Archives mensuelles : mai 2016

Dans un mois, dans un an…

Les plus beaux vers de Racine :
 …
Je n’écoute plus rien; et pour jamais, adieu.
Pour jamais! Ah! Seigneur, songez-vous en vous-mêmes
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous?
Que le jour recommence, et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus?
 …
Jean Racine
Titus et Bérénice – 1670
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Bonjour,Philippines ! Chap.12 – Le serpent de mer

Voici le chapitre 12 de Bonjour, Philippines ! Si vous voulez lire et relire les chapitres précédents, cliquez dessus (ci-dessous !)

Chapitre 1- Un ptérodactyle sur fond d’azur

Chapitre 2 – Des méfaits de l’air conditionné

Chapitre 3 – Mitraillette, champagne et taille-crayons

Chapitre 4- Un soir au Monte-Carlo

Chapitre 5 – La fièvre monte à Mindanao

Chapitre 6 – Retour à Manille

Chapitre 7- Un diner à O.K. Corral

Chapitre 8 – Douglas et moi

Chapitre 9 – Retour au Chalet

Chapitre 10 -Ananas, exocet et noix de cocos

Chapitre 11 – Les 5.000 dollars de Ratinet

La soirée au Chalet au cours de laquelle Ratinet s’était vu refuser 5000 dollars tant par la Banque Mondiale que par ses collègues de mission avait eu lieu un mercredi. Le jeudi matin, j’accompagnai Robertson à l’avion de Kuala-Lumpur, et je ne repassai pas au bureau de la journée. Comme le lendemain, c’était le week-end de Pâques qui commençait, je n’entendis plus parler de Ratinet jusqu’au mercredi suivant. Après-tout, c’était le problème d’un chef de mission de gérer ce genre de situation et pas le mien.

Depuis plusieurs semaines, Antoine, son ami Jean-Marc et moi, nous projetions de passer ce week-end quelque part au bord de la mer à faire de la plongée sous-marine. Cela paraissait compliqué. On nous avait bien indiqué qu’il était possible de louer des petites maisons dans les villages de pêcheurs de la presqu’ile de Mabini, mais c’était un endroit difficile d’accès et nous n’avions pas de voiture. On nous avait dit aussi qu’on pouvait rejoindre Lungsod en autocar, et de là prendre des taxis ou des jeepneys vers la presqu’ile. Mais on avait aussitôt ajouté : « Ne prenez par le car de 6 heures, il est régulièrement attaqué. Prenez plutôt celui de 10 heures. Continuer la lecture de Bonjour,Philippines ! Chap.12 – Le serpent de mer

Série Noire (Critique aisée n°75)

