Archives de catégorie : Textes

Les corneilles du septième ciel (45, 45bis et 45ter)

Chapitre 45

Mais pourquoi interrompre déjà le vol des Corneilles ? Cette supplique de son éditeur n’attrista pas Lorenzo, elle l’anéantit. Avant même que Lariégeoise ait évoqué avec une intuition remarquable la similitude entre les Corneilles et Ulysse, Lorenzo pensait déjà que cette histoire pourtant imposée ne pouvait en aucun cas s’arrêter de sitôt. D’abord, l’expérience le passionnait et la vie de ses personnages ne faisait que commencer ; certains avaient à peine dépassé la trentaine alors qu’aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine, on pouvait envisager de les faire durer jusqu’à quatre-vingts, voire quatre-vingt-dix ans. Et puis, sur un plan pratique, il s’agissait du meilleur anti-dépresseur possible.  Quand son éditeur lui demanda avec une grande délicatesse de mettre un terme à ses Corneilles, Lorenzo Continuer la lecture de Les corneilles du septième ciel (45, 45bis et 45ter)

Les corneilles du septième ciel (44)

Chapitre 44

Une fois cette parenthèse refermée, l’auteur se retrouva dans la situation du début du chapitre précédent à laquelle il avait tout fait pour tenter d’échapper. Le boomerang lui revenait à la figure et il n’avait aucune idée sur la manière de s’en sortir avec élégance et crédibilité. La crédibilité, c’était son truc à lui, comme la fluidité était celui de Ph. De toute façon, il ne pouvait pas revenir en arrière. Philosophe, il se dit pour se rassurer qu’il ne devait pas être le premier auteur à se retrouver dans une telle impasse.

Rappelons la situation : Sophie C. est convaincue que les désirs de notoriété de son époux justifient un avis médical ce que Lorenzo dell’Acqua, un ami de confiance désintéressé, ne se prive pas de lui confirmer. Ce dernier, rancunier Continuer la lecture de Les corneilles du septième ciel (44)

Les corneilles du septième ciel (43)

Chapitre 43

Malheureusement pour sa charmante épouse, Ph. était un perfectionniste que ses succès récents ne parvenaient pas à satisfaire. Le Prix Goncourt, la publication de ses œuvres dans la Pléiade, l’Académie Française, tout cela était bien beau mais ne lui suffisait pas. Ce qu’il voulait, lui, ce n’était ni plus ni moins que le Prix Nobel de Littérature. Lorenzo en fut informé par Sophie que cette nouvelle lubie de son désormais illustre mari inquiétait à juste titre.

Troublé lui aussi par son comportement, Lorenzo pensa que l’avis du docteur Philippe, une vieille connaissance de son amie Françoise, serait utile et discret. Ce dernier se dit fort intéressé par Continuer la lecture de Les corneilles du septième ciel (43)

Octobre au Trastevere

Déjà diffusé en octobre 2015 !

Piazza Santa Maria In Trastevere, Rome

Soleil, ombre et fraîcheur. Calme.

La place est carrée, pas trop grande, et seulement quatre rues étroites y conduisent. Comme presque toutes les places de la ville, elle réunit les époques et les couleurs de Rome : une fontaine romaine, une église médiévale, un palais presque renaissance et deux ou trois immeubles XVII et XVIIIème.

L’endroit n’est pas très fréquenté par les groupes de touristes : pratiquement inaccessible aux autocars, il n’y a que deux restaurants, un café, un kiosque à journaux, et pas un seul commerce.

Pourtant, quelques touristes isolés croisent dans les parages, prennent une photo, entrent et sortent de l’église, s’installent pour un café ou un déjeuner. Une bande de jeunes gens, romains et étrangers, rient sur les marches de la fontaine. Une vielle femme arcboutée sur une poussette traverse rapidement la place et les pavés noirs font trembler les joues de l’enfant qu’elle ramène à la maison. 1165-PIAZZA STA MARIA IN TRASTEVEREUn serveur de restaurant, debout les bras croisés devant sa terrasse, discute au soleil avec un homme en tablier gris. Un triporteur des services de nettoyage traverse bruyamment la place à vive allure, suivi d’une petite fumée bleue, et disparait dans l’ombre d’une ruelle.

Nouveau calme.

Deux femmes Roms sortent de l’ombre Continuer la lecture de Octobre au Trastevere

Les corneilles du septième ciel (42)

Chapitre 42

La publication de l’œuvre considérable de Ph. dans l’illustre collection de la Pléiade n’a surpris personne. Ce succès attendu et mérité, il l’aura connu de son vivant, prouesse unique partagée avec dix-huit autres célébrités. Nous n’énumérerons pas aujourd’hui la liste de ses écrits aussi éclectique que variée. Seule la présence de son roman de jeunesse, A La Recherche du Tampon Perdu, nous a semblé discutable. Certes, il le rédigea pour occuper son temps pendant un séjour au Grand Hôtel de la Santé dans le XIV ème arrondissement (voir supra) mais la trivialité et la misogynie de ce récit pornographique en ont choqué plus d’un. Reconnaissons néanmoins que ce texte écrit à la manière de son célèbre ainé possède une qualité supplémentaire : la concision. L’original ne comporte pas moins de 15 000 pages, soit 4 volumes dans la Pléiade et 7 tomes dans la collection Quattro de Gallimard, alors que le roman de Ph. dit à peu près la même chose en seulement 32 pages. Continuer la lecture de Les corneilles du septième ciel (42)

