Archives mensuelles : novembre 2017

Rue Monsieur-le-Prince

Avec Pierre. Nous montons au sixième d’une maison de la rue Monsieur-le-Prince, en quête d’un local où je puisse tenir le cénacle. C’est, là-haut, une grande chambre, agrandie encore par l’absence de meubles. A gauche de la porte, le plafond tombe obliquement comme dans les mansardes. Tout en bas, une trappe donne dans un grenier qui longe la maison sous les tuiles. En face, une fenêtre à hauteur d’appui laisse voir par-dessus les toits de l’École de Médecine, par-dessus le Quartier Latin, l’étendue à perte de vue des maisons grises, la Seine et Notre-Dame dans le coucher du soleil, et, tout au loin, Montmartre, à peine distinct dans la brume du soir qui s’élève.

Et nous rêvons tous deux la vie d’étudiant pauvre dans une telle chambre, avec la seule fortune qui assure le travail libre. Et à ses pieds, devant la table, Paris. Et s’enfermer là, avec le rêve de son œuvre, et n’en sortir qu’avec elle achevée.

Ce cri de Rastignac qui domine la Ville, des hauteurs du Père Lachaise : « Et maintenant…, à nous deux ! »

André Gide – Journal – 1889 – Automne

Ces lignes sont les premières du Journal qu’André Gide a tenu pendant cinquante ans, de 1889, année de ses vingt ans, jusqu’en 1939. Le « Pierre » dont il parle, c’est Pierre Louÿs.

ET DEMAIN, UN TABLEAU DE SEBASTIEN COUTHEILLAS, LE 183ème.

Un 8 novembre

Voici ce qu’écrivait mon grand-père il y a exactement cent-trois ans.

8 novembre
Je viens de passer cinq jours inoubliables. Mon sang froid m’étonne, mais j’ai eu terriblement peur de ne pas pouvoir tenir ma place. Pourtant, je ne sais pas si je pourrai retrouver cette sérénité, ce sang froid maintenant que j’ai vu. Est-ce que dans d’autres pareilles circonstances, des visions terribles ne viendront pas faire assaut à ma raison et me faire faillir ?

Quand j’écris ces notes, le dimanche 8 novembre, j’ai eu une nuit de repos, j’ai bien déjeuné et j’ai l’esprit en repos. Je ne suis presque plus sous l’impression déprimante d’hier qui m’a abattu et où la seule idée de retourner aux tranchées me faisait frémir. Aujourd’hui, je l’envisage Continuer la lecture de Un 8 novembre

L’ordre du jour – Critique aisée n°107 – Prix Goncourt 2017

Critique aisée n°107

Recommandé en fin d’une émission du Masque et la Plume, j’avais acheté et lu ce livre il y a presque trois mois. J’en avais fait aussitôt la critique mais, pressé par une actualité brulante génératrice d’urgences éditoriales, je n’avais prévu sa programmation que pour le 24 novembre prochain. Et voilà que l’Académie Goncourt m’impose à son tour un changement de programmation, car elle vient de lui décerner son prix pour 2017. 
Voici donc ma critique, telle qu’écrite il y a deux mois.

L’ordre du jour
Eric Vuillard – Acte Sud – 2017
150 pages – 16€ttc

Un petit livre hargneux, désagréable, plein de tics, de clins d’œil au lecteur, de listes exhaustives, de commentaires sagaces, de remplissages inutiles, mais un petit livre passionnant.

« Récit » dit-on sur la page de garde. Récit ? Peut-être.

Un récit déstructuré autour de la décision par Hitler d’envahir l’Autriche (mars 1938).
Le récit démonstratif d’une réunion de levée de fonds entre Hitler et le grand patronat allemand (février 1933), le passionnant récit de l’extraordinaire entrevue entre le Chancelier d’Autriche Schuschnigg et Hitler à Berchtesgaden (février 1938), le récit rigolo du dernier diner de Ribbentrop avec Chamberlain et Churchill au 10 Downing Street (mars 1938), le récit incroyable de la panne générale de l’armée envahisseuse à peine entrée en Autriche (mars 1938), le triste récit de l’accueil enthousiaste réservé le même jour au Führer par les foules autrichiennes, l’épouvantable et court récit du bon usage des prisonniers des camps dans la grande industrie allemande, et puis quelques récits individuels, quelques digressions, du remplissage.

Je vous l’ai dit : désagréable, mais passionnant.

