panthéon.  J’observe le cheptel d’un œil bienveillant, satisfait de le voir nombreux et bien portant, un peu comme si j’en étais le propriétaire. En espérant la serveuse qui prendra Continuer la lecture de Retour au Comptoir

Mourir pour les Sudètes ? Encore ?

Il y a deux ans exactement aujourd’hui, le 25 janvier 2022, voici ce que j’écrivais après avoir vu le film « L’Étau de Munich« . Depuis deux ans, il s’est passé bien des choses, dont le 24 février 2022, l’attaque russe sur l’Ukraine, un mois exactement après cet article.

Je viens de voir un film sur Netflix, L’Étau de Munich, dont le cadre se situe pendant la crise des Sudètes en 1938. La crise des Sudètes, c’est cette période où Hitler, après avoir annexé l’Autriche, et souhaitant continuer à augmenter l’espace vital allemand comme il l’avait promis au peuple, masse ses troupes à la frontière avec la Tchécoslovaquie dont il exige qu’elle lui cède la région des Sudètes. La Tchécoslovaquie refuse. La tension monte, car si la France et l’Angleterre veulent défendre la Tchécoslovaquie, ce sera la guerre avec l’Allemagne. Les Français pas plus que les Britanniques ne veulent mourir pour les Sudètes. Hitler les convainc facilement que s’ils lui laissent les mains libres pour annexer la région des Sudètes, c’en sera fini des revendications territoriales de l’Allemagne nazie, ce sera « la paix pour mille ans ». Les célèbres et désastreux accords de Munich sont signés en ce sens en septembre 1938. On connait la suite. Daladier à Paris, et Chamberlain à Londres sont accueillis Continuer la lecture de Mourir pour les Sudètes ? Encore ?

Conversation au Sélect

Extrait d’un texte diffusé une première fois le 1er janvier 2015

Couleur café n°15
Le Sélect,Boulevard du Montparnasse

Le Sélect est un bel endroit mais il a peu d’histoire. Sur ce plan, il ne peut pas lutter avec La Coupole (mais la Coupole n’est plus la Coupole) ou Le Dôme (sans charme, mais gastronomique). Le Sélect est un tout petit peu mieux placé que La Palette qui, certes, a eu l’honneur de l’une de mes rubriques (« Les hommes de la Palette« ) mais qui aujourd’hui a disparu. La Closerie des Lilas demeure à l’écart de ce concours, tant sur le plan historique que géographique.
Le Sélect se trouve à l’angle du Boulevard du Montparnasse et de la rue Vavin. Contrairement à ses voisins,

Go West ! (19)

(…) J’en ai marre de ne plus avoir de repères, de ne plus savoir où je suis ni comment me comporter. J’en ai marre de me faire bousculer par des hôtesses de l’air, des filles tordues et des flics. J’en ai marre de ne plus être dans mon milieu familier avec autour de moi Paris, mes parents, les copains, les étudiantes de l’Alliance Française, les filles au pair de ma sœur, les lycéennes du XVIeme. Avec tous ceux-là, j’avais les codes, je savais à peu près quoi faire. Si je n’étais pas le roi, je n’en étais pas loin. Et même avec Patricia, la parfaite jeune fille de famille aisée de la banlieue chic de Washington, la fille rencontrée un soir dans une boîte de nuit pour godelureaux dans les Alpes suisses, avec elle, tout du long, j’avais su quoi faire. Et j’étais arrivé sans trop de mal avec elle dans cette chambre d’hôtel du Quartier Latin. Mais ici, maintenant, dans la chambre 201 du Sleepy Hollow, je ne sais pas quoi faire, et j’ai un peu peur.

Feignant un épuisement encore plus grand, je m’affale sur le dos bras en croix sur le lit le plus proche et je ferme les yeux.
— Phil ? Philippe ?
C’est Cal qui me parle doucement. Je le sens debout auprès de mon lit, hésitant. Il voudrait bien me sortir de ma léthargie pour me poser une question, la question. Mais je ne bouge pas. J’essaie d’avoir l’air naturel. Surtout ne pas trop crisper les paupières, tenter de respirer posément. Cal va-t-il insister jusqu’à ce que je lui réponde ? Ou bien n’ose-t-il pas me réveiller ? Ou bien a-t-il compris que je fais semblant ? Et s’il l’a compris, comprend-il aussi que cela équivaut à une réponse, ou bien pense-t-il que c’est par timidité ?
Cal a dû se faire une idée. En tout cas, il a décidé de ne pas insister, car la couleur brun rose de l’intérieur de mes paupières vient de passer au noir juste avant que je n’entende la porte de la salle de bain se refermer. Bruits d’eau, Cal prend doit prendre une douche. Je me redresse d’un coup, me déshabille à toute vitesse dans le noir et me glisse sous les draps, le nez dans l’oreiller et la tête sous le drap. Continuer la lecture de Go West ! (19)

Aventure en Afrique (51)

Jusqu’à preuve du contraire, cet épisode d’Aventure en Afrique s’avère comme le dernier de la série. Alors, dégustez-le…

