Homéotéleute et Polytptote (10)

Dernier résumé avant la fin de tout :

Homéotéleute et Polyptote se sont enfin mariés et tout va pour le mieux dans le meilleur des royaumes. Oui mais voilà, nous sommes dans une tragédie antique, et ça va sérieusement se gâter car, bêtement, Homéotéleute va révéler à sa jeune épouse quelles sont ses véritables origines, Madame Ménélas, Zeus, tout ça ! Oui, ça va sérieusement se gâter.

Le Récitant

Il a tout dit, le petit Homéo, trop fier et trop content de révéler à sa petite Apogée ses très hautes et très nobles origines. Il a tout dit : Zeus, Hélène, le Vent du Sud, le berceau en branches de sassafras, la plage de Zeugma, la douceur de Scylla, le courage de Charybde, la protection d’Aphrodite.

Il a dit aussi la malédiction d’Héra : …tant qu’il montera… et cætera. Il a expliqué ce qu’elle voulait dire en réalité : …perdre la tête pour une femme d’ignoble sang… et cætera, et cætera. Il lui a juré qu’il n’y avait plus rien à craindre, que le sort jeté par la déesse était conjuré puisqu’elle-même était noble, et pas qu’un peu.

Alors Polyptote s’est levée brusquement :

Polyptote

–Mais alors, mais alors, je ne suis pas de la roture ! Mais alors, mais alors, je suis noble, sacrément noble, et même plus noble que toi ! Fille de Zeus et d’Hélène la Ravageuse, tu te rends compte ? Ça, c’est de la branche. C’est quand même un peu mieux que les brindilles familiales d’Antanaclase ! Dis-moi, mon petit lapin d’Étolie, tu voulais me cacher mes origines, tu voulais jouer au prince et à la lingère, tu voulais me maintenir en état d’infériorité. Mais c’est que c’est pas joli-joli tout ça !

Homéotéleute

–Du calme, Apogée de mon Orbite, et parle-moi d’un peu moins haut. Sache que ma noblesse n’a rien à envier à la tienne, car je suis moi-même fils de Zeus, qui féconda ma mère sous l’aspect d’une girafe, ce à quoi je dois sans doute la longueur de ce qui relie ma tête à mes épaules. A part cette légère disgrâce, je suis ton égal en noblesse, sinon en beauté.

Polyptote

–Mais alors, mais alors… tu es fils de Zeus comme je suis fille de Zeus. Mais alors, mais alors, nous sommes frère et sœur !

Homéotéleute

–Tiens, c’est vrai ça ! Je n’y avais pas pensé. C’est plutôt sympa, non ?

Polyptote

–Malheureux ! Frère et sœur, nous sommes, oui, mais aussi époux sommes-nous ! Ce que nous avons fait sur tous ces petits bancs en marbre de Thassos, c’est de l’inceste ! Nous sommes maudits, c’est affreux, c’est terrible, c’est extrêmement contrariant !

Le Chœur Antique

Regardez-les, ces deux malheureux, regardez les bien ! Ils ont encore leur aspect d’hier, elle, la plus belle femme du monde, sauf le respect dû à Aphrodite, et lui, la grosse tête emmanchée d’un long col. Mais ce ne sont plus eux qui parlent, plus eux qui se disputent. Aphrodite a pris l’apparence du jeune homme tandis qu’Héra prenait celle de la jeune femme. Et c’est maintenant Aphrodite qui lutte contre Héra, l’Amour qui résiste à la Vengeance, l’Harmonie qui combat le Chaos.

Aphrodite-Homéotéleute

–Mais c’est pas grave ! Tout le monde fait ça ! Et les dieux les premiers ! Et surtout le premier d’entre eux, c’est-à-dire Papa !

Héra-Polyptote

–Peut-être que l’inceste n’est pas grave au Royaume d’Antanaclase la Débauchée, mais chez moi, dans la belle île de Zeugma la Transparente, c’est ce qu’il y a de pire, à part faire du bruit avec la bouche en mangeant la moussaka, bien sûr.

Aphrodite-Homéotéleute

–Allons, allons, sois raisonnable. A part ma mère et les dieux eux-mêmes, personne n’est au courant. Gardons le secret, et tout ira bien. Allez, viens Popote !

Héra-Polyptote

–Impossible ! Nous sommes un couple incestueux. Moi, je le sais, toi, tu le sais, et cela suffit. Cette situation ne peut durer une minute de plus. C’est à moi d’y mettre fin.

Aphrodite-Homéotéleute

–Comment ça, y mettre fin ? Qu’est-ce que ça veut dire, y mettre fin ?

Héra-Polyptote

–Eh bien, selon la tradition séculaire zeugmienne, cela veut dire que nous devons mourir tous deux. Je dois d’abord te couper le cou. Ce sera facile, car tu l’as joli mais fort long. Ensuite, je devrai me donner la mort en retenant ma respiration pendant deux calendes.

Aphrodite-Homéotéleute

Ah, ben non ! Ça va pas du tout, ça…

Le Récitant

Homéotéleute eut beau protester, Aphrodite eut beau faire jouer toute son astuce, Polyptote était plus forte qu’Homéotéleute, et Héra plus obstinée qu’Aphrodite. Le cou du jeune Prince, qu’il avait joli mais fort long, fut coupé, de même que la respiration de la fille d’Hélène.

Quand, vers la fin de la journée, inquiète de ne pas voir le jeune couple apparaitre triomphant au balcon de la chambre nuptiale, la famille royale se fit ouvrir la porte, elle découvrit un spectacle qui la fit reculer d’horreur : le corps sans tête du Prince et celui sans doute de la Princesse étaient enlacés dans une ultime étreinte ; le visage de la plus belle femme du monde, après Aphrodite, ressemblait à une courgette chypriote et la tête d’Homéotéleute gisait dans la salle de bain et dans une mare de sang à côté d’un petit ciseau à dentelles, lui-même ensanglanté. Ils n’avaient pas touché à leur petit déjeuner.

En reculant d’horreur, le roi trébucha contre un petit banc en marbre de Thassos et dévala en arrière le grand escalier d’honneur du palais. Il mourut avant d’atteindre le deuxième palier.

Voyant cela, la Reine perdit la tête à son tour et, après s’être couvert les cheveux d’huile d’olive première presse à froid, elle y mit le feu en frottant deux silex d’Épire. Elle mourut très péniblement.

Témoin horrifié d’un spectacle auquel sa situation de pauvre pêcheur ne l’avait pas préparé, le père de Polyptote, Charybde, tomba en Scylla. Ils moururent tous les deux rapidement.

Par conscience professionnelle, les serviteurs du palais se jetèrent du haut des remparts en dansant le sirtaki. Leur pronostic vital fut très sérieusement engagé.

Héra et Aphrodite partirent bras dessus bras dessous vers le sommet du Mont Olympe pour y raconter à Zeus leur journée. Ils passèrent tous les trois une excellente soirée.

Le Chœur Antique

Et voilà, tout est dit, tout est consommé.
Tout le monde aurait pu vivre heureux jusqu’à la fin des temps et même au-delà. Personne n’était méchant, personne n’était mauvais. Personne n’avait voulu commettre de faute ni insulter la face des dieux. Mais tous sont morts, car leur destin devait s’accomplir. Et les dieux se sont bien amusés.

C’est cela, une tragédie.

Ô ! Attiquois, Théssaliens et Chalcidiques ! Ô ! Peuples futiles et oublieux ! Vous les Adorateurs des Etranges Lucarnes et vous les Mangeurs de Gluten Fétide ! Souvenez-vous-en : la tragédie, c’est pas marrant !

FIN

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