Les corneilles du septième ciel (44)

Chapitre 44

Une fois cette parenthèse refermée, l’auteur se retrouva dans la situation du début du chapitre précédent à laquelle il avait tout fait pour tenter d’échapper. Le boomerang lui revenait à la figure et il n’avait aucune idée sur la manière de s’en sortir avec élégance et crédibilité. La crédibilité, c’était son truc à lui, comme la fluidité était celui de Ph. De toute façon, il ne pouvait pas revenir en arrière. Philosophe, il se dit pour se rassurer qu’il ne devait pas être le premier auteur à se retrouver dans une telle impasse.

Rappelons la situation : Sophie C. est convaincue que les désirs de notoriété de son époux justifient un avis médical ce que Lorenzo dell’Acqua, un ami de confiance désintéressé, ne se prive pas de lui confirmer. Ce dernier, rancunier comme pas deux, n’aurait pas été fâché de voir son ami pilleur d’intrigues se retrouver non pas sous les verrous, il en avait définitivement perdu l’espoir, mais dans une unité spécialisée dont, par expérience personnelle, il savait la difficulté de sortir. Facile à dire mais plus difficile à mettre par écrit. Le subterfuge de s’adresser au psychiatre Philippe, un personnage déjà rencontré dans le roman, lui avait semblé une excellente idée. Certes, mais elle ne faisait que reculer pour mieux, ce qui n’était pas sûr du tout, sauter.

Après avoir passé en revue différents scénarios, l’auteur avait conclu que le plus crédible était le suivant. Pris au dépourvu par la demande de Sophie, Ph. accepta d’aller visiter Poitiers. L’idée lui semblait curieuse mais son épouse lui en donna la raison. Jadis, ses parents l’avaient emmenée dans cette région et, bien qu’elle n’en conservât aucune image précise, ce voyage à Poitiers était resté pour elle un souvenir idyllique peut-être parce que, peu de temps après, ils la mirent en pension à Aurillac dont le moins qu’on puisse dire est que la couleur des maisons n’incitait pas à la rigolade. Cette solution lui permettrait d’évoquer ensuite les longues soirées d’hiver de la petite Sophie dans le dortoir glacial du Collège des Sœurs Augustines. Plausible mais pas très original.

Il en imagina une autre qui relevait de la pirouette. A l’idée de se rendre à Poitiers, Ph. déclencha une telle crise d’urticaire que plus jamais Sophie n’osa prononcer le nom de cette ville devant lui. Comme cela avait été rapporté au procès, elle put constater que l’œdème de Quincke qui boursouffla son visage le faisait ressembler à s’y méprendre à celui d’un ragondin des Andes. Cette suite avait surtout le mérite de la facilité et épargnerait à l’auteur de se torturer les méninges pour amener de façon crédible la consultation avec le docteur Philippe à trois cents kilomètres de leur domicile.

Après un dîner fort arrosé et pendant l’insomnie qui s’en suivit, une autre solution un peu biscornue lui vint à l’esprit. Ph., réveillé plus tôt que dc coutume, surprit son épouse en conversation téléphonique avec celui qu’il reconnut assez vite comme étant Lorenzo. Ils discutaient ensemble de la nécessité d’une consultation de psychiatrie rendue nécessaire aux yeux de Sophie par les récents délires mégalomaniaques de son mari. Sans faire état de cette écoute involontaire, Ph annonça à Sophie que sa tendance dépressive commençant à lui peser il avait décidé d’aller consulter un psychanalyste, un proche de son ami Edouard Minette, le célèbre Jacques Lacan. Cette version présentait comme avantage la cohérence géographique mais ne lui simplifiait pas la tâche car il ne connaissait de Lacan que la réputation farfelue.

L’auteur en était là de ses réflexions quand il reçut un mail comminatoire de son éditeur lui enjoignant de trouver au plus vite une fin à ses Corneilles. Le choc fut d’autant plus rude pour lui qu’il avait l’impression de ne pas en avoir terminé l’introduction. Il lui répondit que si Homère, Proust et Joyce avaient eu affaire à un éditeur aussi dépourvu d’intuition que lui, d’autres chefs d’œuvre de la littérature universelle n’auraient jamais vu le jour.

FIN ????

Lorenzo dell’Acqua

NOTE DE L’ÉDITEUR

Pour répondre à une question qui m’a déjà été posée par plusieurs lecteurs du JdC, une question qui brûle les lèvres des autres à l’exception de ceux qui sont familiers de ma façon d’écrire et de mes thèmes favoris, je tiens à préciser que ni Lorenzo, ni Lorenzo dell’Acqua ne sont de mes pseudonymes et que je ne suis pas l’auteur des “Corneilles du septième ciel”, ni de tout autre texte, critique, aphorisme, calembour et autre contrepèterie signée Lorenzo, Lorenzo dell’Acqua ou Lorenzaccio.
Par ailleurs, les aventures, accidents, analyses, analepses, avatars, avanies et apothéoses que vivent les personnages des « Corneilles » et en particulier les dénommés Philippe, Philippe 1, Philippe C et assimilés n’ont rien à voir avec ma propre existence. Qu’on se le dise ! 

2 réflexions sur « Les corneilles du septième ciel (44) »

  1. Je partage la surprise et l’indignation de Bruno.

  2. Fin ???? Mais que signifient ces ????
    Si l’intrigue, qui tourne autour d’un héros et de trois ou quatre personnages secondaires bien connus de tous, est très mince, le délirium, lui, est tremens !
    Mais pourquoi une fin et pourquoi celle-là ? Et que vient faire ici l’éditeur ? Le héros peut-il s’abriter derrière cette double qualité pour délivrer des injonctions par voie de mail comminatoire ? Pire que Bolloré, non ?
    Il reste que l’assiduité a permis quelques rigolades, ce dont je sais gré à l’auteur, dont la vocation et le courage devraient être récompensés. Quelques ateliers d’écriture gratuits pour resserrer l’écriture et développer l’intrigue ? En tout cas l’imagination est là, et c’est bien la base de tout !

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