Le Cujas, c’est fini, mais…

Le Cujas, c’est fini depuis plus de cinq mois.

Ça se terminait comme ça, vous vous souvenez ?

« (…) Et elle était là, seule, dans la première salle, près de l’entrée, sous le bouquet de fleurs qui chaque jour accueille les clients, penchée sur une liasse de feuillets, studieuse, ravissante, merveilleuse.

— Mon Dieu, qu’elle est belle !

C’est ce que Dashiell n’avait pu s’empêcher de murmurer en poussant la porte vitrée et qu’elle n’avait pas entendu. Elle a levé les yeux vers lui, et elle lui a adressé un sourire joyeux en lui disant :

— Tiens ! Dashiell ! Je pensais justement à vous !

Dashiell s’est senti léger, confiant, heureux. Jamais, jamais il n’avouerait….

— Vous prenez un café avec moi ? Je pensais à vous parce que j’aimerais vous faire rencontrer quelqu’un. C’est un vague cousin de cousins encore plus vagues, mais vous savez comment nous sommes. Pour les gens comme nous, la famille, c’est ce qu’il y a de plus important ! Après l’honneur, bien sûr ! Ce cousin de cousin de cousin est militaire, colonel je crois. Il est nommé à l’ambassade de France à Washington et il part là-bas la semaine prochaine. Il n’a jamais mis les pieds en Amérique. J’ai pensé que vous pourriez lui parler de votre pays. Ce soir chez moi, vers neuf heures, pour une dinette tout ce qu’il y a de simple… Ça vous va ?

Ça lui allait très bien.

— Parfait ! continua Isabelle. Je ne l’ai jamais rencontré, mais on m’a dit que c’était un homme très bien élevé… Colonel de Varax… Jean de Varax… Il a fait la guerre avec Leclerc, dans la 2ème DB… comme Antoine. Peut-être pourra-t-il nous parler de lui…

FIN

 

Bon, il faut dire que la fin n’a pas satisfait tout le monde et qu’une partie des lecteurs voulaient en savoir davantage.

— C’est vrai, ça ! m’ont dit certains. On ne laisse pas tomber les gens en pleine incertitude sur le sort du petit juif de Treblinka, de l’ex-voyou d’Oslo, de l’écrivain hésitant ou de la coqueluche germanopratine en devenir, sans oublier la fille du Rose Bud ni la bistrote auvergnate.

D’autres, plus exigeants, plus sentimentaux aussi, m’ont téléphoné : 

— Et alors ? ont-ils questionné, anxieux. Est-ce que Dashiell va rencontrer de Varax, le seul officier français parfaitement au courant des circonstances de la mort d’Antoine de Colmont ? Et s’il le rencontre, de Varax dira-t-il la vérité devant Isabelle ? Et s’il la dit, Isabelle pourra-t-elle accepter l’amour de Dashiell ? Et si elle l’accepte…

— Oh ! Eh ! Hein ! Bon ! Ça va, ça va ! Je vais voir ce que je peux faire, ai-je vaguement promis en raccrochant.

Et finalement, sensible à ces réclamations dont certaines, il faut bien dire, tournaient aux récriminations, j’ai entrepris des recherches en profondeur dans la presse et voici ce que j’ai trouvé, rien que pour l’année 1952, quatre ans après cette rencontre de Dashiell et Isabelle par un beau matin d’hiver aux Deux Magots :

 

 Le Cujas
Épilogue facultatif et documenté

 France-Soir

Accident boulevard Saint-Michel

Paris, 10 mai 1952

Vendredi après-midi, vers 14 heures 30, un piéton a été renversé par un autobus Boulevard Saint-Michel à la hauteur de la Place de La Sorbonne. La victime, Monsieur Marcel Merteau, âgé de 70 ans, artisan menuisier du quartier, a été transportée à l’Hôpital Cochin où il est décédé des suites de ses blessures malgré les efforts des médecins. Selon les premiers résultats de l’enquête, l’autobus 38 aurait rompu ses freins dans la descente du boulevard alors qu’il se dirigeait vers la Place du Châtelet.

