Archives mensuelles : novembre 2016

Facebook, le circuit fermé (Critique aisée 83)

Depuis maintenant trois ans que j’écris des critiques de tout, y compris de n’importe quoi – celle-ci est la 83ème – je me suis aperçu qu’il était beaucoup plus difficile de pondre une critique favorable qu’une critique critique.
Mais l’honnêteté intellectuelle de base qui m’a toujours empêché de jouer au Loto et d’entrer en politique, m’impose aujourd’hui de faire la louange d’un article de presse.
Le titre de cet article : Facebook, faux ami de la démocratie
Ses auteurs : Messieurs Delcambre et Picard.
Sur une pleine double page, ils présentent une analyse du fonctionnement algorithmique – et non une analyse de l’algorithme lui-même, qui demeure bien sûr ultrasecret – qui, bien que Fb s’en défende, conduit ses utilisateurs à une pensée en circuit fermé.
Autrement dit, tout d’abord, et sans même que l’algorithme ait à intervenir, l’utilisateur de Fb ne voit que les sujets créés ou relayés par ses « amis Fb ». Bien qu’il soit prouvé que ce cercle d’amis FB est toujours plus hétéroclite que celui des amis véritables (ceux que ledit titulaire fréquente socialement dans la vraie vie), il n’en demeure pas moins que ce cercle des amis Fb constitue un filtre qui ne laisse pas passer des informations qui seraient contraires au sens de leur poil. L’information que l’utilisateur Fb reçoit ainsi est donc biaisée, au sens du biais cognitif de Bacon. (Francis Bacon est avec Shakespeare, Woodehouse et Churchill, l’anglais auquel je me réfère le plus volontiers). L’information ainsi filtrée par ses amis Fb ne fait que conforter l’opinion préalable de l’utilisateur. Ce système, on le voit bien, favorise l’extraordinaire développement du complotisme, de l’extrémisme et, pour tout dire, de la bêtise que nous constatons chaque jour.
Mais il n’y a pas que ça.
A cette Carte-Ecran-Radar (néologisme issu de la théorie Ravault de la communication) qui ne laisse passer que ce qui va dans votre sens, s’ajoute les effets de l’algorithme que Fb applique pour sélectionner à son tour ce qu’il pense que vous aimerez voir.
Ledit algorithme, qu’un esprit facétieux a désigné sous le nom de Big Browser, analyse en permanence ce que vous avez vu venant de vos amis Fb, ce que vous avez liké (aimé), ce que vous avez posté (publié) vous-même, et il en déduit en temps réel votre profile (personnalité) : conservateur, progressiste, libéral, socialiste, complotiste, philatéliste, ésotériste, créationniste, sioniste… (you name it, you have it).
Vous êtes à présent fiché de telle sorte que, en plus des publications de vos amis Fb, vous recevrez dorénavant des publications venant de l’extérieur de votre cercle, mais jugées conformes à votre « profile ».
Autrement dit, ayant abandonné la lecture de la presse depuis longtemps, conforté chaque jour dans vos certitudes de la veille, vous n’aurez jamais l’occasion de vous confronter avec des opinions différentes des vôtres : vous êtes foutu.
Excellent article.
Cela m’est d’autant plus difficile à dire qu’il est paru dans l’édition du 3 novembre 2016 d’un journal que j’accuse régulièrement de manipulation de l’information, Le Monde.
Mais ça, c’est mon côté complotiste.

Edition spéciale

Voyage au bout de la nuit américaine
Drôle de réveil ce matin.
Une victoire annoncée, de justesse mais certaine, qui se transforme en une défaite cuisante et incontestable…
Malgré les magnifiques discours de Barack, Michelle, Bill…
Malgré la mobilisation de Broadway, d’Hollywood et de la plus grande partie de la presse…
Malgré la vulgarité, le mépris, l’ignorance, l’agressivité, les incohérences, les mensonges du candidat vainqueur…
Malgré les sondages, malgré les vœux de la plupart des autres pays…
Malgré, malgré, malgré…
Tout ça doit bien vouloir dire quelque chose. Mais quoi ?
Montée mondiale du populisme ? Sans doute, mais c’est plus compliqué que ça, comme disent les gens qui veulent faire les malins.
Nous aurons dans les heures qui viennent trente six mille analyses savantes qui nous expliqueront pourquoi il était prévisible que personne n’ait rien prévu.
A ces analyses, je n’ajouterai pas la mienne, du moins pas tout de suite.
Ce matin, je dirai seulement que j’espère que les USA n’entrent pas dans une nuit américaine de quatre années.
J’ajouterai que, après cette élection triomphale d’un candidat que nous prenions pour un clown, après le vote du Brexit mené par un autre clown, nous pour qui les élections approchent, nous devons nous méfier des sondages, et ne rien décider  en fonction de ces âneries scientifiques.
Je termine en souhaitant bon courage et bonne chance à mes amis américains.

