Archives de catégorie : Fiction

Go West ! (92)

(…) Je ne sais pas ce qui m’a poussé à le faire, peut-être le fait qu’elle ait dit Philippe au lieu de Phil ou de petit homme, peut-être la chaleur du baiser que nous avions partagé un peu plus tôt, mais je l’ai fait.  Dans un mouvement très souple et très naturel, comme dans un film, j’ai passé mon bras gauche derrière sa nuque, je me suis penché vers elle et je l’ai embrassée. Tout d’abord, elle est restée sans réaction ; elle se laissait faire. Alors j’y ai mis un peu plus de passion, en même temps que je passai ma main sous sa chemise. C’est à cet instant que j’ai reçu un grand coup de son coude droit dans les côtes.
— Petit con ! Décidément, tu n’as rien compris !

C’est de cette façon lamentable que se terminèrent les trois jours les plus extraordinaires que j’aie jamais vécus : insulté, humilié, planté là sur le bord de la route, je regardais une petite voiture traverser en bondissant le terre-plein central pour rejoindre la chaussée qui retournait vers la ville.

Lorsque ses feux eurent disparu, je demeurai un moment immobile, puis je fis machinalement trois pas dans la direction de Las Vegas Continuer la lecture de Go West ! (92)

Homéotéleute et Polyptote (4)

Résumé du premier acte :

Homéotéleute est le prince héritier du royaume d’Antanaclase, mais pas que. Il est aussi le (n+1) ème bâtard de Zeus, qui l’a conçu avec l’épouse du roi d’Antanaclase. Il vient de quitter son ile pour Athènes afin d’y suivre un cycle de Sémantique Sportive de Haut Niveau. Au sortir d’un cours, il rencontre la très-très jolie Polyptote, une jeune Zeugmienne de basse extraction. Ça sent le coup de foudre et l’inévitable Récitant s’est extasié sur l’heureux hasard qui a présidé à cette rencontre : « Leur rencontre devait tout au hasard, et rien ne les prédestinait à se trouver en ce lieu, en cet instant et, surtout, libres de toute attache. »

Acte II

Le décor est maintenant entièrement couleur fushia, sauf le banc (en marbre de Thassos) et le cognassier du Péloponnèse.

Le Chœur Antique

— « Leur rencontre devait tout au hasard » ? Hé, ho, le Récitant ! Vous rigolez ou quoi ? Avec des prénoms pareils ! Avec des parents comme ça ! « Rien ne les prédestinait… » ? Non, mais, nous rêvons ! 

Et, selon vous, qui a poussé Polyptote à s’inscrire Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (4)

Homeotéleute et Polyptote (3)

Résumé de ce qui s’est passé avant :

Polyptote est une très très jolie Zeugmienne de basse extraction. Elle est à Athènes pour suivre les cours de Solipsisme Perspicace de Doryphore d’Alexandrie. Pour le moment, elle se repose sur un petit banc en marbre de Thassos. C’est le Récitant qui parle. 

Homéotéleute sortait de son stage de Sémantique Sportive de Haut Niveau. La tête encore encombrée d’acrostiches, d’acronymes et d’acrotères, il regardait ses sandales et ne voyait rien d’autre autour de lui. C’était d’ailleurs une habitude chez ce jeune homme que de marcher la tête basse, ce qui lui valait très régulièrement des bosses sur le front et des coups de soleil sur la nuque, mais il ne pouvait faire autrement. Et voici pourquoi :

Homéotéleute était le fruit des amours illégitimes de Zeus, Assembleur des Nuées, et d’une simple mortelle, Polysémie aux Belles Cuisses, épouse d’Epiclèse, roi d’Antanaclase. Afin de pouvoir approcher la reine qu’il convoitait, le Cronide avait choisi de prendre l’apparence d’une girafe, déguisement qui le tentait depuis longtemps mais qui se révéla finalement peu commode pour embrasser la dame. Quand tout fut consommé, Zeus à la Voix Puissante se fit connaitre et ordonna à la reine Continuer la lecture de Homeotéleute et Polyptote (3)