C’est le troisième accident de ce type à survenir sur la ligne 38 depuis le début de cette année.

Les habitants du quartier se rendront en cortège au siège de la RATP de la rue du Louvre pour protester contre l’état de vétusté des autobus. Le cortège partira vendredi à 16 heures de la Place de la Sorbonne où une gerbe sera déposée en hommage à Marcel Morteau.

François Caron, sous-directeur de la RATP, tient à rappeler par notre intermédiaire que la Régie s’est lancée depuis quatre ans dans un important programme de rénovation du parc d’autobus en triste état qu’elle a reçu de la STCRP après quatre années d’occupation.

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Le Figaro

Édition du 12 mai 1952

La mère Gazagnes
15 place Dauphine

Toute la ville en parle. Les artistes, les hommes politiques, les milieux d’affaires et les gens du monde en raffolent. Quand il s’agit de faire un bon repas, traditionnel et de qualité, les connaisseurs vont chez La mère Gazagnes pour y retrouver la bonne cuisine d’avant-guerre, celle qui nous a tant manqué pendant les années sombres.

Antoinette Gazagnes, la « mère », est une forte personnalité. Enlevée à 17 ans par son fiancé du couvent du Cantal où elle était enfermée, elle est montée à Paris pour se marier avec lui. Le couple a d’abord tenu de modestes cafés en divers endroits de la capitale. Devenue veuve de guerre en 1916, la courageuse jeune femme a pu reprendre un grand café du Boulevard Saint Michel, le Cujas, en faisant appel à la fameuse tontine des Auvergnats de Paris. En pleine Occupation, elle recevait souvent chez elle, au-dessus du café, quelques amis qu’elle régalait d’une succulente viande d’Aubrac accompagnée d’un aligot vite devenu célèbre. On dit que ces dîners ont souvent été l’occasion pour les responsables parisiens de la Résistance de se réunir secrètement en lieu sûr, mais Madame Gazagnes demeure muette sur ces événements ; l’habitude du mystère sans doute…

Dès le lendemain de la Libération, les amis d’Antoinette l’ont littéralement suppliée de sortir de sa clandestinité gastronomique en ouvrant enfin un vrai restaurant où elle pourrait exercer pleinement ses talents et régaler tous les parisiens.

Et à la soixantaine à peine sonnée, elle l’a fait. L’année dernière, elle a repris l’ancienne « Maison Paul« , dont on sait que le propriétaire a dû s’exiler à Buenos-Aires. En quelques mois, elle a su y créer un endroit chaleureux, confortable et discret où se retrouve le Tout Paris pour déguster les spécialités auvergnates de La mère Gazagnes.

On a vu René Clair y diner récemment avec Gérard Philipe et Simone Signoret avec Serge Reggiani. Jouvet et Montherlant y viennent en voisin. Mattias Engen, fondateur du Groupe de Presse Engen, y tient table ouverte. Mercredi dernier, il y déjeunait avec Pierre Lazareff, Directeur Général de France-Soir, François Mitterrand, Secrétaire Général de l’UDSR et son Trésorier, Georges Cambremer.

(Il est prudent de réserver à DANton 34 34)

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Ouest-France

Édition du 13 mai 1952

Pages de Vannes – Lorient

Toutes les femmes élégantes de notre bonne ville de Vannes seront heureuses d’apprendre que mardi prochain ouvrira au numéro 11 de la Rue Saint-Vincent un nouveau magasin de mode à l’enseigne évocatrice de Au vrai chic de Paris. Mademoiselle Armelle Podeur, la propriétaire du Vrai Chic, est bretonne de pure souche. Née à Loudéac de parents bretons tous les deux, elle est montée très jeune à Paris pour y apprendre les techniques et les secrets de la mode féminine. Elle y a exercé les métiers de modiste et de couturière dans les maisons parisiennes les plus renommées avant de créer sa propre marque, Simone Renoir. Aujourd’hui, Armelle Podeur revient au pays breton pour nous faire profiter de ses talents confirmés de créatrice de mode.