Série Noire

La Série Noire a soixante-dix ans. Une gamine. Voici ce que Marcel Duhamel disait en 1948 de la collection qu’il avait créée :
« …les volumes de la “Série noire” ne peuvent pas sans danger être mis entre toutes les mains. L’amateur d’énigmes à la Sherlock Holmes n’y trouvera pas souvent son compte. L’optimiste systématique non plus….L’esprit en est rarement conformiste. On y voit des policiers plus corrompus que les malfaiteurs qu’ils poursuivent. Le détective sympathique ne résout pas toujours le mystère. Parfois il n’y a pas de mystère. Et quelquefois même, pas de détective du tout. Mais alors ?… Alors il reste de l’action, de l’angoisse, de la violence — sous toutes ses formes et particulièrement les plus honnies — du tabassage et du massacre, etc… » (1)
Juste au moment où, vers l’âge de 13 ou 14 ans, après avoir délaissé les histoires du Grand Nord et du Grand Meaulnes, je n’en pouvais plus des petites cellules grises moustachues de l’horripilant Hercule Poirot, ni des déductions embrumées et méprisantes du suffisant Sherlock Holmes, je suis tombé sur un livre cartonné noir encadré de jaune. Il était debout sur le manteau de la cheminée de notre maison de Touffreville. Sa tranche disait : « Sur un air de navaja« . Il était encadré de livres semblables dont les titres : « La môme vert de gris » , « A tombeau ouvert« , « Cet homme est dangereux » étaient assez évocateurs pour attirer un adolescent qui s’ennuyait sous la pluie normande de Juillet. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais c’est la navaja qui m’attira en premier. imagePeut-être était-ce parce que j’avais appris le nom de ce couteau dans une aventure de Tintin ou à cause du jeu de mots inclus dans le titre? Toujours est-il que c’est avec ce bouquin que j’entrai du même coup et pour la première fois dans la Série Noire et dans l’intimité de Philip Marlowe.
Ce fut une vraie découverte, comme plus tard Steinbeck et Maupassant ou, beaucoup plus tard, Proust et Houellebecq. (Car, j’ose le dire, on trouve parfois de purs chefs d’œuvre dans la Série Noire) Je ne pouvais plus quitter les détectives désabusés mais honnêtes, amateurs de whisky et de jolies filles, ni les policiers corrompus, ni les hommes d’affaires honteux, ni les crépuscules dorés de Los Angeles, ni la chaleur poussiéreuse de Caruso, Texas, ni le vent glacé de Chicago. Je découvrais Raymond Chandler, Chester Himes, Jim Thompson, Charles Williams.
Depuis quelques temps, la Série Noire a évolué, ou bien est-ce moi ? Les stéréotypes ont changé et je ne m’y reconnais plus. Alors je suis passé à autre chose. Mais l’exemplaire cartonné noir entouré de jaune de « Sur un air de navaja » (2) trône toujours sur ma cheminée de Champ de Faye entre « Pas d’orchidées pour Miss Blandish » et  » La reine des pommes« . J’envisage de le relire un de ces jours, mais cela risque d’être fatal à sa reliure qui se décolle dans l’humidité de cette maison de campagne.
Note 1
Cette citation de Duhamel a été piquée dans Causeur, un magazine qu’en passant, je vous recommande.
Note 2
Le titre original de « Sur un air de navaja » est « The long goodbye ». En 1973, Robert Altman en avait tiré un excellent film, « Le Privé ». Pour interpréter le rôle principal, il avait choisi Elliot Gould, qui fut à cette occasion le meilleur Philip Marlowe que l’on ait jamais vu, bien meilleur même que Humphrey Bogart.

La langue à toutes les sauces

Selon Esope, la langue a deux visages (si j’ose dire) :

« Le maître d’Ésope lui demande d’aller acheter, pour un banquet, la meilleure des nourritures et rien d’autre. Ésope ne ramène que des langues ! Entrée, plat, dessert, que des langues ! Les invités au début se régalent puis sont vite dégoûtés.
– Pourquoi n’as-tu acheté que ça ?
– Mais la langue est la meilleure des choses. C’est le lien de la vie civile, la clef des sciences, avec elle on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées…
– Eh bien achète moi pour demain la pire des choses, je veux de la variété et les mêmes invités seront là. Ésope achète encore des langues, disant que c’est la pire des choses, la mère de tout les débats, la nourrice des procès, la source des guerres, de la calomnie et du mensonge. »

Selon Roland Barthes, elle est fasciste:

« La langue est tout simplement fasciste. Car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger de dire. » 

Selon Cynthia Fleury, c’est plus compliqué que ça, comme on dit quand on veut faire passer son interlocuteur pour un imbécile. Selon Cynthia, le langage, la langue, c’est le premier instrument du pouvoir :

« La vraie nature du pouvoir est circulatoire. Elle aura besoin du langage pour se fonder, s’extérioriser en donnant la réalité qu’elle n’a pas, s’intérioriser pour créer le consentement dont elle a besoin pour perdurer. Le langage sert souvent de premier barrage en empêchant de penser la réalité de la domination et le fait que le pouvoir ne soit qu’un dogme, autrement dit un fait de violence institué en fait de croyance puis en fait de légitimité. » 

Quand vous aurez lu tout ça, pensez à notre temps, à ses  éléments de langage, à sa langue de bois, à sa pensée unique. Pensez aux discours d’ouverture de colloque, de clôture de convention, de pots de bienvenue et de pots de départ et, surtout, pensez aux discours des politiques à propos de tout et de n’importe quoi. Enfin, n’y pensez pas trop.

Esope avait raison, la langue est bien la pire et la meilleure des choses, mais le pire, c’est qu’il n’y a pas de meilleur.