Les corneilles du septième ciel (41)

Chapitre 41

L’inspecteur Bruno Body découvrit en feuilletant le Monde Littéraire où son ami écrivain avait puisé son inspiration. C’était dans un article de Michel Houellebecq évoquant une région de France imaginaire qui, pour des raisons économiques et climatiques, était tombée dans un isolement extrême avec pour conséquence la régression de ses habitants à l’état de bipèdes analphabètes. Cette région fictive correspondait, mot à mot, à celle où son personnage principal avait passé les vacances de son enfance. L’article de Houellebecq était un pamphlet contre les hommes politiques de droite et de gauche dont le titre, Les Partis Cultes et les Menteurs, annonçait bien la teneur.

L’intrigue du Bas d’Hélène ne provenait cependant pas de là et Bruno devrait en trouver l’origine ailleurs. Ce roman racontait l’histoire d’un ingénieur scientifique qui décidait à l’heure de la retraite de se consacrer à l’écriture et de rédiger quelque chose, parfois un seul mot, tous les jours de l’année sans exception. L’idée était originale et la description psychologique du retraité, au début semblable à vous et moi, qui se réveille tous les matins dans la robe de chambre de Marcel Proust, est saisissante. A côté, la Métamorphose est un roman à l’eau de rose. Son activité obsessionnelle effacera peu à peu les réalités de la vie quotidienne et il en oubliera d’abord de faire les courses, puis les repas et enfin, mais ne dévoilons pas l’issue dramatique du roman, de se laver. On imagine la consternation de sa famille qui avait vu d’un bon œil le jeune retraité s’intéresser enfin à autre chose qu’à la mécanique quantique.

Doué de facilités incroyables, cet écrivain tardif s’était perfectionné dans un atelier d’écriture de la rive gauche animé par Georges Perec dont on retrouve souvent l’humour dans ses écrits. Ses nombreux romans, car il en rédigera tout de même vingt et un en moins de dix ans, ses critiques cinématographiques, car c’était un cinéphile averti qui avait pris l’ascenseur un jour avec François Truffaut, ses photographies, car c’était un excellent photographe d’après un spécialiste de son entourage, ses billets d’humeur dénonçant les ravages de notre époque sur l’avenir de nos enfants, ses révoltes contre les comportements politiques honteux, ses souvenirs de régiment à Villacoublay et de ses chasses au ragondin à la Palmyre, passionnaient les abonnés de son Journal en ligne tous les matins à 7 h 47. Par leur qualité, leur justesse et leur originalité, ses écrits recevront un excellent accueil auprès de tous leurs lecteurs.

Mais, à cet écrivain qui n’était plus en herbe, se posait le problème de la reconnaissance publique. Certes, il possédait un cercle, une cour même, de lecteurs et de lectrices fidèles, enthousiastes et admiratifs, mais cela ne suffisait pas à son bonheur. Comme Lampedusa, il avait le secret espoir d’accéder à la célébrité littéraire à un âge que l’on se gardera bien de dévoiler. Il lui sera beaucoup pardonné d’avoir tout tenté pour y parvenir et de ne pas avoir lésiné sur les moyens en faisant appel à un spécialiste étranger de la communication. Sur ses conseils, il utilisera les méthodes d’organisations peu recommandables telles que le harcèlement, l’intimidation, la menace, la délation, le coup de poignard dans le dos, voire le croche-pied, qui ne parviendront cependant jamais à entamer le capital d’humanité et de gentillesse qui se dégage de son personnage. Ses proches penseront que seules des difficultés financières le poussaient à un tel acharnement. Peu importe car l’écrivain-retraité fait preuve d’une telle abnégation et d’une telle qualité d’écriture qu’il finira par recevoir (dans le roman) la récompense suprême : le Prix Goncourt.

Critique parue sur Amazon le 2 aout 2023

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Lorenzo dell’Acqua

NOTE DE L’ÉDITEUR

Pour répondre à une question qui m’a déjà été posée par plusieurs lecteurs du JdC, une question qui brûle les lèvres des autres à l’exception de ceux qui sont familiers de ma façon d’écrire et de mes thèmes favoris, je tiens à préciser que ni Lorenzo, ni Lorenzo dell’Acqua ne sont de mes pseudonymes et que je ne suis pas l’auteur des “Corneilles du septième ciel”, ni de tout autre texte, critique, aphorisme, calembour et autre contrepèterie signée Lorenzo, Lorenzo dell’Acqua ou Lorenzaccio.
Par ailleurs, les aventures, accidents, analyses, analepses, avatars, avanies et apothéoses que vivent les personnages des « Corneilles » et en particulier les dénommés Philippe, Philippe 1, Philippe C et assimilés n’ont rien à voir avec ma propre existence. Qu’on se le dise ! 

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