Archives de catégorie : Fiction

Shakespeare et ses amis (2)

William Shakespeare et Victor Hugo

Par un beau matin de 1584, alors qu’il finissait sa troisième carafe de vin d’Anjou à l’Auberge du Cygne et du Marteau, William saisit sa plume et écrivit d’un seul trait ces deux vers :

Oh combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines

puis il s’arrêta, la plume en l’air et les yeux au ciel, dans la position qu’il avait l’habitude de prendre quand il voulait faire croire à ses camarades de beuverie qu’il réfléchissait. Il venait en fait de réaliser qu’aucun poète anglais n’avait jamais écrit ni en alexandrins ni en français. Il chiffonna donc le parchemin et le jeta par-dessus son épaule. Continuer la lecture de Shakespeare et ses amis (2)

Shakespeare et ses amis (1)

Nous entrons aujourd’hui dans la réédition d’une série de
six textes historiques déjà publiés en 2017.
Ils paraitront tous les deux jours.

William Shakespeare et Christopher Marlowe

Il y aura bientôt 427 ans, le 24 Juillet 1595, William Shakespeare rencontrait Christopher Marlowe pour la première fois. Cette rencontre historique, soigneusement organisée par le hasard (car il tenait à bien faire les choses), se tint à l’auberge du Cygne et de la Couronne (1) sur la rive gauche de la Tamise dans les environs de Londres.  Les deux hommes déjeunèrent d’un bouillon de poulet au gingembre, d’un rôti de dinde accompagné de ses salsifis et de sa sauce gravy et de vin d’Anjou (2). Au bout de trois heures de ripailles, William quitta la table précipitamment car il voulait arriver à l’heure au Globe Theater où il tenait un rôle de hallebardier bègue dans une comédie lamentable et en latin de Sebastian Wescott.  C’est alors que Marlowe fit cette sortie restée dans toutes les mémoires :

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LES TROIS PREMIÈRES FOIS : La matinée de Ste Firmine d’Amelia (4)

Je regrette de vous le dire, Simonet : vous n’avez pas vraiment rempli votre contrat. Vous êtes d’accord, Bertram, je pense ?

— Absolument, confirma Fitzwarren.

— Tout à fait d’accord, crut bon d’ajouter l’aubergiste.

Si l’opinion du tenancier m’importait peu, il n’en était pas de même pour celles des deux autres hommes. Je tenais d’autant plus à leur estime que j’allais vivre avec eux dans une quasi intimité pendant les deux mois à venir. Il fallait donc que je m’explique.

4

— Messieurs, je vois que je me suis mal fait comprendre. En fait, je n’ai jamais su raconter une histoire et, contrairement aux apparences, ce n’est pas de l’enterrement de mon père que j’ai voulu faire le sujet de ma première fois. C’est ma maladresse qui l’a fait passer au premier plan, occultant ce que je voulais vraiment vous dire. Écoutez-moi encore quelques instants et vous comprendrez. Voici :

Ce soir, au cours du diner, nous avons parlé un peu de tout, et puis, chacun à notre tour, chacun à sa manière, nous avons raconté un évènement marquant de notre vie, une première fois. Ce qui est remarquable, c’est qu’aucun d’entre nous n’a évoqué sa guerre. Pourtant, il est évident Continuer la lecture de LES TROIS PREMIÈRES FOIS : La matinée de Ste Firmine d’Amelia (4)

LES TROIS PREMIÈRES FOIS : La matinée de Ste Firmine d’Amelia (3)

À l’instant où les hommes en noir s’étaient écartés, j’avais senti quelque chose remuer en moi, une toute petite chose, tout au fond, quelque part, dans la région de l’estomac ; non, pas quelque chose, plutôt un léger vide ; presque rien en somme ; peut-être la prise de conscience du caractère définitif de ce qui était en train de se passer ; peut-être celle de l’homme qui réalise que le dernier rempart qui le séparait encore de sa propre mort vient de tomber. Attentif, je retournai en moi-même encore une fois dans l’espoir de qualifier cette fragile sensation. Mais elle avait disparu, sans doute effarouchée par l’analyse à laquelle je voulais la soumettre. Je me sentis redevenir inerte et froid.

3

C’est au moment où le prêtre ébauchait le geste de la première bénédiction qu’un grand bruit se fit entendre au fond de la nef. On aurait dit une galopade d’étudiants chahuteurs dans les couloirs sonores de la Faculté de Droit. J’entendais des chuchotements, des rires étouffés, des exclamations réprimées. Il y eut la chute étincelante d’un objet métallique, d’autres chuchotements puis le silence.

