Archives de catégorie : Fiction

Homéotéleute et Polyptote (1)

Ceci est une reprise du succès de la saison théâtrale de l’année 2016

Tragédie en quatre ou cinq actes (au choix)

A Sophocle, Eschyle et Giraudoux

Personnages

Épiclèse                      roi d’Antanaclase (M. Jean-Paul Belmondo)
Polysémie                   épouse d’Epiclèse (Mme Shirley McLaine)
Homéotéleute            fils d’Epiclèse (M. Gérard Jugnot)
Polyptote                   jeune Zeugmienne (Mlle Brigitte Bardot)
Le Récitant                récitant (M. Louis Jouvet)
Le Chœur Antique   vieille chorale (M. Michel Fugain et le Big Bazar)
Homère                      poète (M. Michel Simon)
Héra                           déesse (Mme Régine)
Aphrodite                  déesse (Mlle Sharon Stone)
Charybde                  pauvre pêcheur (M.Michel Colucci)
Scylla                         pauvre pécheresse (En alternance Mmes Jeanne et Yolande Moreau)
Villageois, invités, gardes, servantes, attaché consulaire, chevaux, raton laveur… Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (1)

Go West ! (90)

(…) J’en ai pris plein la figure. Submergé par ce flot de révélations, je n’arrive pas à les assimiler. J’ai la gorge serrée, je suis incapable de prononcer un mot. J’ai fini de m’habiller depuis longtemps et c’est au moment où je me penche pour ramasser mes affaires qu’un sentiment de révolte m’envahit. J’attrape mon sac, marche jusqu’au coin du lit et m’assieds dessus, le sac entre mes pieds.
— Je ne pars pas !
— Quoi ? Et Bo qui arrive !
— Je m’en fous, je ne pars pas ! Bo ne me fait pas peur !

Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ce Bo ne me fait pas peur ! est sorti malgré moi. On n’a pas idée de dire un truc pareil ! Et quand bien même ce serait vrai, quand bien même je l’affronterais, Bo, ça nous mènerait à quoi ? À une discussion de gentlemen au cours de laquelle je tenterais de le convaincre de me laisser dormir avec sa femme encore quelques jours ? À une bagarre dans laquelle j’aurais toutes les chances de me faire estropier et jeter dehors ? Ridicule ! Ridicule et dangereux ! Mais il a fallu que je le dise… Stupide !

— Fran ! Viens m’aider à foutre ce petit con dehors !

Fran arrive du salon. Ses deux bras pendent le long de son corps, mais au bout du bras droit, il y a un couteau de cuisine, pointé vers le sol. Elle fait deux pas vers moi et se fige. Son corps paraît à la fois souple et tendu, elle l’air impassible mais attentive, immobile et dangereuse comme un serpent. Je me lève brusquement et recule en trébuchant le long du lit. Le téléphone sonne. Continuer la lecture de Go West ! (90)

Go West ! (89)

(…) Choqué par les insultes que je viens de crier, abasourdi, je me tais et reste devant Mansi, essoufflé, les bras ballants. Et c’est là qu’elle se fâche. Pour la première fois, je l’entends élever la voix.
— Dis-donc, petit homme ! Qu’est-ce qui te prend de me parler comme ça ? T’étais plutôt modeste, ces derniers temps ! Plutôt sur la réserve, non ? Inexistant, à la limite ! Tu ne trouves pas ? Alors qu’est-ce qui s’est passé ? Tu te crois des droits parce qu’on a dormi ensemble ? Allez, gamin ! Finis de t’habiller et va jouer ailleurs !
Inexistant ! Gamin ! Je chancelle un peu, mais je reprends de l’assurance et j’ose dire :
— D’abord, on n’a pas fait que dormir, si je me souviens bien !