Chronique des années passées – 5

Chronique des années cinquante

5 – Le 38

Il y a longtemps, je prenais souvent l’autobus 38.

Pas pour aller à l’école, non. Pour ça je prenais le métro : quatorze stations, avec un changement interminable à la station Chatelet ; au mieux, quarante minutes de transport. Un jour, dans un wagon bondé, compressé entre des adultes, oppressé par la chaleur et fatigué par une journée de classe, je m’étais évanoui entre les pieds des voyageurs. Après cette aventure, mes parents avaient décidé que je ne prendrais plus que des premières classes. J’étais rapidement devenu un habitué des wagons rouges. Les gens y lisaient l’Aurore ou le Figaro, et je fulminais contre ceux qui voyageaient dans mon wagon alors que, visiblement, ils n’avaient pas le titre de transport adéquat.

Je prenais le 38 pour des choses plus agréables que d’aller en classe. Il me permettait de rejoindre le Luxembourg, ses balançoires, ses petits bateaux, et plus tard, ses jeunes filles au pair, et si je descendais une ou deux stations plus loin, j’arrivais tout près d’une dizaine de cinémas. Beaucoup d’entre eux ont aujourd’hui disparu. Ils ont laissé la place à des magasins de disques ou de vêtements.

Le 38 fut l’un des derniers autobus à conserver Continuer la lecture de Chronique des années passées – 5

La lucarne

J’habite juste derrière Agios Nikolaos, sur une toute petite place. Il n’y a que deux arbres, un café et un kiosque à journaux. Vous verrez, ce n’est pas un très bel immeuble. Il doit dater des années cinquante, mais dans ce quartier, il fait plutôt cossu. Il n’a que quatre étages, mais moi, j’habite au cinquième. Non, non, je ne plaisante pas. Vous allez comprendre.

Quand vous serez devant mon immeuble… Non, il n’y a pas de numéro, mais vous ne pourrez pas vous tromper, c’est le plus haut de la place. Vous monterez d’abord les trois marches qui mènent au hall d’entrée. La porte est toujours ouverte. Vous traverserez le hall tout en marbre jaune et, vous verrez, au fond à droite, il y a une porte en fer, toute noire. Il faudra la pousser fort, parce que, attention, elle est lourde. Vous serez alors dans une petite cour, étroite et sombre et vous n’aurez devant vous que des poubelles et un escalier métallique en colimaçon. Désolé, mais quelquefois, ça ne sent pas très bon. Prenez l’escalier. Attention, il est plutôt étroit et très sale. Vous savez, en ce moment, c’est l’hiver, il fait froid et les Continuer la lecture de La lucarne

Le Patrimoine aux grilles du jardin (Critique aisée 82)

Critique aisée n°82

Le Patrimoine aux grilles du jardin

Je vous écris de la terrasse du Rostand.

À l’heure où j’écris cette quatre-vingt deuxième « Critique Aisée », le soleil se faufile entre les nuages derrière les marronniers du Luxembourg. Dans une vingtaine de minutes, il va commencer à faire frais. Assis sur ma chaise en osier tressé jaune, je peux apercevoir quelques-unes des nouvelles photographies exposées le long de la rue de Médicis.

A plusieurs reprises, j’ai critiqué la présence de ces grands placards que l’on accroche de temps en temps aux grilles du Luxembourg le long de la rue de Médicis.

Je trouve en particulier qu’elles empêchent d’admirer le jardin, dans la mesure où, lorsque l’on passe sur le trottoir, on regarde les photos et on ne voit plus les arbres, la fontaine, les promeneurs. On contemple un paysage du Tibet, un visage de Colombie, une rivière de Chine, et l’on ne voit plus les visages distordus des joggers, les jambes bronzées des filles, ou l’air fatigué des touristes. J’avais été jusqu’à suggérer qu’au lieu de toutes ces images exotiques, on expose Continuer la lecture de Le Patrimoine aux grilles du jardin (Critique aisée 82)