Les corneilles du septième ciel (41)

Chapitre 41

L’inspecteur Bruno Body découvrit en feuilletant le Monde Littéraire où son ami écrivain avait puisé son inspiration. C’était dans un article de Michel Houellebecq évoquant une région de France imaginaire qui, pour des raisons économiques et climatiques, était tombée dans un isolement extrême avec pour conséquence la régression de ses habitants à l’état de bipèdes analphabètes. Cette région fictive correspondait, mot à mot, à celle où son personnage principal avait passé les vacances de son enfance. L’article de Houellebecq était un pamphlet contre les hommes politiques de droite et de gauche dont le titre, Les Partis Cultes et les Menteurs, annonçait bien la teneur. Continuer la lecture de Les corneilles du septième ciel (41)

Les vieilles gloires oubliées

Jean Benguigui… Là, tout de suite, comme ça, son nom ne vous dit peut-être rien, mais si je vous montrais sa photo ou si je vous faisais entendre sa voix, vous le reconnaîtriez immanquablement. Il fait partie de ces comédiens de second ou de troisième rôle qui forment la base d’un cinéma national. Sans ce genre de comédien, il n’y aurait que des stars et quoi de plus ennuyeux que les films où ne figurent que des stars ?

Jean Benguigui, c’est notre Joe Pesci à nous, notre Danny DeVito, notre Walter Brennan. C’est le Noël Roquevert de notre époque, le Marthe Villalonga du sexe opposé.
Son physique et son accent (si vous ne l’avez plus en tête, sachez qu’il est petit, plutôt gros, juif et pied-noir), l’ont cantonné le plus souvent à jouer des personnages bien marqués, mais il les a incarnés de toutes les façons possibles, drôle, populaire, dramatique, méchante, vicieuse… Moins marqué par ses origines, peut-être aurait-il été Bernard Blier ?

Pourquoi vous parlé-je de Benguigui ? Parce que l’autre jour, lui et moi Continuer la lecture de Les vieilles gloires oubliées

Les corneilles du septième ciel (40)

Chapitre 40

Bruno Body fut déçu par cette réunion de travail à la terrasse du Cyrano dont il attendait tant. Ni lui, ni Fabienne Pascaud n’en tirèrent de conclusion et encore moins la preuve de détournements coupables de l’écrivain. Plus le temps passa plus ils acquirent la conviction que ce dernier les avait menés en bateau. Ils en eurent la certitude quand, interrogé par Bernard Pivot lors d’une émission télévisée dont il était un habitué, Ph. présenta son prochain ouvrage dont la sortie en librairie était imminente. A l’évidence, il ne s’agissait pas d’un roman historique d’autant que Les bas d’Hélène n’étaient pas ceux dHélène de Troie. Difficile de deviner au résumé qu’il en fit devant les caméras s’il pouvait s’agir d’un plagia dont ils n’entrevoyaient d’ailleurs pas l’origine. Continuer la lecture de Les corneilles du septième ciel (40)

Singing in the rain

Suite africaine n°3, déjà publiée il y aura bientôt 10 ans. La scène se passe en Haute-Volta (aujourd’hui Burkina Fasso) au début des années 70.

J’ai quitté Sabou, ses enfants et ses crocodiles et j’ai repris ma route vers Bobo-Dioulasso.
C’est la première fois que je conduis en brousse. On m’avait mis en garde, mais la surprise est quand même là. Les parties défoncées de la piste alternent avec la tôle ondulée sur laquelle tous ceux qui ont lu le Salaire de la Peur savent qu’il faut rouler vite sous peine de casser la suspension ou de se décrocher la mâchoire.
La moitié des véhicules que l’on croise sont des taxis-brousse, Renault Estafettes chargées jusqu’à la calandre de voyageurs, de bagages et de bicyclettes, et portant, peinte au-dessus du pare-brise, une devise supposée rassurer le client ou flatter son fatalisme : « C’est Dieu qui conduit ! » ou bien « S’en fout la mort ! ». Les autres véhicules sont pour la plupart des camions. Ils font la route Abidjan-Ouagadougou-Niamey. Ils ont à peu près le même comportement que les taxis-brousse, mais ils ne l’annoncent pas : ils ne portent pas de devise trompe-la-mort. Ils la sèment sans le dire. Tout ce qui roule sur cette piste tangue sur les parties défoncées et vole sur la tôle ondulée
Presque tous les camions sont bancals et surchargés de marchandises et de voyageurs. Ils penchent dangereusement dans Continuer la lecture de Singing in the rain

Les corneilles du septième ciel (39)

Chapitre 39

Bien que leur ressemblance physique dépassât l’entendement, il n’y avait rien de commun entre Lariégeoise et Fabienne Pascaud. Le subterfuge organisé par Bruno était un véritable chef d’œuvre de machiavélisme, un mécanisme d’horlogerie, une bombe à retardement. Profitant avec opportunisme des troubles visuels liés à l’âge avancé de Ph., il organisa au soleil couchant un apéritif dinatoire à la terrasse Continuer la lecture de Les corneilles du septième ciel (39)