J’ai forcé sur l’ironie et, sur le moment, ma réplique me plait bien. Toujours ce désir de répartie assassine… Mais je ne tarde pas à réaliser qu’elle est puérile et déplacée. Ce que je ne sais pas encore, c’est qu’elle est également stupide car à l’époque j’ignore qu’en anglais dormir avec quelqu’un signifie précisément faire l’amour avec ce quelqu’un, ce qui implique pourtant qu’on ne dorme pas.
Mansi ne répond que par un haussement d’épaules. Je continue sur un ton plus doux, entre geignard et enjôleur :
— Et puis, on était bien ensemble, non ? Moi, en tout cas, j’étais bien. Je croyais que toi aussi. Tu me l’as dit, plusieurs fois. Alors pourquoi tu veux tout ficher en l’air ?
Mansi tombe des nues : Continuer la lecture de Go West ! (89)

Bob Trump, une vie américaine

Ce texte est une rediffusion. Sa première publication remonte au  13 Février 2019. Il avait été rédigé dans le cadre d’un atelier d’écriture. Le thème de l’exercice était : « Imaginez ce que pourraient être des personnages à partir d’un seul nom. Par exemple : écrivez une page sur un personnage qui s’appellerait Adriano Pitelberg ou encore Bob Trump. » J’avais choisi Bob Trump. Aujourd’hui, je n’oserais plus.

Bob Trump, une vie américaine 

Bob Trump épousa Selma Clanton le surlendemain de sa démobilisation. Selma, qu’il avait rencontrée lors de sa première permission juste avant d’embarquer sur le porte-avions Enterprise, l’avait attendu pendant près de quatre ans tandis qu’il traversait le Pacifique dans tous les sens. Pendant l’année qui suivit, Bob prit des cours de comptabilité, tous frais payés par l’US Navy dans le cadre du programme de reclassement des anciens combattants. Pendant ce temps-là, Selma travaillait à la cafeteria de l’Université de Pennsylvanie. Le salaire de Selma et la petite pension d’invalidité pour blessure de guerre de Bob leur permettaient juste de vivre décemment. En mars 1947, Donald Clanton, oncle de Selma et garagiste à Kansas City, mourut sans héritier direct. Selma hérita la petite affaire. Elle la vendit aussitôt à un marchand de meubles voisin qui désirait agrandir son magasin pour y créer un rayon radio-télévision. Ils achetèrent pour vingt-cinq dollars une énorme Hudson modèle 1937 et partirent vers le Grand Canyon. Bob voulait absolument voir de ses propres yeux ce « grand trou dans la terre » qu’un sous-officier lui avait décrit un soir dans les entrailles de l’Enterprise et auquel il avait du mal à croire. « Un mile de profondeur, vous pensez ! » A une centaine de miles avant le Grand Canyon, sur la route 66, ils entrèrent dans la petite ville de Winslow. Ils arrêtèrent leur voiture devant la gare dans la rue principale et la préparèrent pour y passer la nuit. Le lendemain matin, Continuer la lecture de Bob Trump, une vie américaine

Go West ! (88)

(…) Mais à l’époque du récit, je n’y crois pas à sa ville fantôme. Pourtant, je ne peux pas le lui dire.  D’abord, ça lui ferait de la peine, et ça, je n’en ai pas le courage. Ensuite, si je veux rester encore un peu ici et si je veux encore coucher avec elle, il ne faut pas lui dire. Et ça, c’est ce que je veux.
— Le 15 décembre, me dit-elle ! Tu te rends compte ? Le 15 décembre !
Alors je me tourne vers Mansi et la contemple avec admiration. Puis, simplement, comme elle l’avait fait lors de notre premier matin, je lui dis à mon tour : « C’est formidable ! Embrasse-moi. »

