Tous les articles par Philippe

Go West ! (34)

(…) La journée passe comme ça, en confirmation des images que nous avons apportées avec nous. Et c’est vrai, tout est là, comme nous l’attendions : les beatniks et les maisons étranges de Venice Beach, la jetée de Santa Monica et sa fête foraine, la plage déserte de Pacific Palisades, les courbes majestueuses du Sunset Boulevard, les larges allées bordées de cocotiers et de maisons invisibles de Beverley Hills, l’animation de Hollywood Boulevard et le légendaire Théâtre Chinois.

La nuit est tombée. Vers dix heures du soir, nous n’avons toujours pas trouvé d’hôtel et nous décidons de dormir à nouveau sur une plage. Pour y parvenir, la route est évidente : Go West, young man ! Sunset boulevard vers l’ouest, jusqu’au bout. Je me suis débrouillé pour conduire, bien que ce ne soit pas mon tour. Même au volant de cette vieille voiture poussiéreuse, conduire ses deux tonnes dans les virages voluptueux du Boulevard le plus long et le plus célèbre du monde est un plaisir fabuleux. Toutes vitres ouvertes sur la douceur de la nuit, le coude à la portière, j’écoute le chuintement des pneus sur l’asphalte impeccable, je sens ma chemise flotter et battre au vent qui s’engouffre dans sa manche courte, je respire l’odeur des magnolias arrosés par les jets d’eau des jardiniers nocturnes mexicains, je regarde la lune qui nous suit en courant au sommet des bosquets qui cachent les propriétés.  Du côté de Pacific Palisades, le bord de mer est désert. Je roule doucement le long de la plage. Arrivé devant les lumières de la jetée de Santa Monica, je fais demi-tour pour reprendre Ocean Avenue vers le nord. Je finis par tourner à gauche sur Ocean pour m’engager dans une courte impasse et me garer face à l’océan. Je coupe le moteur. Nos quatre portières s’ouvrent en même temps.

D’un seul coup, nous sommes illuminés par les phares d’une voiture qui vient se coller contre le pare-chocs arrière de l’Hudson. C’est une voiture de police, avec sa Continuer la lecture de Go West ! (34)

MEXICAN HAT (Extrait)

(…) du sud de l’Utah. J’aime ces paysages jaunes, roses ou rouge brique, scandés par des rochers aux formes de dieux assis, découpés par de brusques canyons que franchissent des arches naturelles et que parcourent des filets d’eau café au lait.

Entre deux forêts de petits sapins clairsemés, la route 261 file vers le sud, toute droite. Le ruban noir que sépare en deux un double trait jaune tremble sous le soleil. Il ondule doucement au rythme de collines presque insensibles. Sur ses molles suspensions, le van rouge suit le même mouvement et tangue.

Nous sommes rejoints par trois Harley Davidson. Leur vitesse est à peine supérieure à la nôtre. Sans accélérer, ils nous dépassent tranquillement, potato-potato-potato. Sur chaque motocyclette, un homme est assis, bas, légèrement penché en arrière, portant un blouson de cuir sans manche directement sur la peau, un jeans, des bottes Santiago et un petit casque noir à l’ancienne duquel débordent une barbe et des cheveux abondants. Malgré leur air patibulaire, et à cause du plaisir évident qu’ils éprouvent à rouler au milieu de ces grands espaces, je ressens tout de suite de la Continuer la lecture de MEXICAN HAT (Extrait)

Le joueur d’échecs

Critique aisée n°265

Le joueur d’échecs
Stefan Sweig

Au fur et à mesure de mon exploration post-scolaire, tardive et paresseuse de la littérature, je me suis constitué une modeste collection d’auteurs favoris. Elle comporte forcément un grand nombre de lacunes ; c’est ainsi que je n’ai jamais rien lu de Joel Dicker (en fait si, 40 pages, et je le regrette encore), d’Annie Ernaux ou de Chrétien de Troyes, auteurs consacrés, couronnés et révérés unanimement. Alors, j’ai honte et, de temps en temps, je fais un effort pour sortir de mes habitudes et je vais piocher chez un libraire un de ces livres idolâtrés. C’est exactement de cette manière, par exemple, que j’ai découvert Proust et sa Recherche (je vous ai suffisamment cassé les pieds avec le Petit Marcel pour que vous sachiez ce que j’en pense). C’est aussi comme cela que j’ai découvert avec enthousiasme Bret Easton Ellis, Virgile, Maurice Pons et quelques autres.

