Go West ! (103)

(…) Elle a dit non, qu’il était tard, qu’elle était fatiguée, qu’elle devait se lever de bonne heure demain matin, qu’on allait réveiller son frère et que la véranda… que non, vraiment, la véranda, ce n’était pas possible. J’ai insisté un peu, mais elle m’a regardé avec ce sourire si doux, un peu triste, mais aussi un peu prometteur. Alors, j’ai lâché sa main. Elle s’est dressée sur la pointe des pieds pour déposer sur mon font un baiser aérien et je l’ai regardée grimper l’escalier, légère, et disparaître vers sa chambre. Debbie Reynolds…
C’est là que j’aurais dû comprendre.

— Et tu n’as pas compris…
— Eh ben… non ! À ce moment-là, je n’ai pas compris.
— Tu n’as pas compris que l’heure tardive, la fatigue, le frangin, la véranda, ça faisait beaucoup de raisons pour un refus.
— Mais, c’était vrai tout ça ! Il était tard, il y avait Walter à l’étage au-dessus, et puis, et je l’ai tout de suite regretté, vouloir entraîner Patricia sur la moquette de la véranda, c’était quand même un peu brutal…
— Et même carrément sordide. Ça ! Pour un soi-disant romantique… enfin… Et le baiser sur le front… pas vraiment amoureux, le baiser sur le front… plutôt amical, presque maternel… On n’embrasse pas comme ça quelqu’un qu’on attend depuis des mois, voyons !
— Tu as sûrement raison mais, qu’est-ce que tu veux, moi, je voulais y croire, à ses excuses. Je voulais croire que ça allait s’arranger. J’y trouvais même un côté positif, à son drôle d’accueil : je me disais que le lendemain, quand elle serait reposée, disponible, quand on se serait débarrassé de Walter d’une manière ou d’une autre, elle voudrait sûrement se faire pardonner. Alors… D’ailleurs, c’est un peu ce qui s’est passé.
— Mon pauvre vieux, tu es vraiment une cloche…
— Je sais.

Ça fait un bout de temps que je suis couché en chien de fusil sur le faux gazon de la véranda à tenter de reprendre espoir malgré ma déception. Le jour est en train de se lever et je regarde les arbres du jardin que la clarté naissante fait apparaître peu à peu derrière le grillage anti-moustique. J’ai besoin de boire un café, de manger quelque chose, de fumer une cigarette. J’enfile ma chemise et me mets à errer dans la maison. Je traverse d’abord le salon. Mobilier classique, style anglais confortable, rien à dire. J’y trouve un paquet de Winston extra-longues. J’en prélève une et pars à la recherche d’allumettes. La salle à manger… impeccablement rangée, table pour six, vitrine à porcelaines, style Regency, marron, le tout luisant de vernis, triste, froid, inconfortable, sans allumettes. La cuisine, étonnamment rustique, presque campagnarde, petits carreaux rouges et blancs, style provençal… ou italien plutôt. Pas d’allumettes, mais une cuisinière à gaz avec allumage électrique. J’allume la cigarette. C’est une mentholée, une horreur, mais c’est une cigarette. Me faire un café ? Trop compliqué, trop bruyant, un peu sans gêne. Dans le réfrigérateur, il y a du coca. Je décapsule une bouteille et je m’assieds. Je ferais mieux de retourner dans la véranda, mais je reste assis. Patricia doit dormir, les parents ne sont pas là sinon elle l’aurait mis en tête de la liste des obstacles et, même si Walter est un lève-tôt, je ne vois pas pourquoi il serait choqué de me surprendre dans la cuisine à boire un coca. Et justement, le voilà Walter.
En chaussettes et en caleçon, il traverse mollement la cuisine jusqu’au réfrigérateur, l’ouvre, se sert un verre de jus d’orange, hésite un moment et vient se planter devant moi
— T’as couché avec elle ?
Il est agaçant, ce gamin! Pour m’amuser un peu, je tire sur ma Winston d’un air mystérieux, sans répondre.
— T’as couché avec elle ? J’ai guetté son retour, cette nuit. Mais je me suis endormi. Alors j’ai pas pu entendre si… T’as couché avec elle ?
Le pauvre a l’air malheureux comme les pierres et il commence à me faire de la peine. Alors, je tente de lui répondre gentiment.
— Écoute-moi bien, Walter, lui dis-je lentement. Premièrement, je n’ai pas couché avec ta soeur, ni cette nuit, ni avant. Deuxièmement, ça ne te regarde pas. Alors, sois gentil et fiche-moi la paix avec ça.
Mais Walter continue, buté.
— Je suis sûr que t’as couché avec elle.
Walter me regarde fixement, les bras le long du corps, les poings serrés. Des larmes lui monte aux yeux. Il fait brusquement demi-tour en criant :
— De toute façon, elle couche avec tout le monde, alors !
Puis il ouvre la porte de la cuisine à la volée, renverse la moitié de son jus d’orange sur le carrelage et fonce dans l’escalier. Trois secondes plus tard, j’entends une porte qui claque à l’étage.

