Archives de catégorie : Fiction

Première vague

temps de lecture : 18 minutes

Ce texte a été publié une première fois le 30 Aout 2015. C’est une fiction. Ça n’empêche pas que tous les détails soient vrais. 

A cette époque,  mes parents louaient à l’année une maison forestière en Normandie. Adossée à la forêt de Lyons, elle dominait une petite vallée verdoyante traversée par un ru, le Fouille-Broc. Sur la crête de la colline d’en face, deux fois par jour, à travers les trous du bocage, on pouvait voir passer le petit train laitier. Dans la maison, il n’y avait ni eau courante, ni chauffage, juste une cheminée et un peu d’électricité. Nous y passions tous nos week-ends et toutes nos vacances.

C’est la raison pour laquelle, à onze ans, je n’avais encore jamais vu la mer. Pourtant, la lecture des livres de Jules Verne, et surtout les gravures qui les illustraient m’en avaient donné des  visions assez précises : parfois étendue de plomb immense et grise, à peine ondulée sous de gros nuages sombres roulant à l’horizon, parfois montagnes gigantesques d’eau noire couronnées de griffes blanches menaçant un frêle esquif empli de pêcheurs barbus Continuer la lecture de Première vague

Reine d’un soir (texte intégral)

Pour ceux qui n’aiment que les gros morceaux, voici la rediffusion en intégral d’un texte paru en 5 épisodes et en mars dernier :
Reine d’un soir.
(30 minutes de lecture)

 

1

— Salut Benjamim ! Je peux vous appeler Ben ? C’est Max qui vous envoie ? Comment y va ce vieux Max depuis le temps ? Il se plait bien à Rio ? Tu parles, ça m’étonne pas ! Bon, parait que vous faites de la télé vous aussi. Et où ça donc ? Televisão Cidade Recife ? C’est une chaîne de télé, ça ? Connais pas ! Bon, ça fait rien. Écoutez, là, je suis plutôt occupé, alors si vous voulez bien… Dis, je peux te dire tu ? Ouais ? T’es sûr ? Bon, j’aime mieux… bon, alors, si tu veux bien, je vais te raconter tout ça pendant le maquillage. Ça te gêne pas, Coco ? T’es sûr ? Bon !

Comme tu sais, je m’appelle Franck Dorsett. Enfin, c’est sous ce nom qu’on me connait en France. Mon vrai nom, Continuer la lecture de Reine d’un soir (texte intégral)

La chute du globe (2/2) (Couleur café n°35)

temps de lecture : 4 minutes 

Couleur café n°35 (suite)

(…) La Coupole par ci, La Coupole par là… et c’est là que venait Untel ! et aussi Machin, avec Unetelle de temps en temps ! Mais je les connais pas, moi tous ces gens ! Et à supposer que je les connaisse, ils sont pas là aujourd’hui, non ? Alors, qu’est-ce que ça peut me faire à moi, Untel, Machin et Machine ? Té, regarde plutôt : on arrive, tranquilles, Gandolfi et moi, on devise gentiment, et POF BALINGBLINGBLING! , on manque de se faire assassiner ! Alors tout ce que je vois moi, c’est qu’à la Coupole, il vaut mieux y venir casqué !

Seconde partie

GINA VAN PARABOUM,  modèle
Mince alors ! Heureusement que je ne me suis pas mise là-bas, dis-donc ! J’en suis toute retournée… Déjà que j’ai un pansement sur le nez… Ç’aurait été le pompon si j’avais pris ce truc sur la tête ! Quand je vais raconter ça à Océane !… Elle voudra plus venir ici… Mais que je suis bête, moi ! Mais faut que je change de place : je suis juste dessous la lampe d’à côté. La même, exactement la même ! Si ça se trouve, Continuer la lecture de La chute du globe (2/2) (Couleur café n°35)

La chute du globe (1/2) (Couleur café n°35)

temps de lecture : 5 minutes 

Couleur café n°35


La chute du globe

La Coupole,
102 Bd du Montparnasse,
PARIS 14

LES FAITS
Mercredi 24 août 2022, peu après 18 heures, le globe de verre de l’un des lustres qui assurent l’éclairage de la terrasse de La Coupole s’est décroché de sa suspension. Il s’est fracassé au sol à toute proximité d’une cliente en dispersant aux alentours un grand nombre de débris de verre acérés. Cet incident n’a causé aucun blessé. Les débris ont été balayés et l’activité normale a repris. Quelques minutes plus tard, un groupe de huit américaines s’est installé en terrasse pour diner. Tout ce qui précède est parfaitement véridique, mais pour la suite, c’est pas certain.

