Les corneilles du septième ciel (40)

Chapitre 40

Bruno Body fut déçu par cette réunion de travail à la terrasse du Cyrano dont il attendait tant. Ni lui, ni Fabienne Pascaud n’en tirèrent de conclusion et encore moins la preuve de détournements coupables de l’écrivain. Plus le temps passa plus ils acquirent la conviction que ce dernier les avait menés en bateau. Ils en eurent la certitude quand, interrogé par Bernard Pivot lors d’une émission télévisée dont il était un habitué, Ph. présenta son prochain ouvrage dont la sortie en librairie était imminente. A l’évidence, il ne s’agissait pas d’un roman historique d’autant que Les bas d’Hélène n’étaient pas ceux dHélène de Troie. Difficile de deviner au résumé qu’il en fit devant les caméras s’il pouvait s’agir d’un plagia dont ils n’entrevoyaient d’ailleurs pas l’origine.

Comme s’en expliqua plus tard son auteur, ce titre était l’homophone de la région où se passait son roman. Il débutait par une description certes peu enthousiasmante mais objective du Bas de l’Aisne. D’après les historiens, la pauvreté des subsides officiels et la rudesse du climat jointe à un relief inhospitalier avaient interdit l’accès de cette province reculée de l’est de la France aux bénéficiaires des Trente Glorieuses avides de résidences secondaires que leurs descendances s’empresseraient d’essayer de revendre, sans succès d’ailleurs, à une époque où il serait devenu plus rapide de se rendre en Algarve que d’aller à Deauville. Mal desservie par la SNCF qui ne pouvait construire de ligne TGV à cause des marécages et des tourbières et privée d’une autoroute dont la construction était sans cesse différée, cette région était retournée des années en arrière d’après des journalistes qui s’y étaient aventurés à leurs risques et périls. Sa population exsangue vivait dans des hameaux où sa progéniture issue de croisements consanguins régressait de génération en génération. Malgré les efforts de quelques progressistes qui en étaient originaires comme Edouard Minette, propriétaire d’une enseigne de vente de bétail en ligne, et Bella Davidovitch, la cantatrice qui faisait un tabac dans le rôle de Carmen, les pouvoirs publics rechignaient à investir dans cette circonscription sans grand avenir vu le nombre d’électeurs sachant lire.

A un jeu radiophonique fort prisé à cette époque, les parents du jeune Ph. gagnèrent dans ce havre de paix par la force des choses une maison assez vaste desservie par un chemin de terre difficilement praticable pendant les six mois d’hiver. Ne parlons pas des chutes de neige qui la rendait photogénique mais inaccessible. Comme on le voit, ce n’était pas un cadeau. Si, en réalité, car la commune avait décidé de faire cadeau des propriétés abandonnées à n’importe qui pour un franc symbolique. Une radio peu scrupuleuse prétendait qu’il s’agissait d’une récompense de valeur qu’elle offrait à la sagacité des participants à son fameux jeu des 77 erreurs. Les parents de Ph. firent partie des dupes.

Le bâtiment était vaste de l’extérieur en raison de la taille démesurée de l’étable mais le logis lui-même ne comportait que trois pièces. Pas de chauffage, des sanitaires rudimentaires dans une cabane en bois au fond d’un jardin à l’abandon, un coin cuisine avec un évier en pierre qui servait aussi de baignoire, voilà quel était le lot des heureux gagnants du jeu radiophonique. L’absence de chauffage aurait pu être compensée par l’utilisation de la vaste cheminée du séjour mais les marchands de bois refusaient de faire des livraisons dans cette localité à la voierie non entretenue. Restaient par chance les couettes dont il était fait un usage intensif de nuit comme de jour. Malgré les conditions atmosphériques défavorables, les enfants des propriétaires ne prirent jamais froid grâce aux pull-overs en laine de lama tricotés par leur maman.

C’est donc là que le petit Ph. passait ses vacances et qu’il fit la connaissance des voisins de son âge, Edouard Minette et Bella Davidovitch. Ce trio infernal fit les 400 coups mais leurs relations évoquaient plutôt Jules et Jim car, à cette époque, Minette n’était pas encore obèse, Ph. était déjà un angelot aux yeux bleus et aux cheveux blonds et Bella la plus belle gamine du village ce qui n’était pas difficile. Ils se firent appeler les « Mi, Mi and Me » en hommage au solo de trompette légendaire d’un marceau de jazz qu’ils adoraient. Les musicologues pensent que ce pseudonyme devait se comprendre ainsi : Mi (nette), Mi (dinette) and Me (moi-même).

Leurs blagues d’un goût discutable que leurs parents trop permissifs ne réprimèrent jamais n’amusaient guère les paysans du coin comme celle d’ouvrir de nuit les clôtures des prés où végétaient des animaux que les experts considérèrent après analyse de leur ADN comme des veaux. La plupart n’avaient pas de dents ce qui contrariait leur alimentation et surtout leur croissance. Les plus chanceux atteignaient à l’âge adulte la taille d’un mouton mais squelettique. Des loups firent leur apparition dans le petit village de Chants de Fées, un nom charmant qui ne reflétait pas vraiment la réalité, et semèrent la terreur dans les troupeaux déjà clairsemés. On vit même à plusieurs reprises des ragondins comme en témoigna la Dépêche du Badeleine qui publia la photographie de l’un d’entre eux dont on sait les ravages qu’ils étaient capables de causer surtout en période de famine comme c’était le cas de manière endémique dans cette région défavorisée.

A SUIVRE

Lorenzo dell’Acqua

NOTE DE L’ÉDITEUR

Pour répondre à une question qui m’a déjà été posée par plusieurs lecteurs du JdC, une question qui brûle les lèvres des autres à l’exception de ceux qui sont familiers de ma façon d’écrire et de mes thèmes favoris, je tiens à préciser que ni Lorenzo, ni Lorenzo dell’Acqua ne sont de mes pseudonymes et que je ne suis pas l’auteur des “Corneilles du septième ciel”, ni de tout autre texte, critique, aphorisme, calembour et autre contrepèterie signée Lorenzo, Lorenzo dell’Acqua ou Lorenzaccio.
Par ailleurs, les aventures, accidents, analyses, analepses, avatars, avanies et apothéoses que vivent les personnages des « Corneilles » et en particulier les dénommés Philippe, Philippe 1, Philippe C et assimilés n’ont rien à voir avec ma propre existence. Qu’on se le dise ! 

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