Go West ! ( 91)

(…) Sur le coup, ça me fait plaisir que Mansi ait voulu me rendre service. Ça prouve bien qu’elle m’aime un petit peu !
— Merci, c’est gentil de la part de Mansi de…
— Ne te fais pas d’illusions. Elle veut surtout être sûre que tu ne vas pas revenir traîner dans le coin. Avec tes réactions de lycéen, on ne sait jamais. Elle m’a même demandé de te surveiller jusqu’à ce que quelqu’un t’ait pris en voiture ! Alors, tu vois…

Et paf ! Encore un coup à l’amour propre. En silence, je croise les bras et me rencogne contre la portière.
— Écoute, petit homme. Non, excuse-moi : écoute, Philippe…
Ça me fait du bien d’entendre mon prénom, prononcé en entier, plutôt gentiment.
— Écoute, Philippe. Tu prends tout ça trop au sérieux. Je te comprends, remarque. J’ai un petit cousin comme toi, Matt. Il est gentil, Matt, dix-huit ans, bien élevé, timide, maladroit. En septembre, il va rentrer à l’université, à Davis. Je le connais bien, Matt. Tu me fais un peu penser à lui.
— Un gentil crétin, quoi !
— Mais non, pas du tout ! Je l’aime bien, Matt, simplement, il n’est pas comme nous, je veux dire pas comme Mansi, comme Bob, ou comme moi. Quand je t’ai observé l’autre soir, installé comme tu l’étais chez Mansi, je l’ai tout de suite imaginé à ta place. Débarquer d’un seul coup dans un milieu totalement différent de celui dans lequel on a toujours vécu, ça ne doit pas être facile. Moi, je n’aurais jamais amené Matt dans une soirée comme ça, et s’il avait été là quand même, je l’aurais surveillé, je l’aurai protégé. Pendant un moment, j’ai bien failli le faire pour toi. Mais quand j’ai vu que tu t’entendais si bien avec Brenda… Continuer la lecture de Go West ! ( 91)

Homéotéleute et Polyptote (2)

Résumé du début du premier acte :

En commençant ici votre lecture, vous avez raté la liste des personnages et des interprètes. Vous avez également manqué les trois coups et le lever de rideau sur le somptueux décor. Ce n’est pas bien d’arriver en retard au théâtre. Ca dérange tout le monde.
Le type au milieu, là, c’est le récitant. Il a demandé que l’on fasse silence et il vient de commencer son histoire. 

…Retenez vos larmes, étouffez vos cris, car il n’y a que dans le silence et le recueillement que l’on peut entendre une telle tragédie. Je commence…

C’est au pied du mont Lycabette, la colline aux loups féroces, qu’ils se rencontrèrent pour la première fois. Elle s’appelait Polyptote et lui, Homéotéleute. Elle venait de Zeugma, petite ile de la mer Métaphorique aux mille naufrages, et lui, des grandes plaines d’Antanaclase, riches en hypallages et en hypotyposes.

Polyptote était arrivée à Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (2)

Homéotéleute et Polyptote (1)

Ceci est une reprise du succès de la saison théâtrale de l’année 2016

Tragédie en quatre ou cinq actes (au choix)

A Sophocle, Eschyle et Giraudoux

Personnages

Épiclèse                      roi d’Antanaclase (M. Jean-Paul Belmondo)
Polysémie                   épouse d’Epiclèse (Mme Shirley McLaine)
Homéotéleute            fils d’Epiclèse (M. Gérard Jugnot)
Polyptote                   jeune Zeugmienne (Mlle Brigitte Bardot)
Le Récitant                récitant (M. Louis Jouvet)
Le Chœur Antique   vieille chorale (M. Michel Fugain et le Big Bazar)
Homère                      poète (M. Michel Simon)
Héra                           déesse (Mme Régine)
Aphrodite                  déesse (Mlle Sharon Stone)
Charybde                  pauvre pêcheur (M.Michel Colucci)
Scylla                         pauvre pécheresse (En alternance Mmes Jeanne et Yolande Moreau)
Villageois, invités, gardes, servantes, attaché consulaire, chevaux, raton laveur… Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (1)