ET DEMAIN, UNE CHRONIQUE DU 8 NOVEMBRE, LE 8 NOVEMBRE 1914

Ah ! Les belles boutiques – 17

Lapérouse
51 quai des Grands Augustins    Paris 6ème

De tous les restaurants parisiens, voici sans doute la plus belle façade.
Ce n’est pas pour me vanter, mais je n’ai jamais franchi sa porte. Je sais pourtant qu’au premier étage, il y a de charmants petits salons. Comment je le sais ? Mais parce que j’ai lu Histoire d’O, bien sûr.

La série « Ah ! les belles boutiques »
L’objectif : rendre hommage aux commerçants qui réussissent à conserver l’aspect traditionnel de leur façade de magasin, et les encourager à persévérer.
Le contenu : une photo de la devanture d’un magasin, avec si possible l’adresse et, très éventuellement, un commentaire sur la boutique, ou son histoire, ou son contenu, ou sur l’idée que s’en fait le JdC.

ET DEMAIN, L’ORDRE DU JOUR, PRIX GONCOURT 2017 (Critique aisée n°107)

¿ TAVUSSA ? (32)- Sondages

Sondages(1)

La population des USA est de 323 millions d’habitants. Le nombre d’adultes, c’est à dire à peu près le corps électoral, est de 234 millions.

Selon une étude nationale représentative commanditée par le Centre pour l’Innovation dans l’Industrie Laitière aux USA, sept pour cent des Américains adultes croient que le chocolat au lait vient des vaches marrons. Si on fait le calcul, cela représente 16,4 millions de buveurs de lait mal informés.

Statistique étonnante, n’est-ce pas ? Allons plus loin, voulez-vous ?

Aux élections présidentielles de novembre 2016, Mr Trump avait réuni sur son nom 62,9 millions de voix (contre 65,8 millions sur celui de Mrs Clinton)

Pendant la campagne, 126 millions d’Américains ont été confrontés sur Facebook à des fake news publiées par des Russes.

Les fake news des Russes n’ont donc convaincu qu’un Américain sur deux (62,9 / 126 # ½).

En juin 2017, un sondage indiquait que 36% des Américains, soit 84,2 millions, étaient satisfaits de leur Président.

Un an plus tard, un sondage national montre que 23% des Américains, soit 53,8 millions, sont favorables à une frappe préventive contre la Corée du Nord.

Et l’on vient de voir que 16,4 millions d’Américains croient que le chocolat au lait vient des vaches marrons.

Il y a donc (84,2 – 62,9) = 21,3 millions d’Américains qui n’avaient pas voté pour Trump aux élections présidentielles, mais qui en sont satisfaits.

Parmi les 84,2 millions d’Américains qui sont satisfaits de Trump, 16,4 millions ne savent pas que le chocolat au lait est un mélange de lait et de chocolat, et (84,2 – 53,8) = 30,4 millions ne souhaitent pas frapper préventivement la Corée du Nord.

Peut-on en conclure que la Corée du Nord peut dormir tranquille ?

Aucune idée…

Note 1 : Les sondages cités ci-dessus sont tous réels et dignes de foi. L’interprétation qui en est donnée ici relève de l’irresponsabilité de la rédaction.

 

ET DEMAIN, AH ! LA BELLE BOUTIQUE « LAPÉROUSE »

 

 

 

Non, Michel Houellebecq n’est pas réactionnaire.

Morceau choisi

(…) il faut s’entendre sur le sens des mots. Un réactionnaire est quelqu’un qui estime préférable un état antérieur de l’organisation sociale, possible d’y revenir, et qui milite dans ce sens.
Or s’il y a une idée, une seul, qui traverse tous mes romans, jusqu’à la hantise parfois, c’est bien celle de l’irréversibilité absolue de tout processus de dégradation, une fois entamé. Que cette dégradation concerne une amitié, une famille, couple, un groupement social plus important, une société entière ; dans mes romans il n’y a pas de pardon, de retour en arrière, de deuxième chance : tout ce qui est perdu est bel et bien, et à jamais, perdu. C’est plus qu’organique, c’est comme une loi universelle, s’appliquant aussi bien aux objets inertes ; c’est littéralement, entropique. À quelqu’un qui est à ce point persuadé du caractère inéluctable de tout déclin, de toute perte, l’idée de réaction ne peut même pas venir. Si un tel individu ne sera jamais réactionnaire et tout naturellement, conservateur. Il considérera toujours qu’il vaut mieux conserver ce qui existe, et qui fonctionne tant bien que mal, plutôt que se lancer dans une expérience nouvelle. Plus sensible aux dangers qu’à l’espérance il sera pessimiste, d’un naturel triste, et en général facile à vivre.