C’est autour d’une tasse de thé qu’elle recevra la bonne société vannetaise tous les jours, sauf le dimanche, de 10 heures à midi et de 15 heures à 17h30 pour lui présenter ses robes, ses chapeaux et ses accessoires.

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Le Provençal

Édition du 14 mai 1952

Le retour des héros du Tonkin

Toulon, 13 mai.

Depuis plus de six ans que l’Armée Française a repris pied en Indochine, elle n’a eu de cesse de retrouver les corps des soldats français disparus lors de la traitreuse attaque de Lan Son par les Japonais en septembre 1940. C’est pourquoi le ministre des Anciens Combattants, représenté par Monsieur Philippe Cottard, chef de cabinet du Ministre, s’est rendu mardi matin à l’Arsenal de Toulon pour accueillir le Duguay-Trouin de retour du Tonkin avec à son bord les corps de vingt-quatre officiers, sous-officiers et hommes de troupe, morts en défendant l’Indochine contre l’envahisseur nippon. Les honneurs leur ont été rendus après que la Légion d’Honneur leur ait été décernée à titre posthume. À l’issue de cette émouvante cérémonie, Monsieur Cottard a dévoilé une plaque commémorative et lu à haute voix les noms de ces vingt-quatre héros ignorés d’une bataille méconnue :

Lieutenant Philippe Carvet, Lieutenant Michel Andrémont, Sergent Albert Dutel, Sergent Richard Muller, Caporal Robert Picard, Caporal…

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Le Parisien Libéré

Édition du 15 mai 1952

Un détenu fait une chute mortelle à la prison de la Santé.

Hier matin, un détenu de la Maison d’arrêt de la Santé a fait une chute mortelle du haut de la galerie du troisième niveau du Bloc A. La victime, Achir Soltani, 34 ans, condamné à quinze années fermes en première instance pour le meurtre de Marcel Mollens, dit Momo. Soltani, plus connu dans le monde de la pègre sous le sobriquet de Casquette, était détenu à la Santé en attente de l’ouverture de son procès en appel. C’est dans la bousculade habituelle qui suit l’ouverture des cellules pour la promenade quotidienne qu’il a basculé par-dessus le garde-corps de la galerie. Une enquête a été confiée à la Police Judiciaire pour déterminer si la mort de Soltani est due à un accident, à un suicide ou à la vengeance d’un codétenu.

Monsieur Roger Ratinet, Directeur de l’établissement pénitentiaire, a déclaré qu’il déplorait cet accident et qu’il regrettait que les coupes budgétaires dont son administration a été l’objet au cours de ces dernières années n’aient pas permis d’installer les filets de sécurité qu’il réclame depuis la mort de trois détenus dans les mêmes conditions au cours de la seule année dernière.

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Combat

Prix des Deux Magots

Vendredi 16 mai 1952

Le Prix littéraire des Deux Magots 1952 a été décerné hier soir à Mademoiselle Isabelle Bompar pour son roman Les Étés de Vauvenargues, édité chez Kamrat Éditeur. Interrogée à la sortie du célèbre établissement germanopratin, la lauréate a accepté de prononcer quelques mots devant la presse. Elle a tout d’abord remercié Simone de Beauvoir et Boris Vian pour les précieux conseils qu’ils lui ont prodigués pendant l’écriture de son roman. Elle a ensuite rappelé qu’elle avait dédié son livre à son mari Antoine, lieutenant dans la 2ème D.B., tué à Berchtesgaden alors qu’il venait de prendre le Nid d’Aigle, le célèbre refuge d’Hitler.  Elle a tenu à souligner combien la date de sa mort, trois jours avant la capitulation de l’Allemagne nazie, et l’ironie de ses circonstances, qu’elle a rapportées fidèlement dans Les Étés de Vauvenargues, constituaient une preuve éclatante et cruelle de la stupidité de la guerre. Très émue, elle s’est ensuite engouffrée dans un taxi, soutenue tendrement par le jeune auteur de L’Écume des Jours.