Le retour

       Après notre périple dans l’Aïr nous avons eu treize jours pour préparer notre retour en France. Nous avons commencé par aller acheter une autre cantine sur le Grand Marché pour expédier tous nos achats souvenir. Celle-ci était bleu ciel, faite avec de vieux bidons d’huile recyclés, le résultat était identique aux cantines métalliques de Manufrance. Tous nos souvenirs y ont été placés, cela allait de la statue Dogon, au coffret à bijoux touareg, en passant par la sculpture d’un buste de femme Djerma… Soit  40kg expédiés, après les formalités de douane, par la route puis le bateau à Cotonou, reçus au bout de deux mois.
Avant mon départ, j’ai distribué bon nombre de nos affaires, à mes gars : chapeau de brousse, chaussures… Filtre Pasteur au boy, cocote minute etc.…
Nous prenions nos dernières photos Continuer la lecture de Aventure en Afrique (51)

Aventure en Afrique (50)

La pharmacie du Centre (3/3)

Le paiement par les clients était fonction de la couverture sociale pratiquement inexistante dans ce pays. Le système de sécurité sociale n’existait que pour les européens qui avaient cotisé à des mutuelles ; le paiement était direct en espèces, en Francs CFA. Il n’y avait pas de délégation de paiements, le système de bons de commande  souvent apportés par un commissionnaire,  collectés après délivrance,  servait à adresser au payeur la facture !

Le prix des médicaments était élevé pour les africains. Ils réglaient sans problèmes, ou en petite monnaie espèces  recueillies auprès de congénères, ou  mendié. Nous  étions  au service des clients.

D’autre part, il y avait  la gestion des approvisionnements, des stocks :
Les commandes étaient faites rarement par téléphone fixe (les portables n’existaient pas),  le plus souvent par courrier postal ou la visite exceptionnelle d’un représentant six mois ou un  an à l’avance ! Dans ce pays enclavé et pauvre, l’approvisionnement et l’acheminement des produits était un problème : La plupart des médicaments étaient des produits importés, de France ou d’autres pays étrangers. Suite à l’indépendance du Niger, survenue treize ans avant notre séjour, la France était Continuer la lecture de Aventure en Afrique (50)

Go West ! (18)

(…) 
Cal s’est arrêté devant une table. Quatre hommes y sont assis autour de verres de toutes les couleurs. Quatre chemise-cravates et un Texas Tech. Ils le saluent sur le même ton que Louise vient de le faire, nonchalamment : «Eh, Cal ! Ça fait longtemps… Où étais tu passé… Long time no see… c’est ton fils ? … » Le Texas Tech regarde ailleurs.

Cal me présente rapidement — Philippe… français… autostoppeur — et, après quelques “Hi Phil !“ polis, personne ne pose de question. Cal approche deux chaises voisines et s’installe. La conversation s’engage entre les cinq comme si je n’étais pas là. Je n’écoute pas vraiment et je rêvasse tandis qu’ils parlent de leurs chasses, de leur technique au golf, de leurs affaires. C’est la troisième bière que je bois ce soir et je commence à somnoler, affalé sur ma chaise. Je sursaute quand le guitariste s’arrête de jouer. La barmaid monte sur scène et annonce “John Hancock, le type le plus drôle au nord du Rio Grande !“ C’est un grand type, mince, vingt-cinq ans. Il n’est pas le seul dans la salle à être habillé en cow-boy, mais lui, c’est presque une parodie, bottes blanches ouvragées, pantalon moulant marron clair, veste en peau cintrée avec de longues franges aux manches et dans le dos et Stetson blanc incrusté de petites étoiles d’argent. La salle applaudit son entrée et Continuer la lecture de Go West ! (18)

Go West ! (17)

(…) A ce moment, je jure que je n’ai pas la moindre idée de ce que je réaliserai un peu plus tard. Je pense seulement que je ne peux pas m’offrir une chambre dans un Howard Johnson sans flanquer par terre mon budget pour l’été. Par ailleurs, je ne me vois pas demander à Cal de me payer une chambre pour moi tout seul. Cal a bien compris tout ça, et il est bien gentil de m’offrir de partager la sienne. Après tout, il pourrait tout aussi bien me dire de dormir dans la voiture… Alors, « non, Cal, ça ne me dérange pas du tout ».

Une longue douche, un court plongeon dans la piscine et me voilà avec Cal au bar du restaurant. Il boit un Martini, j’ai choisi une bière. Pour ça, j’ai dû montrer au barman ma carte d’identité scolaire du Lycée Saint-Louis que j’ai trafiquée pour avoir plus de 21 ans. Cal n’a pas été dupe et ça l’a fait sourire. Je ne sais plus depuis combien de jours je n’ai pas bu une goutte d’alcool. Je crois bien que la dernière fois, c’était du scotch, dans l’avion, avec Carol. La bière, la sensation d’être enfin propre, la lumière tamisée du lieu, la chaleur humaine dégagée par Cal m’ont mis dans un état de douce euphorie. Je me sens presque détendu, reposé. J’ai le sentiment de faire à nouveau partie du monde, un monde Continuer la lecture de Go West ! (17)