— Et là non plus, tu n’as pas compris ?
— Tu n’aurais quand même pas voulu que je croie un truc pareil. Le pauvre gamin était visiblement jaloux. Patricia lui avait parlé de moi et il avait dû deviner ce qui s’était passé à Paris. Il devait en baver, le pauvre ! Alors il disait n’importe quoi pour se venger…
— Mouais… peut-être… mais quand même, ça aurait dû te donner à réfléchir.
— Mais je n’ai pas eu le temps, mon vieux. Walter avait à peine claqué sa porte que Patricia apparaissait en bas de l’escalier. Tu te rappelles comme elle était belle ? Pieds nus, bras nus, une chemise de nuit qui lui descendait jusqu’aux chevilles, un petit col Claudine en dentelle boutonné au ras du cou, coiffée, à peine maquillée, souriante, presque gaie… irrésistible… Tu te rappelles comment elle avait traversé la cuisine, toute légère, pour me déposer un baiser sur le front…
— Encore !
— … et comment elle m’avait caressé l’épaule en passant…

— Je fais du thé, dit Patricia sans se retourner. Tu en veux ?
Moi qui ne peux me passer de café le matin, qui ne bois jamais de thé quelle que soit l’heure, je dis :
— Euh… oui… s’il te plaît…
— Qu’est-ce qui s’est passé avec Walter ? J’ai entendu du bruit.
— Oh, rien… c’est juste qu’il n’a pas l’air très content que je sois là. Mais, rien de grave…
— Il ne faut pas lui en vouloir, dit-elle en continuant à fourbir la théière, la bouilloire et les tasses. Ça fait huit jours que nos parents sont partis en voyage. Alors, ça le perturbe. Il est très attaché à maman, tu comprends. En plus, il part en camp de voile ce matin pour quinze jours et il n’a pas du tout envie d’y aller.

Pendant qu’elle me parlait le dos tourné, je me suis levé et me suis approché d’elle par derrière. J’ai mis mes mains sur ses hanches et j’ai posé, juste posé, mes lèvres sur sa nuque, juste au-dessus du petit col de dentelle.
Elle s’est laissée aller contre moi et, renversant un peu la tête en arrière, elle m’a offert son cou. Je l’ai respiré, embrassé, mordu.
— Doucement, a-t-elle dit, doucement…
J’ai continué, doucement, doucement et puis elle s’est dégagée, doucement.
— Arrête, Philippe. Ce matin, j’emmène Walter à son camp de voile. Il faut que je me prépare. On part dans une heure. Prends des affaires, un maillot de bain. On pourra peut-être aller à la plage…

— Et là, tu vois, tout s’éclairait, tout s’arrangeait. Patricia était redevenue tendre, on allait déposer Walter dans son summer camp et on allait être tranquilles, tous les deux, pendant des jours et des jours… et des nuits.
— Et ça ne s’est pas passé comme ça, bien sûr !
— Ben non… Pas tout à fait… Mais quand même un peu…
— Pauvre cloche, va !

 A SUIVRE 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *