Archives de catégorie : Récit

La Chrysler

Dans le cadre de mon retour sur moi-même, je veux dire sur le moi des années passées, voici encore une rediffusion de cet article déjà nostalgique quand je l’ai publié une première fois en 2017.

Chronique des années 90

10-La Chrysler

En fait, on ne l’appelait pas comme ça, mais ça sonne tellement bien « la Chrysler ». Ça fait tout de suite voiture de luxe, puissante, bicolore et sur-dessinée, glissant silencieusement dans les rues de Beverley Hills. Cette image doit me rester de cette chanson parodique de Fernand Raynaud qui commençait comme ça :
T’es un peu belle, mignonne,
T’es balancée comme une Chrysler…

Dans les années 90, l’automobile américaine était en crise. On n’était même pas certain que cette marque puisse passer le prochain hiver. Mais Chrysler commençait à commercialiser en France un mini van sur lequel elle fondait beaucoup d’espoir, le Voyager. Son nez très court qui lui donnait une gueule de petit camion, sa silhouette carrée qui rappelait de loin la Citroën Kubik de mon enfance dont j’ai déjà parlé ici, ses barres de toit qui lui donnaient un air randonneur… Tout cela me plaisait bien. D’ailleurs, il faudrait bientôt remplacer la Volvo qui avait fait son temps et qui de toute façon devenait trop petite : les enfants tenaient de plus en plus de place à l’arrière, sans parler d’Ena, notre labrador jaune de trente-trois kilos.

Avoir à conduire cette encombrante voiture Continuer la lecture de La Chrysler

Mais où sont les neiges d’antan ?

Ce poème nostalgique a été publié pour la première fois le 16 février 2017. Quand parfois je réalise qu’avec l’âge et le réchauffement climatique, le ski pour moi, c’est bel et bien fini, voilà que le spleen me reprend. 

TIGNES LE LAC

À Jean-Louis
À Patrick
À François

Vous souvenez-vous, mes amis,
Aujourd’hui devenus bien vieux,
Quand nous allions faire du ski,
O combien c’était merveilleux.

Nous partions de très bon matin,
C’est à dire vers neuf heures et demi
Tandis que je rongeais mon frein
A attendre ce bon vieux Jean-Louis.

Je dressais le programme du jour.
Jean-Louis finissait son loto.
Patrick et François, pleins d’humour,
M’app’laient aussitôt Bénito.

C’était bien souvent vers la Daille Continuer la lecture de Mais où sont les neiges d’antan ?

Go West ! (34)

(…) La journée passe comme ça, en confirmation des images que nous avons apportées avec nous. Et c’est vrai, tout est là, comme nous l’attendions : les beatniks et les maisons étranges de Venice Beach, la jetée de Santa Monica et sa fête foraine, la plage déserte de Pacific Palisades, les courbes majestueuses du Sunset Boulevard, les larges allées bordées de cocotiers et de maisons invisibles de Beverley Hills, l’animation de Hollywood Boulevard et le légendaire Théâtre Chinois.

La nuit est tombée. Vers dix heures du soir, nous n’avons toujours pas trouvé d’hôtel et nous décidons de dormir à nouveau sur une plage. Pour y parvenir, la route est évidente : Go West, young man ! Sunset boulevard vers l’ouest, jusqu’au bout. Je me suis débrouillé pour conduire, bien que ce ne soit pas mon tour. Même au volant de cette vieille voiture poussiéreuse, conduire ses deux tonnes dans les virages voluptueux du Boulevard le plus long et le plus célèbre du monde est un plaisir fabuleux. Toutes vitres ouvertes sur la douceur de la nuit, le coude à la portière, j’écoute le chuintement des pneus sur l’asphalte impeccable, je sens ma chemise flotter et battre au vent qui s’engouffre dans sa manche courte, je respire l’odeur des magnolias arrosés par les jets d’eau des jardiniers nocturnes mexicains, je regarde la lune qui nous suit en courant au sommet des bosquets qui cachent les propriétés.  Du côté de Pacific Palisades, le bord de mer est désert. Je roule doucement le long de la plage. Arrivé devant les lumières de la jetée de Santa Monica, je fais demi-tour pour reprendre Ocean Avenue vers le nord. Je finis par tourner à gauche sur Ocean pour m’engager dans une courte impasse et me garer face à l’océan. Je coupe le moteur. Nos quatre portières s’ouvrent en même temps.

D’un seul coup, nous sommes illuminés par les phares d’une voiture qui vient se coller contre le pare-chocs arrière de l’Hudson. C’est une voiture de police, avec sa Continuer la lecture de Go West ! (34)

Go West ! (33)

(…)  La procédure s’achèvera quand les deux clients officiels iront régler la note juste avant de partir avec la voiture tandis que les quatre clients additionnels sortiront discrètement pour attendre un peu plus loin sur la route. Hervé avait appelé cette méthode Cheval de Troie, car dans ses premières tentatives, il arrivait souvent que deux des passagers clandestins se cachent au fond de la voiture. Impraticable à six, cette technique particulière a été abandonnée mais le nom est resté.

Cela fait cinq heures que nous roulons après notre deuxième demi-nuit à Las Vegas. Le jour se lève. Nous sommes tous à nouveau épuisés mais, avec le jour, il n’est plus nécessaire de monter la garde à la fenêtre avec la lampe électrique.

Hier soir, vers neuf heures, propres et reposés, nous avions quitté le Centennial Motel où notre opération Cheval de Troie avait parfaitement fonctionné. Ayant payé la chambre et n’étant pas emporté les couvertures avec nous, nous avions la conviction de n’avoir lésé personne et nous n’éprouvions pas le moindre des remords. Arrivés au Golden Nugget, désormais Continuer la lecture de Go West ! (33)

Go West ! (32)

(…) Une fois tout le monde réveillé par cette agitation, après que j’aie subi quelques quolibets sur ma tendance à vouloir massacrer les chats à coups de revolver, après les inévitables plaisanteries sur ma façon de conduire, après cette soirée décevante à Las Vegas et cette nuit à la dure en plein désert, un besoin de petit déjeuner urgent et unanime a fait remonter tout le monde dans la voiture. Nous avons repris la route vers Death Valley qui s’annonçait à une cinquantaine de miles vers le nord-ouest.

Si la légende qui s’attache à cet endroit désolé ne nous avait pas attiré, rien que son nom y aurait suffi. La Vallée de la Mort ! Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, le mot Vallée implique toujours une notion d’immensité, de splendeur, de solennité. Vallée des Rois, Vallée Perdue, Vallée des Géants, Vallée de la Peur, Vallée de la Mort…, le genre de locution qu’on ne peut écrire qu’avec des majuscules. Il nous paraissait donc impossible de rentrer en France sans pouvoir dire que nous avions traversé la Vallée de la Mort.

Il est sept heures du matin. Le courant Continuer la lecture de Go West ! (32)

Go West (31)

(…) En tendant le bout de carton à l’officier, je réalise combien le résultat de mon travail de faussaire est lamentable. Ça ne passera jamais, il va me demander mon passeport.  Mais Charles Kane fait semblant de comparer la photo avec le modèle et me la rend avec un très professionnel « Thank you, Sir, and have a nice stay at the Golden Nugget ».  Je n’en suis pas sûr, mais je crois distinguer derrière ses Ray-Ban une lueur d’amusement. Il se recule de deux pas et continue à m’observer. Si je m’arrête de jouer maintenant, il va penser qu’il m’a fait peur, que je ne suis pas en règle ou quelque chose comme ça. Alors, l’air nonchalant, je confie un autre Silver dollar au bandit manchot et abaisse son bras. Perdu ! Je hausse les épaules avec affectation, et je m’éloigne, mon scotch and soda à la main. Même pas mal !

Nous avons quitté Las Vegas et le Golden Nugget vers deux heures du matin après une demie nuit de jeu effréné : J’avais gagné neuf dollars d’argent à ma première tentative sur une machine à sous. Comme j’en avais perdu un à la seconde, j’avais jugé qu’il était temps de m’arrêter. Après tout, j’étais gagnant de huit dollars. Ensuite, pour ne pas tomber dans l’enfer du jeu, j’étais resté à danser d’un pied sur l’autre devant une table de black jack ou de roulette sans oser risquer la moindre de mes précieuses pièces. Les autres avaient Continuer la lecture de Go West (31)

Go West ! (30)

Quand la remorque a commencé à chasser, le chauffeur a lui aussi choisi de passer en force. Il s’est porté sur le milieu de la chaussée en accélérant. La remorque s’est redressée. Ses pneumatiques ont franchi l’obstacle en bondissant par-dessus. Un habile coup de volant lui a permis d’éviter la voiture montante. Cent mètres plus bas, dans un grand chuintement pneumatique, le camion s’est arrêté au même endroit que le précédent. Le chauffeur a sauté sur l’asphalte. Il a considéré la scène un bref instant et il nous a montré le poing en criant une insulte inaudible. Et puis il est remonté dans sa cabine pour continuer sa route et disparaitre dans un long coup d’avertisseur furieux.
Il ne nous restait plus qu’à dégager le pin fautif.

En 1962, Las Vegas est encore une bien petite ville au milieu du désert. Bien sûr, le Rat Pack s’y produit régulièrement, le jeu y bat son plein et la Mafia y blanchit allègrement son argent. Mais le Caesar Palace n’est encore qu’un chantier et le Flamingo et le Sands, pratiquement les seuls grands hôtels de la ville, ne sont que des masures à côté de ce que seront dans quelques décennies ces immenses hôtels-casinos à thème comme le Bellagio, le MGM, le Paris, le Venetian…
Oui, en 1962, Las Vegas est encore une petite ville, mais nous ne le savons pas encore et nous y arrivons pleins d’espoir.

Nous roulons depuis quelques centaines de mètres dans un tunnel de lumière Continuer la lecture de Go West ! (30)

Go West ! (29)

(…)« Putain, dis-donc, c’est beau ! »
J’ai reconnu la voix de JP. Lui qui ne sort jamais plus d’une grossièreté par mois n’a pas pu retenir son exclamation. Il ne s’est adressé à personne en particulier, il n’a fait que murmurer, mais tous nous l’avons entendu.  Personne ne lui intime de se taire. Il a dit ce que nous pensions. Il n’y a plus rien à ajouter.

Près de l’endroit où nous avions garé la voiture, il y avait un vieux panneau publicitaire métallique, tout percé d’impacts de balles, qui promettait un vol most spectacular au coeur du Canyon. Le panneau disait : 20 dollars pour un groupe de huit personnes. Comme nous étions six et que les touristes étaient rares, nous montâmes pour 18 dollars dans un monomoteur, sans doute plus vieux encore que le panneau publicitaire mais dont la peinture jaune délavé ne portait pas de trace de balles. Quand le pilote nous rejoignit à bord, il s’installa à la place de gauche, démarra l’avion, commença à rouler sur la piste en terre et, se retournant vers nous avec un grand sourire dit « Accrochez-vous, les gars. Ça pourrait secouer pas mal. » Comme il n’y avait pas de ceinture de sécurité, chacun Continuer la lecture de Go West ! (29)

La Deux-Chevaux

Chronique des années cinquante

 8 – La Deux-Chevaux (rediffusion)

Tout le monde vous le dira : c’était une voiture extraordinaire.

Le toit de notre première Deux-Chevaux était fait d’une toile grise qui commençait sur le haut du pare-brise et s’achevait à la hauteur du pare-chocs arrière. On l’enroulait sur elle-même jusqu’à la vitre arrière pour décapoter la voiture. On la relevait depuis le pare-chocs arrière jusqu’à la custode pour accéder au coffre.

Elle avait quatre portes si souple qu’on aurait pu se les claquer sur les doigts sans se faire de mal. 2cvLa partie supérieure des vitres des portières avant était fixe tandis que la partie inférieure pouvait se relever. Ça permettait de passer négligemment le bras Continuer la lecture de La Deux-Chevaux

Go West ! (28)

(…) Toujours est-il qu’une fois quitté Flagstaff, quelques-uns d’entre nous se mirent où se remirent au shop-lifting. Dans le pillage des indigènes, si je prenais toute ma part, je n’étais pas le plus adroit. Je me souviens très bien d’une humiliation subie dans une station-service où, la Hudson bloquée en sortie de piste par la voiture du garagiste, j’avais dû payer de ma poche un bidon de super-lubrifiant dont nous n’avions même pas besoin. Ridicule !

Peut-être êtes-vous surpris que, depuis que vous et moi sommes arrivés à Flagstaff, je ne vous parle, en dehors de moi-même, que de JP et d’Hervé et que je ne mentionne jamais la présence des trois autres qu’en tant que membres indistincts de notre petit groupe. Pour vous, ces trois-là n’ont pas de nom, pas de prénom, aucun trait de caractère, pas de visage, pas d’habitude ni de façon de parler, rien ; ils ne sont que de silhouettes qui partagent le garage de Bill, les filles et les pique-niques, l’Hudson Hornet et son essence, rien de plus. Et pourquoi cela, vous demandez-vous ? Eh bien, parce qu’ils Continuer la lecture de Go West ! (28)