Go West ! (90)

(…) J’en ai pris plein la figure. Submergé par ce flot de révélations, je n’arrive pas à les assimiler. J’ai la gorge serrée, je suis incapable de prononcer un mot. J’ai fini de m’habiller depuis longtemps et c’est au moment où je me penche pour ramasser mes affaires qu’un sentiment de révolte m’envahit. J’attrape mon sac, marche jusqu’au coin du lit et m’assieds dessus, le sac entre mes pieds.
— Je ne pars pas !
— Quoi ? Et Bo qui arrive !
— Je m’en fous, je ne pars pas ! Bo ne me fait pas peur !

Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ce Bo ne me fait pas peur ! est sorti malgré moi. On n’a pas idée de dire un truc pareil ! Et quand bien même ce serait vrai, quand bien même je l’affronterais, Bo, ça nous mènerait à quoi ? À une discussion de gentlemen au cours de laquelle je tenterais de le convaincre de me laisser dormir avec sa femme encore quelques jours ? À une bagarre dans laquelle j’aurais toutes les chances de me faire estropier et jeter dehors ? Ridicule ! Ridicule et dangereux ! Mais il a fallu que je le dise… Stupide !

— Fran ! Viens m’aider à foutre ce petit con dehors !

Fran arrive du salon. Ses deux bras pendent le long de son corps, mais au bout du bras droit, il y a un couteau de cuisine, pointé vers le sol. Elle fait deux pas vers moi et se fige. Son corps paraît à la fois souple et tendu, elle l’air impassible mais attentive, immobile et dangereuse comme un serpent. Je me lève brusquement et recule en trébuchant le long du lit. Le téléphone sonne. Continuer la lecture de Go West ! (90)

Go West ! (89)

(…) Choqué par les insultes que je viens de crier, abasourdi, je me tais et reste devant Mansi, essoufflé, les bras ballants. Et c’est là qu’elle se fâche. Pour la première fois, je l’entends élever la voix.
— Dis-donc, petit homme ! Qu’est-ce qui te prend de me parler comme ça ? T’étais plutôt modeste, ces derniers temps ! Plutôt sur la réserve, non ? Inexistant, à la limite ! Tu ne trouves pas ? Alors qu’est-ce qui s’est passé ? Tu te crois des droits parce qu’on a dormi ensemble ? Allez, gamin ! Finis de t’habiller et va jouer ailleurs !
Inexistant ! Gamin ! Je chancelle un peu, mais je reprends de l’assurance et j’ose dire :
— D’abord, on n’a pas fait que dormir, si je me souviens bien !

J’ai forcé sur l’ironie et, sur le moment, ma réplique me plait bien. Toujours ce désir de répartie assassine… Mais je ne tarde pas à réaliser qu’elle est puérile et déplacée. Ce que je ne sais pas encore, c’est qu’elle est également stupide car à l’époque j’ignore qu’en anglais dormir avec quelqu’un signifie précisément faire l’amour avec ce quelqu’un, ce qui implique pourtant qu’on ne dorme pas.
Mansi ne répond que par un haussement d’épaules. Je continue sur un ton plus doux, entre geignard et enjôleur :
— Et puis, on était bien ensemble, non ? Moi, en tout cas, j’étais bien. Je croyais que toi aussi. Tu me l’as dit, plusieurs fois. Alors pourquoi tu veux tout ficher en l’air ?
Mansi tombe des nues : Continuer la lecture de Go West ! (89)

Bob Trump, une vie américaine

Ce texte est une rediffusion. Sa première publication remonte au  13 Février 2019. Il avait été rédigé dans le cadre d’un atelier d’écriture. Le thème de l’exercice était : « Imaginez ce que pourraient être des personnages à partir d’un seul nom. Par exemple : écrivez une page sur un personnage qui s’appellerait Adriano Pitelberg ou encore Bob Trump. » J’avais choisi Bob Trump. Aujourd’hui, je n’oserais plus.