M.Houellebecq – Ennemis publics – 2008

ET DEMAIN, UN SONDAGE SUR LES ORIGINES DU CHOCOLAT AU LAIT

Post it n°19 – Procrastination

Ranger, arranger, mettre à jour, rectifier, modifier, classer, relire un texte inachevé, ajouter une idée, retrancher un mot, le remettre, passer à autre chose, répondre longuement à un commentaire, piocher un aphorisme dans une rare lecture, wikipédier un point de détail, googeliser une orthographe, une date, un lieu, une anecdote, commencer un livre, l’abandonner, envisager d’allumer la télévision, de ranger le garage, faire une sauvegarde, remplir, emplir le temps, ouvrir un nouveau document, fixer longtemps le point d’insertion qui clignote, et puis écrire ces lignes, pas un journal, non, pas même un compte rendu, à peine une liste, attendre, attendre et puis relire, corriger, hésiter, raccourcir, rabattre l’écran, se lever, aller jusqu’à la fenêtre, se dire qu’il faudrait tondre ou alors dormir un peu, revenir, relever l’écran, relire, se rasseoir…
Et le téléphone sonne. Enfin.

 

ET DEMAIN, UN TABLEAU, LE CENT QUATRE-VINGT-DEUXIEME…

¿ TAVUSSA ? (31) – Le Catalan et le plat pays.

M.Puygdemont, président déchu de la Catalogne, nous a dit hier soir qu’il n’est pas venu en Belgique pour demander l’asile politique. Tant mieux pour lui car, malgré les déclarations d’un ministre flamingant, il est certain que cet asile ne lui aurait pas été accordé. Alors pourquoi est-il venu ? Pour constituer un gouvernement en exil entre les tours de Bruges et Gand, pour donner des conseils au parti séparatiste flamand, pour éviter de payer les impôts espagnols, pour échapper à la colère de ceux qu’il a mené en bateau ou plus simplement pour éviter le ridicule — non, si c’est pour cela, il est déjà trop tard — ?

Mais, comme on pouvait le prévoir, le Mr Bean de Barcelone est resté dans le flou. C’est dans sa nature, et c’est comme cela qu’il procède depuis quelques semaines, aussi embarrassé par sa victoire populiste à la Pyrrhus que les partisans du Brexit devant le résultat de leur référendum ou que son sosie britannique devant une équation du premier degré. Il est venu, dit-il, non pas en Belgique, mais à Bruxelles, capitale de l’Europe, pour placer le problème catalan au cœur de l’Union et lui demander son aide. Outre le fait que l’Europe n’a pas de capitale, on comprend mal l’intérêt de cette manœuvre, compte tenu de la position unanime que les membres de l’UE ont exprimée. L’explication de M.Puygdemont ne peut être qu’une rationalisation, une façade, pour cacher la vraie motivation, d’ailleurs compréhensible, qui est d’échapper à la prison.

L’ambiguïté de l’ex-président est à son comble quand il annonce que, tout en étant réfugié en Belgique, il participera aux élections régionales de décembre prochain, ce qui revient quand même pour lui à admettre que la déclaration d’indépendance qu’il avait faite — pour la suspendre dans la minute suivante — n’avait pas de valeur légale et à reconnaitre l’autorité de l’Etat sur la Province.

M.Puygdemont est quand même poursuivi pour rébellion, ce qui n’est pas rien et il sera intéressant de suivre dans les jours prochains comment les gouvernements belge et espagnol vont réagir.

La logique voudrait que la justice espagnole demande à la Belgique de lui livrer le bonhomme.  Mais il est peu probable qu’elle fasse cette demande, se trouvant sans doute fort aise de ne pas avoir à traiter le cas du gaffeur séditieux.

Si, malgré tout, la demande en était faite, la Belgique devrait sans doute l’extrader — y a-t-il un spécialiste du droit international dans la salle ? — car refuser de le faire reviendrait à considérer l’Espagne comme incapable de lui assurer un procès équitable.

Il faut reconnaitre au moins une chose positive dans le comportement erratique de l’ex-président, c’est qu’il semble davantage chercher une porte de sortie personnelle que l’affrontement. Pourtant, il est à parier que sa situation va rester figée un certain temps, personne n’ayant intérêt à ce qu’elle évolue.

Il reste bien sûr la solution d’une ambassade amie et non européenne ouvrant ses portes pour accueillir Puygdemont et son orchestre. On pense bien sûr à la Russie de Poutine, et même aux Etats-Unis de Trump, les deux ayant montré tout l’intérêt qu’ils avaient à emmerder le monde en général et l’Europe en particulier.