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Nice-Matin

Inauguration de la Fondation ArBoKa par le Ministre des Anciens Combattants

Mougins, 27 mai 1952 – Le Ministre des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, Monsieur Emmanuel Temple, accompagné de Monsieur Vidal Modiano, Président du CRIF, a procédé hier lundi à Mougins à l’inauguration de la Fondation ArBoKa. Dans un sobre discours, le président de la fondation, Monsieur Samuel Goldenberg, a rappelé qu’il avait créé cette fondation pour venir en aide aux sans famille rescapés des camps de la mort et qu’il avait conçu le nom de sa fondation, ArBoKa, en hommage à trois de ses camarades du camp d’extermination de Treblinka. Il s’agit de Maurice Arkine, Claude Bochurberg et Simon Kaminski, victimes de la barbarie nazie.

On sait que Monsieur Samuel Goldenberg est lui-même l’un des très rares rescapés de Treblinka d’où il a réussi à s’évader à l’occasion d’une révolte dont il fut l’un des organisateurs.

La publication de Sammy, journal intime tenu entre son incarcération à Drancy en juillet 42 et son retour misérable à Paris en octobre 48, a immédiatement connu un succès mondial. Traduit en plusieurs langues et objet de négociations avec la Twentieth Century Fox pour la cession des droits cinématographiques, le petit opuscule a rapporté à son auteur des sommes considérables qu’il a souhaité consacrer à une œuvre de bienfaisance. C’est dans la villa de Cannes de Mattias Engen, son éditeur et ami, où il résidait depuis quelques mois afin de recouvrer une santé très ébranlée, que Samuel Goldenberg a conçu, organisé et dirigé le projet de la Fondation ArBoKa. Sur la photo qui illustre cet article, on verra Monsieur Goldenberg prononçant son discours, entouré de Messieurs Temple et Modiano et de Monsieur Mattias Engen, l’heureux éditeur de Sammy.

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Combat

28 mai 1952

Politique et Littérature

La publication d’un roman-feuilleton dans un magazine populaire à fort tirage peut avoir des conséquences inattendues. C’est du moins ce que donnerait à penser la parution en épisodes dans l’hebdomadaire Ici-Paris du roman d’un auteur américain, Dashiell Stiller, jusqu’alors inconnu en France.

Conçu comme une étude de mœurs autour d’une photographie de groupe prise par l’auteur à Paris quelques années avant la guerre et présenté sous la forme originale d’une succession d’interviews, Le Cujas nous raconte les itinéraires des personnages photographiés, modestes ou ambitieux, banals ou originaux, heureux ou malheureux à travers notre époque, depuis l’entre-deux-guerres jusqu’à l’avènement de la IVème République, en passant par la guerre, l’Occupation, la collaboration, la Résistance et la Victoire.

Il faut dire tout d’abord que les premiers épisodes de ce Cujas, publiés dans Ici-Paris à partir de Janvier dernier, n’avaient guère attiré ni la faveur du public ni l’attention du monde politique.

Le Cujas nous est présenté comme un roman mais, l’auteur ne s’en cache pas, tout ce qu’il écrit n’est pratiquement que la fidèle relation de faits réels qui lui ont été rapportés par leurs témoins directs. Tout cela ne serait qu’anecdotique si l’un des personnages figurant sur la photographie n’était un homme public de premier plan, décoré par De Gaulle de la Médaille de la Résistance avec rosette, ancien Directeur des Investissements à EDF, ancien Ministre des Anciens Combattants sous Henri Queuille et actuellement Trésorier de l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance sous la présidence de René Pleven.

Tout cela serait bel et bon et sans grandes conséquences si les derniers épisodes parus de ce fichu Cujas ne nous révélait une face cachée de ce brillant personnage, en fait vichyssois zélé, collaborateur occasionnel et prévaricateur efficace.

Les milieux bien informés ne se cachent plus pour le dire : Monsieur le Trésorier est dans la tourmente. On murmure que la Commission d’enquête parlementaire sur la collaboration a ouvert un dossier à son nom tandis que la Police Judiciaire s’intéresserait à ses activités passées.  D’ailleurs, son mentor et ami, François Mitterrand, Secrétaire Général de l’UDSR, a d’ores et déjà demandé sa radiation du parti.