Bob Trump, une vie américaine 

Bob Trump épousa Selma Clanton le surlendemain de sa démobilisation. Selma, qu’il avait rencontrée lors de sa première permission juste avant d’embarquer sur le porte-avions Enterprise, l’avait attendu pendant près de quatre ans tandis qu’il traversait le Pacifique dans tous les sens. Pendant l’année qui suivit, Bob prit des cours de comptabilité, tous frais payés par l’US Navy dans le cadre du programme de reclassement des anciens combattants. Pendant ce temps-là, Selma travaillait à la cafeteria de l’Université de Pennsylvanie. Le salaire de Selma et la petite pension d’invalidité pour blessure de guerre de Bob leur permettaient juste de vivre décemment. En mars 1947, Donald Clanton, oncle de Selma et garagiste à Kansas City, mourut sans héritier direct. Selma hérita la petite affaire. Elle la vendit aussitôt à un marchand de meubles voisin qui désirait agrandir son magasin pour y créer un rayon radio-télévision. Ils achetèrent pour vingt-cinq dollars une énorme Hudson modèle 1937 et partirent vers le Grand Canyon. Bob voulait absolument voir de ses propres yeux ce « grand trou dans la terre » qu’un sous-officier lui avait décrit un soir dans les entrailles de l’Enterprise et auquel il avait du mal à croire. « Un mile de profondeur, vous pensez ! » A une centaine de miles avant le Grand Canyon, sur la route 66, ils entrèrent dans la petite ville de Winslow. Ils arrêtèrent leur voiture devant la gare dans la rue principale et la préparèrent pour y passer la nuit. Le lendemain matin, Continuer la lecture de Bob Trump, une vie américaine

Go West ! (88)

(…) Mais à l’époque du récit, je n’y crois pas à sa ville fantôme. Pourtant, je ne peux pas le lui dire.  D’abord, ça lui ferait de la peine, et ça, je n’en ai pas le courage. Ensuite, si je veux rester encore un peu ici et si je veux encore coucher avec elle, il ne faut pas lui dire. Et ça, c’est ce que je veux.
— Le 15 décembre, me dit-elle ! Tu te rends compte ? Le 15 décembre !
Alors je me tourne vers Mansi et la contemple avec admiration. Puis, simplement, comme elle l’avait fait lors de notre premier matin, je lui dis à mon tour : « C’est formidable ! Embrasse-moi. »

Ni Mansi ni moi ne dormons encore vraiment, quand tout à coup :
— Mansi ! Ouvre-moi ! Vite !
Il y a quelqu’un qui tambourine sur la vitre de la chambre et qui crie à voix étouffée.
— Ouvre-moi ! Il est revenu ! Il arrive ! Dépêche-toi !
Mansi hésite une seconde puis bondit nue hors du lit. Elle fonce à la fenêtre, tire le rideau et ouvre la baie vitrée. Fran entre. Elle est très énervée.
— Il est là ! Il est en ville ! Il arrive !
Mansi ne pose pas de question. Elle emmène Fran vers le salon. Je les entends discuter un peu, puis elles reviennent dans la chambre. Mansi commence à rassembler ses vêtements.
— Habille-toi, s’il te plaît, me dit-elle.
Elle a parlé de son ton calme habituel, neutre, sans intonation. On dirait une simple demande, mais c’est un ordre, un ordre qui ne souffre pas de question. Pourtant, moi, je ne peux pas m’empêcher de râler.
— Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Continuer la lecture de Go West ! (88)