Résumé du passé :
Homeotéleute, officiellement fils du roi d’Antanaclase mais surtout rejeton illégitime de Zeus, a rencontré une charmante jeune fille, Polyptote.
Polyptote fille adoptive d’un pêcheur de Zeugma, ne sait pas qu’elle est en réalité la fille d’Hélène de Troie et du grand patron du Monde Olympique.
Les deux jeunes gens se sont tellement rencontrés sur un petit banc en marbre de Thassos que la jeune femme est à présent enceinte.
Ils veulent se marier. Au début, la maman d’Homéotéleute ne voulait pas, mais maintenant elle veut bien. Oui, je sais, c’est compliqué.
Acte IV
Pour ce dernier acte, la scène sera entièrement verte et sans accessoire. Puis, tandis qu’Homéotéleute et Polyptote entament leur dialogue, des esclaves habillés en Napolitains repeindront le décor en bleu ciel et apporteront sur scène tout ce qu’il faut pour faire une chambre nuptiale et royale.
Le Chœur Antique
Vous êtes toujours là, gens d’Athènes, prêtres de l’Acropole, commerçants de Plaka, ménagères du Lycabette et marins du Pirée ? Vous pensez qu’à présent tout va bien se passer. Vous croyez que la malédiction de la Déesse a été tournée et que l’histoire est finie. Vous êtes prêts à parier que les amoureux vont se marier, régner sur Antanaclase, avoir beaucoup d’enfants qui régneront à leur tour.
Mais où est-ce que vous vous croyez ? Dans une comédie musicale, une opérette ou un spectacle de fin d’année ?
Eh bien, restez encore un peu et voyez ! Voyez les nuages qui approchent et la fatalité hideuse qui avance en se cachant derrière eux ! Voyez l’ascension de ces deux benêts vers le septième ciel, voyez leur bonheur éphémère, et puis voyez aussi leur chute dans l’abîme que la jalouse Déesse a creusé pour eux. Voyez enfin leur trépas, inéluctable, écrit, immuable. Parce qu’ici, c’est une tragédie. Et dans la tragédie, on a beau être innocent, on a beau être honnête et dire bonjour à la dame, on meurt quand même.
Encore un peu de patience…
Dès à présent nous nous taisons.
Ecoutons la suite en silence
Et faisons place aux passions !
Le Récitant
Et maintenant que la Reine a donné son accord à l’union princière, voilà qu’à la tête d’une flottille de dix-sept trirèmes, autant que Polyptote a vécu de printemps, Homéotéleute cingle vers le Pirée, vers Athènes, vers le petit banc en marbre de Thassos où l’attend toujours sa fiancée qui grossit gentiment à l’ombre du grand cognassier du Péloponnèse.
Et voilà qu’on envoie une somptueuse ambassade à Zeugma, chargée de cadeaux magnifiques pour Charybde et pour Scylla, dont un bateau à fond de cristal, deux esclaves à tout faire et trois flacons d’Ouzo.
Et voilà que sur la colline on coupe une forêt toute entière pour faire place aux tables innombrables d’un immense banquet.
Et voilà que les invités accourent en nombre de tous les royaumes du monde connu et au-delà.
Et voilà que l’on sacrifie bœufs, moutons et porcelets, qu’on les installe sur des bûchers et que la fumée de leur graisse fondante monte au ciel, agréable aux narines des dieux.
Et voilà que l’union des deux jeunes gens est consacrée dans la joie, l’harmonie et l’huile d’olive.
Et voilà que la nuit est tombée et que les invités s’endorment partout dans les vapeurs de l’alcool, formant de leurs corps une mer mouvante et sonore.
Mais à présent, faisons silence.
C’est le matin et tout est calme.
Voici la chambre et les époux.
Ils se réveillent à l’instant.
Homéotéleute (avec satisfaction)
–Alors, Popote ? Heureuse ?
Polyptote
–Oui, bien sûr, mon gros loup des Carpates, mais bon, rien de bien nouveau.
Homéotéleute
–Je ne parlais pas de ça, Coquine de Zeugmienne. Je voulais dire : Alors, tu es contente de ta nouvelle vie au palais, de notre chambre, de tes suivantes, de tes bijoux ? Alors, heureuse quoi ?
Polyptote
–Mais bien sûr, ma Colonne Dorique. Pourtant, j’ai une prière à t’adresser et une question à te poser.
Homéotéleute
–Adresse et pose, mon petit Isthme de Corinthe. Je t’écoute.
Polyptote
–Voilà. Tout d’abord, la prière. Maintenant que je suis princesse d’Antanaclase et porteuse de qui portera un jour la couronne de ton père, j’aimerais que tu cesses de m’appeler Popote devant toute la cour. Vraiment, ça la fiche mal ! Appelle-moi Princesse, Reine de Mes Jours, Lumière de Mes Nuits, Enluminure de Mon Existence, Fontaine d’Ambroisie, tout ce que tu voudras, mais pas Popote ! plus Popote ! jamais !
A présent, la question : tu es fils de roi, ton père est fils de roi, le père de ton père était fils de roi. Bien qu’on n’ait jamais su vraiment ce qu’était le père du père de ton père, tu es l’héritier d’une longue et noble lignée. Quant aux ancêtres de ta mère, c’est pas mal non plus. Alors dis-moi, comment se fait-il que ton roi de père, et surtout ta snob de mère aient accepté comme épouse pour leur seul et unique rejeton une simple fille de Zeugma dont le père répare des filets quand il ne pourchasse pas la sardine véloce ? Hein, comment que ça se fait, Homéo ?
Homéotéleute
–Popote, tu as parlé et je t’ai entendue. Tu m’as adressé une prière et tu seras exaucée : c’était à l’instant la dernière fois que je t’aurais appelée Popote. Que dirais-tu d’Apogée de Mon Orbite ? Pas mal, hein ?
Tu m’as aussi posé une question. Assieds-toi sur ce petit banc en marbre de Thassos et écoute, car voici la réponse…
Le Chœur Antique
Non, non, Homéotéleute, Ô imprudent époux ! Ne lui dis rien ! Cache-lui pour toujours qu’elle est fille d’Hélène la Croqueuse de Troyens, et tout ira bien ! Qu’elle ignore à jamais qu’elle est fille de Zeus le Grand Fastidieux, et tout ira mieux ! Il est sage et bon qu’une femme ne sache pas tout de son époux, et vice-versa. Ecoute-nous, Homéotéleute, et tais-toi, ou crains pour ta vie ! … Mais nous parlons en vain, nous sommes inaudibles, et le destin doit s’accomplir. Eh bien, soit ! Qu’il s’accomplisse !
A SUIVRE