Non, Michel Houellebecq n’est pas réactionnaire.

Morceau choisi

(…) il faut s’entendre sur le sens des mots. Un réactionnaire est quelqu’un qui estime préférable un état antérieur de l’organisation sociale, possible d’y revenir, et qui milite dans ce sens.
Or s’il y a une idée, une seul, qui traverse tous mes romans, jusqu’à la hantise parfois, c’est bien celle de l’irréversibilité absolue de tout processus de dégradation, une fois entamé. Que cette dégradation concerne une amitié, une famille, couple, un groupement social plus important, une société entière ; dans mes romans il n’y a pas de pardon, de retour en arrière, de deuxième chance : tout ce qui est perdu est bel et bien, et à jamais, perdu. C’est plus qu’organique, c’est comme une loi universelle, s’appliquant aussi bien aux objets inertes ; c’est littéralement, entropique. À quelqu’un qui est à ce point persuadé du caractère inéluctable de tout déclin, de toute perte, l’idée de réaction ne peut même pas venir. Si un tel individu ne sera jamais réactionnaire et tout naturellement, conservateur. Il considérera toujours qu’il vaut mieux conserver ce qui existe, et qui fonctionne tant bien que mal, plutôt que se lancer dans une expérience nouvelle. Plus sensible aux dangers qu’à l’espérance il sera pessimiste, d’un naturel triste, et en général facile à vivre.

M.Houellebecq – Ennemis publics – 2008

ET DEMAIN, UN SONDAGE SUR LES ORIGINES DU CHOCOLAT AU LAIT

3 réflexions sur « Non, Michel Houellebecq n’est pas réactionnaire. »

  1. Moi qui connaît bien Paddy, son penchant réac et ses idées parfois iconoclastes, je comprends ce qu’il veut dire en accord avec l’énoncé de Houellebecq. Il aurait pu ajouter ‘Tout fout le camps!’ dans une emphase à la Sempé. Non seulement l’individu vieillissant comme lui ou moi ressent le déclin dans sa chair, mais il éprouve la dégradation de son environnement tout entier qui lui échappe et l’oblige à se soumettre (comme pourrait encore le dire le même Houellebecq) contre son gré à la pieuvre internet, à des objets inanimés sans âmes, à la dictature incontrôlée des Gafam comme on dit maintenant (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) dont il serait temps qu’on les renversat, car, quand l’environnement échappe à l’homme qui l’a créé, l’histoire nous indique – et pas que dans les romans – que c’est la chute qui s’annonce.

  2. Non, je ne crois pas avoir déjà donné ce morceau choisi. Il est extrait de « Ennemis publics », un échange de correspondance entre Michel Houellebecq et Bernard Henri-Levy, deux personnages totalement opposés, mais qui ont en commun le fait d’être parmi les intellectuels les plus contestés de leur époque. Intéressant.

  3. J’ai déjà lu ce morceau. Si ce n’est dans le JDC, c’est donc dans le livre lui-même. En tout cas, je pourrais témoigner de l’absolue justesse de cette loi universelle telle qu’elle est énoncée par Houellebecq si l’irréversibilité de la dégradation s’entendait aussi pour la constitution corporelle de l’individu lui-même et pas que dans ses relations, son environnement et les objets soit-disant inertes (mon Mac par exemple!). L’homme décline, tout comme les romains en pire!

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