Ni Mansi ni moi ne dormons encore vraiment, quand tout à coup :
— Mansi ! Ouvre-moi ! Vite !
Il y a quelqu’un qui tambourine sur la vitre de la chambre et qui crie à voix étouffée.
— Ouvre-moi ! Il est revenu ! Il arrive ! Dépêche-toi !
Mansi hésite une seconde puis bondit nue hors du lit. Elle fonce à la fenêtre, tire le rideau et ouvre la baie vitrée. Fran entre. Elle est très énervée.
— Il est là ! Il est en ville ! Il arrive !
Mansi ne pose pas de question. Elle emmène Fran vers le salon. Je les entends discuter un peu, puis elles reviennent dans la chambre. Mansi commence à rassembler ses vêtements.
— Habille-toi, s’il te plaît, me dit-elle.
Elle a parlé de son ton calme habituel, neutre, sans intonation. On dirait une simple demande, mais c’est un ordre, un ordre qui ne souffre pas de question. Pourtant, moi, je ne peux pas m’empêcher de râler.
— Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Continuer la lecture de Go West ! (88)

Go West ! (87)

(…)
— Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On ne va pas se recoucher quand, même ?
— Si tu veux, on peut…
Elle avait repris son ton neutre habituel et je n’arrivais pas à savoir ce qu’elle avait vraiment voulu exprimer. Était-ce l’enthousiasme : « Oh oui, Phil, s’il-te-plait, retournons dans la chambre » ? Ou bien une simple constatation objective des possibilités : « Parmi les choses que nous pouvons faire ce matin, nous recoucher est un choix parmi d’autres » ? Ou encore la résignation : « Moi, j’aimerais mieux pas, mais si ça te fait vraiment plaisir… » ?

Compte tenu de son attitude de tout à l’heure, je penchai plutôt pour la troisième version. Et puis, comme je venais de décider de m’intéresser davantage à elle, je changeai de sujet :
— Mais, dis-moi, tu ne dois pas sortir ? On est lundi aujourd’hui, non ? Tu ne travailles pas
— J’ai un petit boulot, mais seulement un jour sur deux et jamais le lundi.
— Ah bon ? Mais ça m’intéresse. Qu’est-ce que tu fais comme travail ?
Elle m’expliqua qu’elle était guide à Calico, une ville fantôme qui avait poussé au siècle dernier à une dizaine Continuer la lecture de Go West ! (87)

Go West ! (86)

(…) Il fallait encore que Mansi soit d’accord et il n’était pas question que je le lui demande. « Euh, dis-moi, Mansi… Ça ne t’ennuierait pas que je reste encore un petit mois chez toi ? » Non, je ne me voyais pas dire ça. Il fallait que ce soit elle qui demande. Ça, évidemment, ce serait l’idéal : « Tu sais, Phil, j’aimerais que tu restes encore… » Non, le mieux, ce serait un non-dit, une prolongation de la situation, jour après jour, sans demande, sans parole que je puisse regretter plus tard, sans engagement, une reconduction tacite en quelque sorte. Ensuite, on verrait bien…

Pour arriver à mes fins, je me disais qu’il me faudrait entourer Mansi d’affection, de tendresse, d’attentions. Il faudrait que je sois drôle, que je m’intéresse à elle, à son passé, à ses goûts, en un mot, que je me rende de plus en plus aimable. Retombant dans mon travers habituel, j’étais sur le point  d’endosser une fois de plus les habits d’un personnage stéréotypé, et ce personnage, cette fois-ci, c’était Don Juan. Comme extérieur à moi-même, je pouvais m’observer en train d’élaborer ma tactique de séducteur cynique pour parvenir à profiter des bons sentiments d’une femme et de son hospitalité.
Me rendre aimable ? Je m’en sentais capable. Mais aimable à quel point ? Jusqu’où fallait-il aller ? Jusqu’à ce qu’elle Continuer la lecture de Go West ! (86)

Ricardo et la pastèque géante

Passé inaperçu à sa première diffusion il y a cinq ans, ce texte ne le méritait pas. Peut-être…

Préface de l’auteur : J’ai beau me creuser la cervelle, je n’arrive pas à me rappeler ce qui a bien pu m’inspirer pour écrire un truc pareil.
L’absolue nécessité de pondre quelque chose pour remplir un trou du planning ?
Un vague souvenir de mes lectures des œuvres de Frederic Brown ?
Le temps orageux, l’approche de l’hiver, l’odeur entêtante de la pastèque le soir au fond des bois ?
Impossible de m’en souvenir.
Tout ce que je sais, c’est qu’avant d’écrire la première ligne, j’avais déjà trouvé le titre : « Ricardo ».
Ce n’est qu’après avoir écrit le mot FIN que j’ai ajouté la pastèque.

