Les corneilles du septième ciel (39)

Chapitre 39

Bien que leur ressemblance physique dépassât l’entendement, il n’y avait rien de commun entre Lariégeoise et Fabienne Pascaud. Le subterfuge organisé par Bruno était un véritable chef d’œuvre de machiavélisme, un mécanisme d’horlogerie, une bombe à retardement. Profitant avec opportunisme des troubles visuels liés à l’âge avancé de Ph., il organisa au soleil couchant un apéritif dinatoire à la terrasse du Cyrano où Fabienne Pascaud, assise en contre-jour avec d’énormes lunettes de soleil lui cachant la moitié du visage et muette en raison d’une soi-disant extinction de voix, se ferait passer pour Lariègeoise. Avec celle qu’il croirait être son amie intime depuis la nuit des temps, Ph., ne se méfiant pas de la supercherie (Bruno savait qu’il avait été déjà abusé à plusieurs reprises par un médecin soi-disant ami), serait d’une absolue sincérité et lui révélerait l’origine de ses inspirations littéraires.

L’état de santé de Lorenzo fut leur premier sujet de conversation. Aux dernières nouvelles, le malheureux ne présentait aucune amélioration. Il envisageait d’aller récupérer sa fille qu’élevait depuis le décès de son épouse son ami Julien Seurel, le fils de l’instituteur de Sainte Agathe en Sologne où il avait été jadis pensionnaire.

Françoise, que le docteur Philippe informait régulièrement, fut la première à conseiller de nouvelles séances d’électrochoc bien qu’elle fût initialement opposée à cette technique barbare comme ne cessaient de le répéter plusieurs associations woke des Deux Sèvres. Cette thérapie d’un autre temps étant la seule à avoir donné un résultat légèrement positif, elle considéra qu’elle devait être à nouveau tentée. A l’issue d’un staff mouvementé, il fut décidé à la grande satisfaction de son chef de service, le chasseur de ragondins, d’effectuer une nouvelle série d’électrochocs.

Bruno évoqua ensuite avec son ami la suite de sa carrière littéraire et lui demanda s’il avait déjà trouvé le thème de son futur roman. Ph. réfléchit quelques instants et, se penchant vers ses interlocuteurs, leur murmura à l’oreille :

  • Oui, j’y travaille déjà …
  • Ah bon, et tu ne nous en diras pas plus ?
  • Si, parce que j’ai une confiance absolue en vous

Son nouveau roman se situerait au début de notre ère dans un village gaulois dont le druide posséderait des dons extraordinaires : il aurait inventé une recette de potion magique rendant ses consommateurs invulnérables. Au-delà de son caractère anecdotique, cette histoire rappelant celle de celle de David contre Goliath serait une habile métaphore de celle, très à la mode à cette époque, du petit contre le grand. Son originalité en garantissait le succès d’autant qu’il comprendrait aussi une bonne dose d’humour. En effet, un villageois obèse doué naturellement d’une force surhumaine irait lui réclamer tous les matins sa dose de potion magique superflue. Ce comique de répétition qu’il prisait fort déclencherait l’exaspération du druide et le rire des lecteurs.

Bien qu’elle fut aphone, Fabienne Pascaud en perdit ce qui lui restait de voix. Bruno Body n’en crut pas ses oreilles et tous les deux se regardèrent abasourdis. Ils ne s’attendaient pas à pareille révélation. De deux choses l’une : ou bien l’écrivain s’enfonçait dans une démence sénile qu’ils soupçonnaient depuis déjà un bon moment, ou bien, ce qui était plus désobligeant pour eux et qu’ils n’envisagèrent qu’avec réticence, il se foutait carrément de leurs gueules.

A SUIVRE

Lorenzo dell’Acqua

NOTE DE L’ÉDITEUR

Pour répondre à une question qui m’a déjà été posée par plusieurs lecteurs du JdC, une question qui brûle les lèvres des autres à l’exception de ceux qui sont familiers de ma façon d’écrire et de mes thèmes favoris, je tiens à préciser que ni Lorenzo, ni Lorenzo dell’Acqua ne sont de mes pseudonymes et que je ne suis pas l’auteur des “Corneilles du septième ciel”, ni de tout autre texte, critique, aphorisme, calembour et autre contrepèterie signée Lorenzo, Lorenzo dell’Acqua ou Lorenzaccio.
Par ailleurs, les aventures, accidents, analyses, analepses, avatars, avanies et apothéoses que vivent les personnages des « Corneilles » et en particulier les dénommés Philippe, Philippe 1, Philippe C et assimilés n’ont rien à voir avec ma propre existence. Qu’on se le dise ! 

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