Le prêtre s’était figé. Je me retournai. C’était un groupe de personnes, peut-être vingt, peut-être trente. Hésitants, tassés les uns contre les autres, ils avançaient vers le cercueil dans l’allée centrale. Il n’y avait que des hommes. Loin d’être des étudiants, ils avaient plutôt l’air de notables de province en goguette, au sortir d’un banquet. Leurs visages étaient rouges, leur souffle court et leur manteaux épais. Continuer la lecture de LES TROIS PREMIÈRES FOIS : La matinée de Ste Firmine d’Amelia (3)

LES TROIS PREMIÈRES FOIS : La matinée de Ste Firmine d’Amelia (2)

Je n’y étais pas entré depuis plus de vingt ans mais, par la force de l’habitude, j’avais pris la porte de côté, celle qui ouvrait sur le déambulatoire et ses murs recouverts d’ex-votos. Amour et reconnaissance à N.D. du Perpétuel Secours -1911 – M.R.B.  …  Merci – J.B. – 1897 … Confiance à Marie, Grâce obtenue, Reconnaissance S.G. 1913 … autant de télégrammes de remerciements adressés à Marie, à Sainte Rita ou à Sainte Firmine.

2

L’église était déserte. Tout au fond, surplombant la nef de ses ternes tuyauteries, les grandes orgues jouaient quelques accords reconnaissables, puis s’interrompaient pour les reprendre à nouveau sur un ton ou un tempo différent. Entre deux accords solennels, on entendait à peine la sourde rumeur de la rue. De temps en temps, le claquement d’une porte à ressort, le grincement d’un banc trainé sur le carrelage, la chute d’une pièce de monnaie dans un tronc sonnaient sous les voutes, attestant d’une présence humaine, quelque part, invisible. Je m’assis sur la première chaise venue, me renversai contre son dossier et me mis à contempler la charpente de la nef. L’alternance des Continuer la lecture de LES TROIS PREMIÈRES FOIS : La matinée de Ste Firmine d’Amelia (2)

LES TROIS PREMIÈRES FOIS : La matinée de Ste Firmine d’Amelia (1)

Vous souvenez-vous que « La Nuit d’Amsterdam » se terminait comme ça ?

Ce fut au tour de Bauer d’intervenir :
— Tout cela est bel et bon, mon cher, mais dites-moi, nous vous avons laissé inconscient sur le pavé d’une rue chaude d’un quartier mal famé d’Amsterdam, abandonné par votre cousin et vos amis collégiens. Que s’est-il passé ensuite ?
— Ensuite ? Oh, rien de bien important, répondit Fitzwarren. Je me suis réveillé dans un hôpital sous la surveillance d’une jolie infirmière, Alicia. Nous nous sommes mariés deux ans plus tard. Nous avons un Terrier Jack Russel du nom de Snoopy, et trois enfants.

Oui ? Tant mieux, comme ça on peut passer à la suite :

 

La matinée de Sainte-Firmine d’Amelia 

1

Aux derniers mots de Fitzwarren, Bauer avait éclaté de rire.

— Ah ! Bertram Willoughby ! Assurément, vous êtes anglais ! Understatement ! C’est bien le mot que l’on utilise chez vous, n’est-ce pas ? Une vie d’adulte en trois courtes phrases, il n’y a que vous pour faire ça !

— Mais, Franz, objecta Fitzwarren innocemment, que vouliez-vous que je vous dise de plus ? Tout ce que je m’étais engagé à raconter, c’était une première fois, et je l’ai fait avec Continuer la lecture de LES TROIS PREMIÈRES FOIS : La matinée de Ste Firmine d’Amelia (1)

LES TROIS PREMIÈRES FOIS : 2 – La nuit d’Amsterdam (texte intégral)

Cette Nuit d’Amsterdam fait suite à la Nuit des Roggenfelder que vous avez pu lire ici il y a quelques temps. Ces deux nouvelles, pratiquement indépendantes, font partie de la série  LES TROIS PREMIÈRES FOIS. Encore du déjà lu ! Je sais, mais c’est pour vous remettre dans l’ambiance.
La troisième nouvelle, La matinée de Sainte Firmine d’Amelia, paraitra à partir d’après-demain.