Intéressant, non ? 

*

C’est en rentrant de l’école à travers le désert du Serpente Azul que Ricardo rencontra la créature. Quatre miles et demi de cailloux, de buissons épineux, de sable et de cactus, c’est ce que traversait Ricardo tous les matins, tous les soirs, une heure et demie de marche sous le soleil impitoyable de la fin du printemps, dans le vent brulant de l’automne ou dans le froid sec de l’hiver. Et justement, là, c’était l’hiver.

Il n’avait pas fait aussi froid depuis 1956, cette fameuse année où même le lac salé de Guatalpa avait gelé et où la mère de Ricardo avait mis bas une paire de jumeaux pour la troisième fois. Le jeune garçon allait franchir l’étroit canyon que le Rio del Cabo-Cabo avait creusé en quelques centaines de millénaires et qui marquait le milieu de son parcours, quand il vit à une vingtaine de pas sur sa gauche une chose qui reposait Continuer la lecture de Ricardo et la pastèque géante

Go West ! (85)

(…) Quand les roseaux divulguèrent à tout vent le secret du roi Midas, Mansi éclata de rire. Elle se pencha vers moi à travers le lit pour m’embrasser sur la joue. J’étais content de la voir gaie à nouveau. J’en étais tout attendri.
Nous étions en train de devenir vraiment intimes, tellement intimes que nous nous sommes endormis, chastement, dans les bras l’un de l’autre.

J’ouvre les yeux et regarde autour de moi. Mansi dort encore. Elle a dû se lever dans la nuit car la baie vitrée de la chambre est à moitié ouverte ; le rideau aussi. La lumière et la fraîcheur du petit jour entrent dans la pièce. Mansi est étendue sur le ventre ; ses deux avant-bras sont repliés sous sa tête qui est tournée vers l’autre côté ; ses cheveux bruns épars me cachent son visage ; ils tranchent sur la blancheur du drap. Avec précaution, je me redresse sur un coude pour mieux la regarder. Sur sa peau mate et brune, entre ses omoplates, sa tache de naissance apparaît dans une nuance de brun à peine plus foncée ; de mémoire, j’essaie d’y placer Sidney et Melbourne, puis mon regard quitte l’Océan Pacifique pour descendre plein sud le long des courbes de son corps jusqu’à sa taille où apparaît le tropique de la bordure du drap. Entre le pouce et l’index, je soulève délicatement la toile et la fait glisser jusqu’à ses chevilles. Mansi n’a pas bougé ; c’est à peine Continuer la lecture de Go West ! (85)

¡ Adelante !

par MarieClaire

Elle s’appelait Soledad, ses parents l’avaient conçue au cours d’un voyage en Espagne. Mais elle était née à Paris-à Belleville, exactement.
Belleville, c’est pas le Pérou, ça grouille, ça piaille, ça n’a pas le sou ! Elle eut tout de même une enfance tranquille, fille unique d’ouvriers heureux.
Son prénom la faisait rêver. Dès l’enfance, elle se sentit d’ailleurs. Les hivers gris, les pavés froids, les nez qui coulent, ça n’était pas pour elle, elle n’était pas faite pour eux. Elle disait non à tout cela, secouant sa tête brune, faisant tinter les anneaux qu’elle portait aux oreilles et tournoyer ses jupes bariolées.

Le jour même de ses dix-huit ans, elle s’empara des économies familiales, Continuer la lecture de ¡ Adelante !