(…) Sur le coup, ça me fait plaisir que Mansi ait voulu me rendre service. Ça prouve bien qu’elle m’aime un petit peu !
— Merci, c’est gentil de la part de Mansi de…
— Ne te fais pas d’illusions. Elle veut surtout être sûre que tu ne vas pas revenir traîner dans le coin. Avec tes réactions de lycéen, on ne sait jamais. Elle m’a même demandé de te surveiller jusqu’à ce que quelqu’un t’ait pris en voiture ! Alors, tu vois…
Et paf ! Encore un coup à l’amour propre. En silence, je croise les bras et me rencogne contre la portière.
— Écoute, petit homme. Non, excuse-moi : écoute, Philippe…
Ça me fait du bien d’entendre mon prénom, prononcé en entier, plutôt gentiment.
— Écoute, Philippe. Tu prends tout ça trop au sérieux. Je te comprends, remarque. J’ai un petit cousin comme toi, Matt. Il est gentil, Matt, dix-huit ans, bien élevé, timide, maladroit. En septembre, il va rentrer à l’université, à Davis. Je le connais bien, Matt. Tu me fais un peu penser à lui.
— Un gentil crétin, quoi !
— Mais non, pas du tout ! Je l’aime bien, Matt, simplement, il n’est pas comme nous, je veux dire pas comme Mansi, comme Bob, ou comme moi. Quand je t’ai observé l’autre soir, installé comme tu l’étais chez Mansi, je l’ai tout de suite imaginé à ta place. Débarquer d’un seul coup dans un milieu totalement différent de celui dans lequel on a toujours vécu, ça ne doit pas être facile. Moi, je n’aurais jamais amené Matt dans une soirée comme ça, et s’il avait été là quand même, je l’aurais surveillé, je l’aurai protégé. Pendant un moment, j’ai bien failli le faire pour toi. Mais quand j’ai vu que tu t’entendais si bien avec Brenda…
— Moi ? Je m’entendais bien avec Brenda ? Mais, pas du tout !
— Peut-être que tu ne t’en souviens pas, mais tu t’entendais drôlement bien !
— Mais c’est faux, complètement faux ! C’est une gourde finie !
— Ça n’avait pas l’air de te gêner, dis donc !
— Je ne te crois pas ! D’abord, Brenda, je lui ai à peine dit trois mots. C’est avec Mansi que je suis resté toute la nuit !
— Décidément, tu as oublié beaucoup de chose… Mais peu importe ! Ce que je voulais te dire, c’est que j’ai réalisé tout à l’heure que dans la même situation, Matt aurait probablement réagi comme toi. Il aurait hésité, il aurait fait semblant de savoir, il aurait tout essayé, et comme toi, il serait tombé amoureux de Mansi.
— Je ne suis pas…
Je ne peux pas finir ma dénégation, tant le seul fait de prononcer les mots manquants me semblerait prouver le contraire.
— Mais si, tu l’es ! Ou plutôt tu le crois. Et, sur le moment, l’être ou le croire, c’est la même chose… Je te comprends, tu sais. Tu es à des milliers de miles de chez toi, fauché, recherché par les flics, blessé, fatigué, poussiéreux, démoralisé et voilà qu’une femme, une vraie femme, veut s’occuper de toi. Pendant trois jours, elle te soigne, elle te lave, elle te nourrit ; elle te caresse, te raconte sa vie, elle t’écoute… c’est ta mère ! Mais comme tu dors avec elle et qu’elle te fait l’amour autant de fois que tu veux, c’est une femme, une femme qui veut bien de toi ; c’est ta femme ; et tu crois que tu es amoureux et par conséquent qu’elle l’est aussi. C’est normal, c’est forcé. Tu te détends, tu es bien, au chaud, protégé, apaisé et tu penses que ça va durer. Oui, mais voilà ! Mansi est mariée et…
J’interromps Fran avec colère :
— Mais pourquoi m’a-t-elle raconté que Bo était mort, qu’elle vivait seule, que je pourrai rester chez elle tant que je voudrais ? Si elle m’avait dit tout de suite qu’elle était mariée, que son mari allait revenir et qu’il faudrait que je parte le lendemain demain matin, j’aurais accepté, bien sûr. Le moyen de faire autrement ? Mais il a fallu qu’elle mente. Pourquoi ?
— Parce qu’elle ne savait pas que Bo allait revenir si vite, parce que tu devais être le nouveau jouet qu’elle apportait à notre petit jeu, parce qu’elle te voulait en confiance…
— Mais c’est dégoûtant de jouer avec les gens comme ça !
— Écoute ! Tu as bu, tu as mangé, tu as baisé ! Tu as expérimenté des tas de trucs, tu as découvert tout un monde. Tu vas en avoir des choses à raconter. Alors, ne te plains pas ! J’en connais qui ne s’en sont pas aussi bien sorti.