Oui, Monsieur Cambremer a bien du souci à se faire…

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Le Temps

29 mai 1952

De nouveaux locaux pour Le Temps

C’est hier mercredi que les nouveaux locaux de notre journal ont été inaugurés en présence de Charles Brune, Ministre de l’Intérieur et de Monsieur François Mitterrand, Secrétaire Général de l’UDSR.

Ces nouveaux locaux, situés au numéro 5 de la Rue des Italiens, regroupent à présent la totalité des services du journal ainsi que la salle des rotatives.

C’est Monsieur Mattias Engen, Président du Groupe de Presse Engen, qui a coupé le ruban traditionnel.

Nul doute qu’avec ses matériels ultra-modernes et ses nouveaux bureaux spacieux et fonctionnels, le journal Le Temps retrouvera bientôt sa place parmi les grands quotidiens nationaux, c’est-à-dire la première.

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Journal intime de D. Stiller

Furman Street, Brooklyn

Année 1952

5 juillet

Pas encore 9 heures et il fait une chaleur d’enfer. Il parait qu’à Brooklyn, en été, il fait toujours deux ou trois degrés de plus qu’à Manhattan. Et deux ou trois degrés de moins en hiver. Personne ne sait pourquoi. Présence de Central Park, prix des appartements ? On ne sait pas, mais c’est sûr qu’il fait chaud à Brooklyn. Acheter un climatiseur. C’est ça, il faut que j’achète un truc comme ça. Serai probablement le premier à en avoir un dans Furman Street.

Suis pas dupe ! Je sais bien que si j’écris ces petites banalités, c’est pour retarder le moment où il va falloir se remettre à un vrai travail d’écriture. Rien écrit de sérieux depuis six mois. Rien depuis le dernier mot de la dernière ligne du dernier chapitre de E comme Easy ». Rien… rien de rien… rien de rien de rien de rien ! ! !

Procrastiner, j’ai vérifié dans le Webster, ça s’appelle procrastiner :  remettre à demain, faire un truc futile pour ne pas faire un truc important. Parait que pour beaucoup d’écrivains, c’est comme ça : après un succès, peuvent plus écrire. Peur de décevoir, de faire moins bien que la dernière fois… En tout cas, la panne de stylo, l’angoisse de la page blanche, je l’ai. Alors, je procrastine.

Pourtant l’idée, je l’ai : écrire un livre sur Furman Street ; l’histoire sera racontée par Furman Street, un être conceptuel, une rue vivante, une chaussée qui parle… original, non ? Furman Street racontera sa vie, ses débuts comme sentier puis comme chemin de halage. Elle racontera les premières baraques et puis les pavés, et puis les immeubles, les voitures, le goudron. Il y aura des accidents, des incendies, des inondations et même un tremblement de terre ; des morts et des naissances ; oui… parce qu’il y aura des humains aussi. Seront traités sous un point de vue d’entomologiste, comme des fourmis.

L’idée, je l’ai, ce qui manque c’est l’entame, la première phrase, l’incipit comme dit le Webster. Alors, je procrastine.

Assez procrastiné. Au boulot !

Furman Street par Dashiell Stiller. Chapitre 1er…

7 juillet

Quatrième jour de canicule. Faut que j’achète un climatiseur.

En fait de Chapitre 1er, hier matin, j’ai tout planté là. Suis parti me baigner à Coney Island. M’a fait penser au gars qui conduisait ma Jeep à Berchtesgaden. S’appelait Königsberg, mais tout le monde l’appelait Coney. Coney m’a fait penser à Yani et Yani à la Compagnie E, l’Easy Company. Me suis mis à réfléchir, mais cette fois, pas aux lacets du Kehlstein, mais à E comme easy. C’est vrai qu’il a eu du succès, mon bouquin. Il en a encore. Commence à être publié un peu partout. Ça rapporte bien.

