Série Noire (Critique aisée n°75)

Série Noire

La Série Noire a soixante-dix ans. Une gamine. Voici ce que Marcel Duhamel disait en 1948 de la collection qu’il avait créée :
« …les volumes de la “Série noire” ne peuvent pas sans danger être mis entre toutes les mains. L’amateur d’énigmes à la Sherlock Holmes n’y trouvera pas souvent son compte. L’optimiste systématique non plus….L’esprit en est rarement conformiste. On y voit des policiers plus corrompus que les malfaiteurs qu’ils poursuivent. Le détective sympathique ne résout pas toujours le mystère. Parfois il n’y a pas de mystère. Et quelquefois même, pas de détective du tout. Mais alors ?… Alors il reste de l’action, de l’angoisse, de la violence — sous toutes ses formes et particulièrement les plus honnies — du tabassage et du massacre, etc… » (1)
Juste au moment où, vers l’âge de 13 ou 14 ans, après avoir délaissé les histoires du Grand Nord et du Grand Meaulnes, je n’en pouvais plus des petites cellules grises moustachues de l’horripilant Hercule Poirot, ni des déductions embrumées et méprisantes du suffisant Sherlock Holmes, je suis tombé sur un livre cartonné noir encadré de jaune. Il était debout sur le manteau de la cheminée de notre maison de Touffreville. Sa tranche disait : « Sur un air de navaja« . Il était encadré de livres semblables dont les titres : « La môme vert de gris » , « A tombeau ouvert« , « Cet homme est dangereux » étaient assez évocateurs pour attirer un adolescent qui s’ennuyait sous la pluie normande de Juillet. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais c’est la navaja qui m’attira en premier. imagePeut-être était-ce parce que j’avais appris le nom de ce couteau dans une aventure de Tintin ou à cause du jeu de mots inclus dans le titre? Toujours est-il que c’est avec ce bouquin que j’entrai du même coup et pour la première fois dans la Série Noire et dans l’intimité de Philip Marlowe.
Ce fut une vraie découverte, comme plus tard Steinbeck et Maupassant ou, beaucoup plus tard, Proust et Houellebecq. (Car, j’ose le dire, on trouve parfois de purs chefs d’œuvre dans la Série Noire) Je ne pouvais plus quitter les détectives désabusés mais honnêtes, amateurs de whisky et de jolies filles, ni les policiers corrompus, ni les hommes d’affaires honteux, ni les crépuscules dorés de Los Angeles, ni la chaleur poussiéreuse de Caruso, Texas, ni le vent glacé de Chicago. Je découvrais Raymond Chandler, Chester Himes, Jim Thompson, Charles Williams.
Depuis quelques temps, la Série Noire a évolué, ou bien est-ce moi ? Les stéréotypes ont changé et je ne m’y reconnais plus. Alors je suis passé à autre chose. Mais l’exemplaire cartonné noir entouré de jaune de « Sur un air de navaja » (2) trône toujours sur ma cheminée de Champ de Faye entre « Pas d’orchidées pour Miss Blandish » et  » La reine des pommes« . J’envisage de le relire un de ces jours, mais cela risque d’être fatal à sa reliure qui se décolle dans l’humidité de cette maison de campagne.
Note 1
Cette citation de Duhamel a été piquée dans Causeur, un magazine qu’en passant, je vous recommande.
Note 2
Le titre original de « Sur un air de navaja » est « The long goodbye ». En 1973, Robert Altman en avait tiré un excellent film, « Le Privé ». Pour interpréter le rôle principal, il avait choisi Elliot Gould, qui fut à cette occasion le meilleur Philip Marlowe que l’on ait jamais vu, bien meilleur même que Humphrey Bogart.

2 réflexions sur « Série Noire (Critique aisée n°75) »

  1. C’est avec plaisir que je constate que Philippe se met enfin aux notes en bas de page!

    À quand les guillemets et les parenthèses?

    Si les notes en bas de page ont été conçu pour les curieux qui veulent en savoir plus ou connaître les sources d’inspiration des auteurs honnêtes qui rendent à César ce qui lui appartient, les autres artifices, comme les guillemets, permettent de citer dans le texte (avec ou sans sic) ou de se distancer des teneurs de propos mal famés.

    Les guillemets autorisent les digressions qui reflètent l’esprit de ricochet de l’auteur, ce qui nous offre la possibilité de partir en vacances au bord de l’eau avec lui.

  2. La Série Noire était en effet pour notre génération la porte d’entrée aux romans policiers, un monde littéraire parallèle aux autres (celui proposé entre autres par Lagarde et Michard) qui pour moi offrait, toujours d’ailleurs, un très grand intérêt: la taille des romans (200 à 250 pages), lisible rapidement, un « page-turner » comme ils disent là-bas qui demande tout au plus un week end pour être lu et pas un été. Mon premier Série Noire a été Fantasia chez les Ploucs, « The diamond bikini », de Charles Williams. J’en ris encore. La Série Noire était aussi indissociable du film en noir et blanc qui interprétait à merveilles ces romans (« Quand la ville dort », « Asphalt Jungle », de John Huston qui fait découvrir entre autres pépites Marilyn Monroe). Et puis indépendamment des titres évocateurs et originaux, du suspense et de la moralité à la fin, la Série Noire faisait découvrir de très grands romanciers comme Dashiell Hammett par exemple, et, enfin, s’agissant de romans américains, donnait le goût de les lire avec la sauce de leur langue originale.

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