La chute du globe (1/2) (Couleur café n°35)

temps de lecture : 5 minutes 

Couleur café n°35


La chute du globe

La Coupole,
102 Bd du Montparnasse,
PARIS 14

LES FAITS
Mercredi 24 août 2022, peu après 18 heures, le globe de verre de l’un des lustres qui assurent l’éclairage de la terrasse de La Coupole s’est décroché de sa suspension. Il s’est fracassé au sol à toute proximité d’une cliente en dispersant aux alentours un grand nombre de débris de verre acérés. Cet incident n’a causé aucun blessé. Les débris ont été balayés et l’activité normale a repris. Quelques minutes plus tard, un groupe de huit américaines s’est installé en terrasse pour diner. Tout ce qui précède est parfaitement véridique, mais pour la suite, c’est pas certain.

Première partie

ROBERT DE MONTESSORI, poète, essayiste
J’étais seul, l’autre soir, à la terrasse de La Coupole. C’était pendant cette période où il faisait si chaud à Paris que, ce jour-là, lors de ma promenade vespérale, je n’avais eu ni le courage ni la force de parvenir jusqu’à la Closerie des Lilas pour m’y rafraichir d’une coupe de Ruinart selon mon habitude. En effet, vers six heures de l’après-midi et trente-cinq degrés sept de température, alors que je passais devant La Coupole, je fus tenté par la terrasse de cet établissement, qui, à cette heure et en cette saison, se trouvait hors d’atteinte du soleil depuis plusieurs heures et, par conséquent, pourrait sans doute me procurer pour un temps une fraicheur relative. La Closerie et ses ombrages étaient encore bien loin et je ne fus pas long à me décider : je franchis la ligne des jardinières dont les  bosquets limitent la terrasse de cette grande brasserie, autrefois si populaire.
Trouver une table convenable ne fut pas chose aisée. En effet, comme l’heure du diner de certains étrangers d’outre-atlantique approchait, le personnel avait déjà dressé la plupart des tables à cet effet et, sur la terrasse, il n’en restait qu’un petit nombre où la seule consommation d’une boisson fût encore permise. Je regrettai in petto cet autoritarisme peu commercial dont faisait ainsi preuve le tenancier de cet établissement, mais trop affecté par la canicule pour manifester ma réprobation et en tirer les conclusions en portant ma clientèle plus en amont sur le boulevard, je m’installai à l’une des tables laissées disponibles.  Elles étaient rassemblées dans la partie la plus orientale de la terrasse et n’accueillaient encore que peu de consommateurs : dans l’angle opposé à la table que j’avais choisie, une dame entre deux âges portant un léger embonpoint et une robe imprimée à fleurs , tenait un stylo à la main et semblait réfléchir devant un bloc de papier à lettres et un verre de vin rosé ; me faisant face, assise à une table proche de l’entrée menant au bar, une jeune femme brune buvait à petites gorgées dans un verre conique à haute jambe un cocktail aux couleurs kaléidoscopiques surmonté d’un petit parasol en papier ; elle me regardait sans me voir et je remarquai qu’elle portait un discret pansement rose sur l’arrête d’un nez plutôt joli ; à la table la plus proche de la mienne se trouvaient deux hommes ; je ne saurais les décrire car je leur tournais le dos, et jamais mon éducation ne m’aurait permis de me retourner vers eux pour les examiner ; je ne pus cependant m’empêcher de remarquer que l’un d’eux parlait d’une voix plutôt forte, marquée d’un accent facilement reconnaissable, celui du midi et même, plus précisément, de Marseille. Enfin, à deux tables de distance, sur ma droite, un petit homme fluet aux manches de chemise retroussées était renversé sur son siège, les mains croisées derrière la nuque et le regard perdu dans la contemplation de la marquise qui couvre partiellement la terrasse.
Et c’est ainsi que je me trouvais seul, l’autre soir, à La Coupole, à attendre que le maitre d’hôtel veuille bien s’apercevoir de ma présence.

LOUIS FERDINAND FÉLINE, gonze
« Et PAF ! » qu’il a fait le gros globe de verre en explosant sur le sol. Ou plutôt « Et POF ! » que c’était le son, un son bien rond, bien chaud, tout de suite suivi d’une cascade de bruits cristallins, bien froids, eux, bien du genre comme quand on laisse tomber une poignée de fourchettes sur un carrelage de cuisine. Bien sûr, au moment du POF et des bruits subséquents, nous, les gens, sur la terrasse, on a tous sursauté, mais pas autant que la grosse dame, celle qui écrivait sa lettre en buvant du rosé. Ah ! qu’elle a crié en renversant sa chaise tant elle s’était levée fissa pour s’écarter de sa table. Bon, je me suis dit, sa lettre, elle l’écrira plus tard, chez elle peut-être même, parce qu’elle est plus en état, la grosse dame, plus du tout, toute émotionnée qu’elle se trouve par ce qu’il vient de se passer.

CESAR OLLIVIER, bisenessemane
Oh, Bonne Mère ! Elle y a échappé de peu, la cagole, à la trépanation. Un peu plus à gauche, elle prenait la boule en plein sur le cabasson, et alors, c’était la méchante fracture, la grosse catastrophe, l’écrabouillage fatal. Qu’est-ce que c’est que ce bouge où il m’a amené, Gandolfi ? C’est quand même pas ordinaire : je lui demande un endroit convenable, pour y prendre un jaune et barjaquer tranquillement entre amis, au frais. Et zou ! tout ce qu’il me trouve, cette brêle, c’est de m’amener ici, à La Coupole. La Coupole, la Coupole ! Il en avait plein la bouche de La Coupole. Tu verras, La Coupole !… La Coupole par ci, La Coupole par là… et c’est là que venait Untel ! et aussi Machin, avec Unetelle de temps en temps ! Mais je les connais pas, moi, tous ces gens ! Et à supposer que je les connaisse, ils sont pas là aujourd’hui, non ? Alors, qu’est-ce que ça peut me faire à moi, Untel, Machin et Machine ? Té, regarde plutôt : on arrive, tranquilles, Gandolfi et moi, on devise gentiment, et POF BALINGBLINGBLING! , on manque de se faire assassiner ! Alors tout ce que je vois moi, c’est qu’à la Coupole, il vaut mieux y venir casqué !

A SUIVRE (demain)

Bientôt publié

Demain, 07:47 La chute du globe (2/2) (Couleur café n°35)
23 Nov, 07:47 TABLEAU 420
23 Nov, 16:47 La chute du globe (intégral)
24 Nov, 07:47 Novembre – Critique aisée n°243
25 Nov, 07:47 Problème de clôture

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