« Un roman de guerre impitoyable », « un style simple et percutant », « une vision à la fois cynique et humaniste », « un livre qui marquera ». Ils en ont dit tellement, les critiques, que j’ai fini par y croire. Ça y est, je suis un écrivain. Mon premier roman, Le Cujas, avait fait un bide, sérieux même. Mais c’est normal de rater son premier bouquin. C’est même une épreuve nécessaire pour un écrivain, a dit mon éditeur : « Faut en passer par là ! » Et puis, un roman centré sur des Français, leurs petites histoires, leurs petites aventures, leurs petites lâchetés, qui cela pouvait-il intéresser ? D’accord, il y avait le narrateur, l’américain, mais bien trop effacé comme personnage. Donc, Le Cujas : un bide ! Et puis aussi, je n’avais pas eu l’accord de ce salopard d’Engen pour incorporer le journal de Sammy dans mon texte. Il m’avait écrit en substance par avocat interposé : « si vous gardez le journal de Sammy dans votre bouquin, je vous fous un procès pour plagiat au Tribunal de New-York… des millions de dollars… » Alors forcément, j’ai pas pu garder. Et forcément mon bouquin a perdu de son intérêt. Le bide. Heureusement, il y a eu E comme easy. Bon, c’est pas tout…

Furman Street par Dashiell Stiller. Chapitre 1er… Bon sang ! Comment ça vient au monde, un sentier ? Est-ce que ça sent les gens qui lui marchent dessus ? Il faut vraiment que j’achète un climatiseur.

13 juillet

Ce soir, c’est promis, j’achète un climatiseur. Lewinski est plutôt bricoleur. Me l’installera très bien.

Ce matin, surprise ! Engen m’a téléphoné. Aimable et tout. Très content de la traduction du Cujas en français, encore plus de sa publication en feuilleton. Parait que ça passionne les foules, là-bas. Surtout maintenant qu’ils en sont arrivés à l’histoire de Cambremer. Ça fait un sacré chambard, il m’a dit. Je devrais toucher pas mal d’argent avec les droits pour la France. Tant mieux.

Tant mieux, parce que j’ai abandonné Furman Street… pas pu imaginer comment un sentier peut parler.

Trouverai bien autre chose. En attendant, j’ai largement de quoi vivre.

18 juillet

Pour me changer les idées, hier, me suis promené à Manhattan. Rencontré Patricia Rockwell sur la 5ème devant le Met. On est allé prendre un verre. Elle ne s’appelle plus comme ça. Mariée. Un avocat. Plutôt riche. Deux enfants. Elle est élégante, splendide. Parfaite New Yorkaise mais pas l’air vraiment heureuse. On s’est rappelé les dunes de Glen Cove. On a promis qu’on se reverrait.

Ça m’a fait penser à Isabelle. J’ai lu quelque part qu’elle a écrit un bouquin, elle aussi. Et qu’il a eu du succès. Faudra dire à mon éditeur d’acheter les droits pour l’édition américaine.

Isabelle. Je vais lui écrire une lettre pour expliquer le Cujas, enfin tout ça. Peut-être qu’elle comprendra, qu’elle me pardonnera.

Non, pas lui écrire. Je vais aller la voir. Vais demander à mon éditeur de me charger de négocier les droits de son bouquin pour les USA. Je vais aller à Paris et je lui parlerai. Peut-être que cette fois, elle ne me fichera pas dehors, peut-être qu’elle m’écoutera…

***

Fin de l’épilogue 

2 réflexions sur « Le Cujas, c’est fini, mais… »

  1. Et bien moi je l’ai beaucoup appréciée cette suite finale….
    Le roman nous a été servi en tranches, rien ne s’opposait à un petit supplément….
    C’etait frustrant non de ne pas savoir ce qu’étaient devenus ces personnages qui avaient fini par prendre vie grâce au canevas implacable de l’auteur…
    Sa recherche à lui …. alors bientôt une suite?

  2. Épi-quoi-encore? Une épidémie d’épilogue? Un épître pour rendre les équivoques acceptable par les insatisfaits? Épi-zut! Moi j’aimais Le Cujas nature, dans son jus d’origine, sans autres additions. Je l’ai déjà dit.

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