Mais ma méthode hasardeuse et autodidacte ne m’a pas donné que des satisfactions, et si je ne suis pas Continuer la lecture de Le joueur d’échecs

Go West ! (33)

(…)  La procédure s’achèvera quand les deux clients officiels iront régler la note juste avant de partir avec la voiture tandis que les quatre clients additionnels sortiront discrètement pour attendre un peu plus loin sur la route. Hervé avait appelé cette méthode Cheval de Troie, car dans ses premières tentatives, il arrivait souvent que deux des passagers clandestins se cachent au fond de la voiture. Impraticable à six, cette technique particulière a été abandonnée mais le nom est resté.

Cela fait cinq heures que nous roulons après notre deuxième demi-nuit à Las Vegas. Le jour se lève. Nous sommes tous à nouveau épuisés mais, avec le jour, il n’est plus nécessaire de monter la garde à la fenêtre avec la lampe électrique.

Hier soir, vers neuf heures, propres et reposés, nous avions quitté le Centennial Motel où notre opération Cheval de Troie avait parfaitement fonctionné. Ayant payé la chambre et n’étant pas emporté les couvertures avec nous, nous avions la conviction de n’avoir lésé personne et nous n’éprouvions pas le moindre des remords. Arrivés au Golden Nugget, désormais Continuer la lecture de Go West ! (33)

Un cœur en hiver

Critique aisée n°213 (rediffusion)

Un cœur en hiver
Claude Sautet – 1992
Emmanuelle Béart, Daniel Auteuil, André Dussolier

Il y a quelques temps, je vous avais donné mes impressions de César et Rosalie. Aujourd’hui, je voudrais vous parler un peu d’Un cœur en hiver et tout d’abord souligner les points communs et les différences qui me sont apparus entre ces deux films.

Les points communs
Premièrement, ils sont tous les deux de Claude Sautet. Deuxièmement, je les avais vus tous les deux à leur sortie. Troisièmement, je les ai tous les deux revus très récemment sur Netflix.

Les différences
Tout d’abord, ils sont Continuer la lecture de Un cœur en hiver

INCIDENT DE FRONTIÈRE (Extrait)

 Dimanche, 24 mai 1970 – Le Liban est un paradis et Beyrouth est sa capitale. Bien sûr, la ville est entourée de camps de réfugiés palestiniens de plus en plus nombreux et de plus en plus militarisés. Bien sûr, les Présidents du Conseil successifs, continuellement empêtrés dans de trop subtils compromis, ont de plus en plus de mal à maintenir l’équilibre constitutionnel entre musulmans et chrétiens. Bien sûr, chaque nouvelle provocation de la Syrie qui rêve toujours d’annexer le Liban fait régner sur le pays une inquiétude passagère sur son avenir. Bien sûr, les touristes occidentaux n’ont pas encore retrouvé le chemin du Liban trois ans seulement après la Guerre des Six Jours. Mais, à le voir comme ça, avec ses grosses voitures qui encombrent les rues de la ville, avec ses magasins de luxe qui foisonnent dans le centre moderne, ses restaurants de bord de mer qui voisinent le long de la Corniche, son Casino du Liban dont les revues n’ont pas grand-chose à envier à celles du Lido de Paris, avec ses grands hôtels, ses stations de ski, ses marinas et ses plages privées, le pays se porte bien. Les Libanais disent « Le Liban, c’est la Suisse du Proche-Orient. Au Liban, il n’y a pas de pauvres ! », et quand on leur montre les bidonvilles surpeuplés de réfugiés, ils répondent « Oui, mais ce ne sont pas des Libanais ».
Le port, le commerce, les banques, tout fonctionne. Partout, les gens s’enrichissent. Ça ne durera peut-être pas, mais pour le moment, le Liban, c’est le paradis et Beyrouth est sa capitale. Continuer la lecture de INCIDENT DE FRONTIÈRE (Extrait)

