Les corneilles du septième ciel (43)

Chapitre 43

Malheureusement pour sa charmante épouse, Ph. était un perfectionniste que ses succès récents ne parvenaient pas à satisfaire. Le Prix Goncourt, la publication de ses œuvres dans la Pléiade, l’Académie Française, tout cela était bien beau mais ne lui suffisait pas. Ce qu’il voulait, lui, ce n’était ni plus ni moins que le Prix Nobel de Littérature. Lorenzo en fut informé par Sophie que cette nouvelle lubie de son désormais illustre mari inquiétait à juste titre.

Troublé lui aussi par son comportement, Lorenzo pensa que l’avis du docteur Philippe, une vieille connaissance de son amie Françoise, serait utile et discret. Ce dernier se dit fort intéressé par le cas de cet écrivain comblé et toujours insatisfait mais refusa de se prononcer sans avoir vu l’intéressé ce qui n’était pas sans poser quelques difficultés. Comment amener Ph. à Poitiers et le faire rencontrer  un psychiatre sans éveiller ses soupçons ? En plus, l’idée d’aller dans cette région ne risquait pas de l’enthousiasmer car elle lui rappellerait de bien mauvais souvenirs. C’est en effet là, deux ans auparavant, lors d’un procès retentissant au tribunal de Poitiers, qu’il avait été suspecté de tentative d’assassinat sur la personne de ce même Lorenzo dell’Acqua parti à la chasse au ragondin dans le Marais.

 A ce moment crucial de l’intrigue, il nous a semblé utile de rappeler à certains lecteurs déboussolés par sa relative complexité qu’après plusieurs mois de délires divers et variés, Lorenzo avait retrouvé toute sa lucidité le jour où Annick Cottard de passage dans la région vint lui rendre visite avec Pierre Lepôvre. Bien qu’il ne l’eût rencontrée qu’une demi-douzaine de fois à l’occasion des séjours de Françoise Maignan à Paris, il était l’auteur de la célèbre photo en noir et blanc des deux amies se baladant sur les quais de la Seine qui avait fait le tour du monde.

L’histoire de sa guérison miraculeuse mérite d’être racontée. Dans un premier temps, en voyant entrer Annick dans sa chambre, il crut à la visite d’Yvonne de Galais bien que le physique de l’héroïne du Grand Meaulnes ne correspondît guère à celui avantageux d’Annick Cottard. En réalité, c’est la présence de Pierre Lepôvre à ses côtés qui fut l’élément déclenchant.

  • Mais Madame, l’individu qui vous accompagne et que je connais bien n’est pas Augustin Meaulnes !
  • Non, ce n’est pas Augustin Meaulnes
  • Alors qui est-ce ?
  • Pierre Lepôvre, mon mari
  • Mais c’est incroyable ! Pierre, votre mari, est mon voisin de palier depuis cinquante ans !

Et ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Lorenzo affirma par la suite que cette révélation avait été pour lui bien plus efficace qu’un électrochoc. Il s’en été suivi un silence prolongé pendant lequel personne n’osa prononcer un mot. La tête enfouie dans ses mains et ses pensées, Lorenzo resta prostré un long moment. On en profita pour appeler discrètement l’infirmière. Quand elle entra dans la chambre au prétexte de lui prendre la tension, il lui dit :

  • Et vous, vous n’êtes pas Madeleine, l’infirmière du lycée Saint Louis. Vous travaillez au CHU de Poitiers et je vous ai connue lors de mon accident de vélo.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le souvenir auquel Lorenzo faisait allusion était parfaitement exact. Victime d’une chute de vélo sur la route de Parthenay pendant un séjour dans la famille de son épouse, il avait été transporté et hospitalisé au CHU de Poitiers. L’événement qui remontait à plus de dix ans était bien réel

  • Effectivement, répondit l’infirmière qui confirma ne pas se prénommer Madeleine mais Marcelle.

Profitant de la lueur d’espoir qu’elle entrevoyait, elle lui demanda.

  • Et qui sont ces charmantes personnes venues vous rendre visite ?
  • Annick Cottard, une amie de Françoise, la jeune et jolie jeune femme qui m’accompagnait à la chasse au ragondin, et son mari Pierre Lepôvre qui est par ailleurs mon voisin de palier depuis une cinquantaine d’années. Pierre est un archéologue renommé qui ne peut pas s’arrêter de fouiller et pas que les sites anciens (notez que Lorenzo n’avait pas retrouvé que la mémoire ; il avait aussi retrouvé son sens de l’humour légendaire). C’est lui qui a fait surgir des sables du désert syrien Doura Europos, l’antique cité mésopotamienne hélas récemment anéantie par Daesh.
  • Et vous, savez-vous qui vous êtes ?
  • Allons, mademoiselle, quelle question idiote ! Je suis le docteur Lorenzo dell’Acqua et j’ai été agressé par un ragondin enragé dans le Marais Poitevin d’où ma présence dans cet hôpital. Je suis également photographe et auteur d’un roman, Le Souper d’Aveugles, plagié par un écrivain désormais trop célèbre pour que je puisse espérer obtenir une réparation publique et financière.

A SUIVRE 

Lorenzo dell’Acqua

NOTE DE L’ÉDITEUR

Pour répondre à une question qui m’a déjà été posée par plusieurs lecteurs du JdC, une question qui brûle les lèvres des autres à l’exception de ceux qui sont familiers de ma façon d’écrire et de mes thèmes favoris, je tiens à préciser que ni Lorenzo, ni Lorenzo dell’Acqua ne sont de mes pseudonymes et que je ne suis pas l’auteur des “Corneilles du septième ciel”, ni de tout autre texte, critique, aphorisme, calembour et autre contrepèterie signée Lorenzo, Lorenzo dell’Acqua ou Lorenzaccio.
Par ailleurs, les aventures, accidents, analyses, analepses, avatars, avanies et apothéoses que vivent les personnages des « Corneilles » et en particulier les dénommés Philippe, Philippe 1, Philippe C et assimilés n’ont rien à voir avec ma propre existence. Qu’on se le dise ! 

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