Première partie

ROBERT DE MONTESSORI, poète, essayiste
J’étais seul, l’autre soir, à la terrasse de La Coupole. C’était pendant cette période où il faisait si chaud à Paris que, ce jour-là, lors de ma promenade vespérale, je n’avais eu ni le courage ni la force de parvenir jusqu’à la Closerie des Lilas pour m’y rafraichir d’une coupe Continuer la lecture de La chute du globe (1/2) (Couleur café n°35)

Les trois premières fois (texte intégral)

temps de lecture : 1 heure

Ce texte a été publié par épisodes entre novembre 2021 et janvier 2022. Je fais le pari que vous l’avez déjà oublié. 


LES TROIS PREMIÈRES FOIS

Le diner s’était prolongé fort tard dans la nuit. D’abondantes volutes de fumées bleues et grises flottaient sous les poutres du plafond de l’auberge en enveloppant la roue de charrette qui, avec ses pauvres ampoules électriques, faisait office de lustre au-dessus de nos têtes. Depuis quelques instants, sans doute sous l’effet des mets et des vins que nous avions absorbés en quantité, nous étions tombés dans un silence méditatif qui contrastait avec la gaité et la vivacité des conversations que nous avions échangées jusque-là.

Franz Bauer, Bertram Fitzwarren et moi nous étions rencontrés pour la première fois quelques heures auparavant dans les bureaux de la Compagnie Maritime des Indes Orientales dont le Princesse des Mers devait appareiller dans Continuer la lecture de Les trois premières fois (texte intégral)

Le diable et l’avocat

temps de lecture : 1 minute
C’est la troisième fois seulement que le Journal des Coutheillas publie ce qu’il est convenu d’appeler une histoire drôle. La première, c’était celle du country club, la deuxième, ce fut celle du pianiste de trente centimètres, et voici la troisième, celle du diable et de l’avocat. Elle est extraite du roman l’Anomalie par Hervé le Tellier (Prix Goncourt 2020)

Le diable entre chez un avocat et lui dit :
— Bonjour, je suis le diable. J’ai un marché à vous proposer.
— Je vous écoute.

— Je vais faire de vous l’avocat le plus riche du monde. En échange, vous me donnez votre âme, l’âme de vos parents, celle de vos enfants et celle de vos cinq meilleurs amis ?
L’avocat le regarde d’un air étonné et dit :
— D’accord. Où est le piège ?

Désintoxication

Rediffusion            Temps de lecture : 10 minutes

Lundi 

— …

— Ah ! Bonjour, jeune homme !

—… ?

— Ah, oui ! Ça va beaucoup mieux, merci. Aujourd’hui, j’ai pu lire une demi-heure… au moins. Ça n’a pas été facile et ça m’a fichu une belle migraine ophtalmique, mais c’est une vraie victoire. Quand je pense que la semaine dernière, je n’arrivais même pas à lire la carte postale que m’avait envoyée mon beau frère de Montalivet-les-bains ! Non, c’est vrai, ça va mieux.

—… ?

—Pour la suite ? Aïe ! Je vous en prie, n’utilisez pas ce mot. Quand vous le prononcez devant moi, c’est comme si vous allumiez une cigarette devant un grand fumeur repenti. On ne parle pas Continuer la lecture de Désintoxication

Un garçon de laboratoire (intégral)

 temps de lecture : 15 minutes 

Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages.
 Antoine Blondin

Première partie

Je pouvais vraiment pas savoir que ça allait tourner comme ça, moi ! J’avais juste répondu à une petite annonce du Quotidien de Ploucville-les-Bains, une petite annonce toute simple : « Recherchons garçon de laboratoire. Bonne santé. Pas de qualification particulière. Emploi stable et bien rémunéré. Contacter le Journal qui transmettra ». Ça tombait bien, cette annonce : je n’avais aucune qualification particulière, j’avais un gros besoin d’argent et un peu de stabilité me ferait surement pas de mal. Faut dire que ces derniers temps,  j’avais vraiment pas eu de chance.