LES FLEURS JAUNES (Extrait)

 Un homme avec des fleurs ?
Le plus empoté, c’est l’homme.
Antoine Blondin

En rentrant de la rue de Rennes, il y a quelques jours, je me suis rappelé brusquement la promesse que je m’étais faite la veille, offrir des fleurs à ma femme. Je n’avais pas pu le faire sur le moment, celui où j’avais conçu le projet, forcément, parce que, ce jour-là, nous étions le dernier lundi du mois d’août. Alors vous pensez ! Lundi + mois d’août = zéro fleuriste. Normal ! Contrariant, mais normal.

Si je dis « nous étions« , ce n’est pas parce que je me prends pour le roi des Belges. Quand je dis « nous étions« , quand je parle à la deuxième personne du pluriel, c’est par pure politesse, parce que vous pensez bien que, où vous étiez, vous, à ce moment-là, je m’en fiche comme de ma deuxième (je dis ça parce que, la première, il parait qu’on s’en souvient toujours).

Donc, je suis du côté Continuer la lecture de LES FLEURS JAUNES (Extrait)

Go West ! (32)

(…) Une fois tout le monde réveillé par cette agitation, après que j’aie subi quelques quolibets sur ma tendance à vouloir massacrer les chats à coups de revolver, après les inévitables plaisanteries sur ma façon de conduire, après cette soirée décevante à Las Vegas et cette nuit à la dure en plein désert, un besoin de petit déjeuner urgent et unanime a fait remonter tout le monde dans la voiture. Nous avons repris la route vers Death Valley qui s’annonçait à une cinquantaine de miles vers le nord-ouest.

Si la légende qui s’attache à cet endroit désolé ne nous avait pas attiré, rien que son nom y aurait suffi. La Vallée de la Mort ! Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, le mot Vallée implique toujours une notion d’immensité, de splendeur, de solennité. Vallée des Rois, Vallée Perdue, Vallée des Géants, Vallée de la Peur, Vallée de la Mort…, le genre de locution qu’on ne peut écrire qu’avec des majuscules. Il nous paraissait donc impossible de rentrer en France sans pouvoir dire que nous avions traversé la Vallée de la Mort.

Il est sept heures du matin. Le courant Continuer la lecture de Go West ! (32)

Les trois premières fois !

Très chers lecteurs du Journal des Coutheillas, c’est aujourd’hui que parait mon dernier livre. Après Blind dinner, La Mitro, Histoire de Dashiell Stiller, Bonjour, Philippines !, Histoire de Noël et Les disparus de la rue de Rennes, voici enfin :

Les trois premières fois
et autres nouvelles optimistes

Gratuitement, je vous en livre la table des matières :

Les trois premières fois
La lucarne
Monsieur Minette
Les fleurs jaunes
Le téléski des Merles
Incident de frontière
Mexican hat
Sari
Points de vue
Un jour sans fin
Wetbacks
Les choses de la vie
Guillaume n’aime pas l’avion
À l’enterrement d’Alexis

Sur deux cents pages, Continuer la lecture de Les trois premières fois !

Les corneilles du septième ciel (53, 54 ET 55)

Chapitre 53

Comment réussir à faire avouer à l’un ou à l’autre, ou aux deux, la raison du drame survenu dans le Marais deux ans plus tôt ? C’était le boulot de Bruno et pas celui de Françoise comme cette dernière le lui rappela au moment où ils se quittèrent.

  • Effectivement, reconnut Bruno. Mais si vous aviez une idée, ce serait gentil de m’en faire part.
  • Voyez-vous, je crois qu’on ne peut sortir du mensonge comme de l’ambiguïté qu’à son propre détriment. Ils ne reconnaîtront jamais leur forfait. Ruser pour leur tirer les vers du nez n’est pas la bonne solution. Leur dire la vérité, en l’occurrence la nôtre, serait sûrement plus efficace.
  • J’en doute, mais je vais y réfléchir.

Ils décidèrent de se répartir la tâche : Françoise se chargerait du photographe et Bruno Continuer la lecture de Les corneilles du septième ciel (53, 54 ET 55)