La voiture ne roulait plus depuis un moment. Sans que je m’en rende compte, Mansi s’était arrêtée sur le bord de la grande route. Régulièrement, la voiture oscillait, bousculée par le souffle d’un semi-remorque qui passait en hurlant. Au-dessus de nous un grand panneau routier disait « Las Vegas 146 miles – Salt Lake City 565 miles« . Petit à petit, je perçois le sens de ce que Fran est en train de me dire, mais je refuse encore de le comprendre. Je proteste mollement :
— Mais quand même, vous êtes bien fichus de moi… Moi qui croyais…
— Quoi ? Qu’est-ce que tu croyais ? Une femme de vingt ans de plus que toi, à moitié Hopi, mariée à un type qui a deux guerres derrière lui, tu crois qu’elle allait tomber amoureuse de toi, petit blanc bien élevé ? Je te dis ça parce que, au fond, je t’aime bien. Mais il faut que tu réalises que pour Mansi, pour moi, pour notre petit groupe de ploucs marginaux de Barstow, tu ne comptes pas. Ce n’est pas qu’on t’aime ou qu’on ne t’aime pas. La question n’est pas là. En réalité, tu ne comptes pas, tu n’existes pas. On t’accepte quelque quelques heures, quelques jours, et puis on passe à autre chose. Tu existes un moment et puis, tu disparais. Alors maintenant, disparais gentiment. Prends la route et oublie-nous. Nous, on t’a déjà oublié. Bonne chance ! Embrasse-moi !
Une vive lueur blanche a envahi la Coccinelle par l’arrière. Un coup de sirène a retenti. Encore un camion qui va s’amuser à nous frôler !
— Quoi ?
— Embrasse-moi, idiot ! dit Fran en se penchant vers moi.
Je l’embrasse. Elle me rend mon baiser et je pense que c’est doux, que c’est chaud, que c’est agréable. Elle embrasse vraiment bien. J’espère que je suis à la hauteur. Je passe mon bras gauche derrière sa nuque et je l’attire à moi, fort. Elle se laisse aller. Ma main droite est train de passer sous sa chemise, mais sa main bloque la mienne. Elle murmure « Doucement… doucement… ». Trois petits coups sonnent sur le toit de la voiture…
— Tout va bien, Miss ?
Fran et moi, nous nous séparons brusquement. A la fenêtre, entre une casquette bleu marine à galon doré et une chemise assortie, il y a un visage impassible. « Meeerde, un flic ! » C’est un flic de la California Highway Patrol. Sa voiture doit être derrière nous. Il se penche un peu plus et répète :
— Tout va bien, Miss ?
— Tout va bien, officier, répond Fran en se tournant vers lui.
— Vous savez que vous ne pouvez pas stationner là, Miss ? C’est strictement interdit. Je pourrais vous mettre une amende de cent dollars.
— Excusez-nous, officier. Mon ami et moi, nous allons à Vegas pour nous marier là-bas tout à l’heure. Je suis tellement heureuse que j’ai voulu qu’il m’embrasse, là, maintenant, tout de suite ! Alors je me suis garée où j’ai pu et… et voilà…
— Jeunes mariés, hein ! Bon, d’accord, ça ira pour cette fois… Mais ne restez pas là. L’endroit n’est pas sûr. C’est un coin à autostoppeurs, et avec eux, on ne sait jamais… On pourrait vous attaquer pour vous voler votre voiture, ou pire. Alors fichez-moi le camp et allez vous embrasser ailleurs.
— Merci, officier ! On s’en va, on s’en va tout de suite. Et merci, merci encore…
Fran a démarré la voiture et a rejoint lentement la chaussée principale. La voiture de police est remontée jusqu’à notre hauteur, le temps que le flic nous fasse un signe amical de la main, puis qu’elle nous dépasse en rugissant. Ses feux arrière se confondent et disparaissent devant nous. Je peux respirer à nouveau. Fran roule encore quelques secondes, puis elle s’engage sur le bas-côté et s’arrête.
— Maintenant, tu peux descendre. Oui ! Ici ! Tu n’as qu’à retourner à pied jusqu’au panneau. Ce n’est pas loin. Et n’oublie pas ton sac, cette fois-ci. Allez, descend ! Et bonne chance, Philippe !
Je ne sais pas ce qui m’a poussé à le faire, peut-être le fait qu’elle ait dit Philippe au lieu de Phil ou de petit homme, peut-être la chaleur du baiser que nous avions partagé un peu plus tôt, mais je l’ai fait. Dans un mouvement très souple et très naturel, comme dans un film, j’ai passé mon bras gauche derrière sa nuque, je me suis penché vers elle et je l’ai embrassée. Tout d’abord, elle est restée sans réaction ; elle se laissait faire. Alors j’y ai mis un peu plus de passion, en même temps que je passai ma main sous sa chemise. C’est à cet instant que j’ai reçu un grand coup de son coude droit dans les côtes.
— Petit con ! Décidément, tu n’as rien compris !
A SUIVRE
Pendant que Bayrou fait semblant de gouverner, il ne dit rien de ses intentions quant à la réalisation d’économies. Goût du secret ? Non. Volonté de surprendre ? Pas davantage. Plus simplement, il n’en a aucune idée.
Il veut tenir le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’une motion de censure vienne le libérer en le renversant. Il aura donc échoué par la faute des autres.