J’explique : je venais juste de trouver un boulot de livreur de fast-food à domicile. Attendez ! C’est pas ça, le coup de pas de chance. Le boulot, c’est pas forcément le bonheur, rarement même. Mais livreur de bouffe à domicile, c’est super comme job. On travaille quand on veut et on se nourrit sur la bête. Bon, bien sûr, Continuer la lecture de Un garçon de laboratoire (intégral)

Un garçon de laboratoire (3/3)

temps de lecture : 5 minutes 

« Parfait, parfait, qu’il a répété, Ratinet. Je suis sûr que nous allons nous entendre. Pourriez-vous commencer dès aujourd’hui ? Oui ? Très bien, parfait, parfait. Maintenant je vais vous prier de bien vouloir lire attentivement ce contrat, et s’il vous agrée, de le dater et de le signer au bas de la dernière page. Et surtout, prenez votre temps ! »

Troisième et dernière partie

Moi, le juridique, c’est vraiment pas mon truc. Et puis quand je lis des choses comme  … de l’exécution des présentes, le salarié s’engage à se conformer aux instructions et directives de l’ensemble des instances dirigeantes et supérieurs hiérarchiques auquel il est… ou comme …Conformément aux dispositions de l’article L1635–1 du Code du Travail, le salarié est informé qu’il bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel avec…, moi ça me fout le tournis et je comprends plus rien de ce que je lis. Alors, j’ai d’abord cherché le montant de la paie dans toute cette paperasse, après, j’ai fait semblant de lire le reste, et puis j’ai dit « Et comment qu’il m’agrée, votre contrat, M’sieur Ratinet ! J’en n’ai jamais vu un qui m’agrée autant que celui-là. Z’avez un stylo ? » et j’ai signé. Ratinet a Continuer la lecture de Un garçon de laboratoire (3/3)

Un garçon de laboratoire (2/3)

temps de lecture : 5 minutes

(…) Tout ce que je voulais dire, c’est qu’il y avait pas confusion, c’était bien l’adresse et c’était bien une blanchisserie.
« Tiens, bizarre ! que je me dis. Y cherchent un garçon de laboratoire, là-dedans ? Bizarre ! Peut-être qu’ils analysent les produits avant de les utiliser ? Ouais, ça doit être ça : ils ont un labo pour analyser les produits et c’est pour ça qu’ils veulent un garçon de laboratoire. » J’étais un peu déçu, forcément : probable qu’il y aurait pas de picouzes, et par conséquent pas de jolies filles ou de demi-bourgeoises à qui les faire. « Mais bon, que je dis encore, y aura quand même surement la blouse, le bic 4 couleurs et le salaire. Et puis ce serait bien le diable si y aura pas de temps en temps des bleus de travail à chourer. Et puisque je me suis cassé le tronc à venir jusque-ici, autant aller au bout !» Et paf ! J’y suis allé. Ben oui, quoi ! Je pouvais pas savoir que ça allait tourner comme ça.

Deuxième partie

Y avait qu’une seule porte qu’avait pas l’air d’être faite pour les ouvriers. D’ailleurs, dessus, y avait écrit « Visiteurs ». J’étais pas vraiment un visiteur, plutôt un futur salarié, mais je l’ai poussée quand même. Derrière, y avait une salle un peu grande, avec au fond un comptoir en demi-cercle, un peu comme celui du Rencart des Routiers-Pas-Sympas sur la N34 à la sortie de Pedzouille-les-Oies, mais en mieux. Au mur à gauche, y avait un grand écran qui débitait des conneries sur les qualités formidables de la Blanchisserie de Ploucville avec des images en boucle de torrents de montagne, de forêts verdoyantes et de couchers de soleil sur l’océan. À vomir… Sur le mur d’en face, Continuer la lecture de Un garçon de laboratoire (2/3)