 

À mesure qu’avançait le récit de cette nuit agitée en montagne, je n’avais pas été sans remarquer que des clients de l’auberge, de plus en plus nombreux, s’étaient approchés de notre table, certains allant même jusqu’à tirer des tabourets et des fauteuils jusqu’à nous pour mieux entendre les aventures du jeune Franz et tandis qu’il racontait, tous se taisaient en fumant la pipe ou le cigare et en buvant des bocks.  Quand on en arriva au refus du conteur de révéler la réalité de ses relations avec la jeune fille, il y eut dans l’assistance un brouhaha général de déception. J’entendis même un homme lancer avec un fort accent wallon :

— Ah ben merci brâmint ! Ça valait pas de rawarder si longtemps, une fois !

L’assemblée se dispersa, et comme la nuit avait bien avancé, les badauds commencèrent à quitter l’établissement pour le brouillard du quai.

Bauer prit alors la parole.

— Messieurs, malgré votre air dépité, je pense que vous voudrez bien considérer que j’ai largement tenu Continuer la lecture de LES TROIS PREMIÈRES FOIS : 2 – La nuit d’Amsterdam (texte intégral)

LES TROIS PREMIÈRES FOIS : 1 – La nuit des Roggenfelder (texte intégral)

Avant de publier la troisième nouvelle de la série intitulée « Les trois premières fois « , j’ai voulu vous remettre dans l’ambiance enfumée et bavarde de cette nuit de l’Auberge des Hollandais où se sont retrouvés, réunis par leur désir de voyage, Franz, l’Autrichien, Bertram, le Britannique et François, le Français. C’est pourquoi, aujourd’hui je publie le texte intégral de La Nuit des Roggenfelder. La deuxième, La Nuit d’Amsterdam, sera republiée après demain, et ce n’est qu’à partir du 30 janvier que sera publiée en quatre épisodes la dernière de ces nouvelle « La Matinée de Sainte Firmine d’Amelia« .

LES TROIS PREMIÈRES FOIS

Le diner s’était prolongé fort tard dans la nuit. D’abondantes volutes de fumées bleues et grises flottaient sous les poutres du plafond de l’auberge en enveloppant la roue de charrette qui, avec ses pauvres ampoules électriques, faisait office de lustre au-dessus de nos têtes. Depuis quelques instants, sans doute sous l’effet des mets et des vins que nous avions absorbés en quantité, nous étions tombés dans un silence méditatif qui contrastait avec la gaité et la vivacité des conversations que nous avions échangées jusque-là.

Franz Bauer, Bertram Fitzwarren et moi nous étions rencontrés pour la première fois quelques heures auparavant dans les Continuer la lecture de LES TROIS PREMIÈRES FOIS : 1 – La nuit des Roggenfelder (texte intégral)

Le Cujas, c’est fini, mais…

Le Cujas, c’est fini depuis plus de cinq mois.

Ça se terminait comme ça, vous vous souvenez ?

« (…) Et elle était là, seule, dans la première salle, près de l’entrée, sous le bouquet de fleurs qui chaque jour accueille les clients, penchée sur une liasse de feuillets, studieuse, ravissante, merveilleuse.

— Mon Dieu, qu’elle est belle !

C’est ce que Dashiell n’avait pu s’empêcher de murmurer en poussant la porte vitrée et qu’elle n’avait pas entendu. Elle a levé les yeux vers lui, et elle lui a adressé un sourire joyeux en lui disant :

— Tiens ! Dashiell ! Je pensais justement à vous !

Dashiell s’est senti léger, confiant, heureux. Jamais, jamais il n’avouerait….

— Vous prenez un café avec moi ? Je pensais à vous parce que Continuer la lecture de Le Cujas, c’est fini, mais…

Sacrée soirée (Blind dinner) – Texte intégral

Ce soir, c’est la fête. Vous êtes invités chez des amis, ou alors vous les attendez chez vous. 
On va boire, on va manger, on va parler de tas de choses intéressantes. 
En plus, à minuit, on va mettre bas les masques et  on va s’embrasser. 

Ça va être une sacrée soirée !

1

Ça fait longtemps que je trouve très agaçante cette manie de Renée d’avoir régulièrement chez elle à diner des gens qui ne se connaissent pas. Pourtant, même après toutes ces années, Anne et moi, on n’arrive pas à refuser ses invitations et, deux ou trois fois par an, voilà qu’on se retrouve vers huit heures et demi du soir dans son appartement de la Place des Vosges en compagnie de parfaits inconnus.

Toute la journée, la perspective du diner de ce soir m’avait mis de mauvaise humeur. Quant à Anne, depuis quelques jours, je l’avais trouvée plus maussade que d’habitude sans arriver à en trouver la raison. Y en avait-il seulement une, de raison ? Continuer la lecture de Sacrée soirée (Blind dinner) – Texte intégral