Archives mensuelles : décembre 2015

Roaring twenties

Morceau choisi

Je crois vous avoir dit que je me trouvais récemment en Europe. En fait, ce n’était pas la première fois. J’y étais déjà allé il y a de nombreuses années avec Ernest Hemingway.

A l’époque, il venait d’écrire son premier roman. Gertrud Stein et moi l’avons lu. On lui a dit que c’était un bon roman, mais pas un grand roman, qu’il avait besoin d’être travaillé et que ça pouvait alors devenir pas mal du tout. On en a ri. Hemingway m’a mis son poing dans la gueule.

Cet hiver-là, Picasso vivait rue du Bac. Il venait de terminer un tableau représentant une assistante dentaire, nue au milieu du désert de Gobie. Gertrud Stein a dit que c’était un bon tableau mais pas un grand tableau. J’ai dit que ça pouvait être pas mal du tout. On en a ri. Hemingway m’a mis son poing dans la gueule.

Je me souviens aussi de Scott et de Zelda Fitzgerald qui venait de rentrer de leur réveillon du nouvel an. C’était en avril. Scott venait d’écrire « Les Grandes Espérances ». . Gertrud Stein et moi l’avons lu. On lui a dit que c’était un bon livre, mais qu’il n’avait pas besoin d’être retravaillé car Charles Dickens l’avait déjà fait. On en a ri. Et Hemingway m’a mis son poing dans la gueule.

On est allé ensuite en Espagne pour voir toréer le grand Manolete. Il m’a semblé qu’il avait dix-huit ans, mais Gertrud Stein m’a dit que non, il avait dix-neuf ans mais en paraissait seulement dix-huit. Je lui ai alors fait remarquer qu’un garçon de dix-huit ans pouvait en paraitre dix-neuf et qu’un garçon de dix-neuf ans pouvait en paraitre dix-huit ; c’était comme ça avec les vrais espagnols. On en a ri. Et Gertrud Stein m’a mis son poing dans la gueule.

Et puis la guerre est arrivée. Hemingway est parti en Afrique pour écrire un livre, Gertrud Stein a emménagé avec Alice Toklas, et moi, je suis rentré à New York pour consulter mon orthodontiste.

(Retranscription d’un sketch de 1965 de Woody Allen)

Qui va à la chasse…

Mon père, Claude de Saint-Simon, est fait duc par Louis XIII qui l’appréciait pour avoir trouvé le moyen de changer de cheval à la chasse sans mettre pied à terre : il suffisait de présenter au Roi un cheval tête-bêche. Ainsi le Roi enjambait un cheval frais sans descendre de son cheval fatigué.
Louis XIII appréciait aussi mon père pour être le seul de ses amis à ne pas baver lorsqu’il soufflait dans son cor de chasse.
Louis de Rouvroy de Saint-Simon

Profondeur de champ (Couleur café n°19)

Couleur café n°19
Le Pavillon de la Fontaine.
Jardin du Luxembourg

C’est la première fois que je viens ici. Pourtant, je suis passé mille fois devant ce petit pavillon proche du Sénat et de la fontaine Médicis qui lui a valu son nom. De style second empire, peint en un vert foncé élégant, ses panneaux vitrés étroits encadrés de fins montants en bois lui donnent l’aspect fragile d’une grande serre ou d’une petite caserne pour gardiens de square. Abritée sous les grands marronniers, sa terrasse est dans l’ombre, parsemée de tâches de lumière tremblante. Une soixantaine de tables métalliques vert d’eau y sont posées sur le gravier. Quelques touristes y achèvent leur brunch et quelques parisiens viennent y prendre un café. Je viens y chercher un sujet.

Le temps est beau. Un vent du Nord -Est a dégagé le ciel mais il a rafraichi la température. De temps en temps, Continuer la lecture de Profondeur de champ (Couleur café n°19)

Dix ans que ça dure !

Vous qui pensez que notre siècle est celui de la violence, lisez donc ce court extrait, en gardant à l’esprit que ce que nous connaissons de l’Iliade ne raconte que quelques jours de la guerre de Troie. Au moment où se passent ces évènements, cette guerre dure depuis déjà dix ans. C’est pourquoi, Homère me pardonne, j’ai donné à cet extrait le titre :

 Dix ans que ça dure !

…Et les Danaens repoussèrent les Troiens. Chacun des chefs tua un guerrier. Et, le premier, le roi Agamemnôn précipita de son char le grand Odios, chef des Alizônes. Comme celui-ci fuyait, il lui enfonça sa pique dans le dos, entre les épaules, et elle traversa la poitrine, et les armes d’Odios résonnèrent dans sa chute.

Et Idoméneus tua Phaistos, fils du Maiônien Bôros, qui était venu de la fertile Tarnè, l’illustre Idoméneus le perça à l’épaule droite, de sa longue pique, comme il montait sur son char. Et il tomba, et une ombre affreuse l’enveloppa, et les serviteurs d’Idoméneus le dépouillèrent.

Et l’Atréide Ménélaos tua de sa pique aiguë Skamandrios habile à la chasse, fils de Strophios. C’était un excellent chasseur qu’Artémis avait instruit elle-même à percer les bêtes fauves, et qu’elle avait nourri dans les bois, sur les montagnes. Mais ni son habileté à lancer les traits, ni Artémis qui se réjouit de ses flèches, ne lui servirent. Comme il fuyait, l’illustre Atréide Ménélaos le perça de sa pique dans le dos, entre les deux épaules, et lui traversa la poitrine. Et il tomba sur la face, et ses armes résonnèrent.

Et Mèrionès tua Phéréklos, fils du charpentier Harmôn, qui fabriquait adroitement toute chose de ses mains et que Pallas Athènè aimait beaucoup. Et c’était lui qui avait construit pour Alexandros ces nefs égales qui devaient causer tant de maux aux Troiens et à lui-même; car il ignorait les oracles des dieux. Et Mèrionès, poursuivant Phéréklos, le frappa à la fesse droite, et la pointe pénétra dans l’os jusque dans la vessie. Et il tomba en gémissant, et la mort l’enveloppa.

Et Mégès tua Pèdaios, fils illégitime d’Antènôr, mais que la divine Théanô avait nourri avec soin au milieu de ses enfants bien-aimés, afin de plaire à son mari. Et l’illustre Phyléide, s’approchant de lui, le frappa de sa pique aiguë derrière la tête. Et l’airain, à travers les dents, coupa la langue, et il tomba dans la poussière en serrant de ses dents le froid airain.

Et l’Évaimonide Eurypylos tua le divin Hypsènôr, fils du magnanime Dolopiôn, sacrificateur du Skamandros, et que le peuple honorait comme un dieu. Et l’illustre fils d’Évaimôn, Eurypylos, se ruant sur lui, comme il fuyait, le frappa de l’épée à l’épaule et lui coupa le bras, qui tomba sanglant et lourd. Et la mort pourprée et la Moire violente emplirent ses yeux…

Homère

L’Iliade. Chant 5.