Un garçon de laboratoire (2/3)

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(…) Tout ce que je voulais dire, c’est qu’il y avait pas confusion, c’était bien l’adresse et c’était bien une blanchisserie.
« Tiens, bizarre ! que je me dis. Y cherchent un garçon de laboratoire, là-dedans ? Bizarre ! Peut-être qu’ils analysent les produits avant de les utiliser ? Ouais, ça doit être ça : ils ont un labo pour analyser les produits et c’est pour ça qu’ils veulent un garçon de laboratoire. » J’étais un peu déçu, forcément : probable qu’il y aurait pas de picouzes, et par conséquent pas de jolies filles ou de demi-bourgeoises à qui les faire. « Mais bon, que je dis encore, y aura quand même surement la blouse, le bic 4 couleurs et le salaire. Et puis ce serait bien le diable si y aura pas de temps en temps des bleus de travail à chourer. Et puisque je me suis cassé le tronc à venir jusque-ici, autant aller au bout !» Et paf ! J’y suis allé. Ben oui, quoi ! Je pouvais pas savoir que ça allait tourner comme ça.

Deuxième partie

Y avait qu’une seule porte qu’avait pas l’air d’être faite pour les ouvriers. D’ailleurs, dessus, y avait écrit « Visiteurs ». J’étais pas vraiment un visiteur, plutôt un futur salarié, mais je l’ai poussée quand même. Derrière, y avait une salle un peu grande, avec au fond un comptoir en demi-cercle, un peu comme celui du Rencart des Routiers-Pas-Sympas sur la N34 à la sortie de Pedzouille-les-Oies, mais en mieux. Au mur à gauche, y avait un grand écran qui débitait des conneries sur les qualités formidables de la Blanchisserie de Ploucville avec des images en boucle de torrents de montagne, de forêts verdoyantes et de couchers de soleil sur l’océan. À vomir… Sur le mur d’en face, un grand tableau, en fait juste une toile blanche, sans rien. Mais y avait un crétin qu’avait foutu trois coups de rasoir dedans, bien nets. Je me demandais comment le gars avait pu faire ça à cette hauteur sans se faire piquer. Mais bon, c’est pas le sujet. A part la toile amochée, tout ça, ça faisait vachement propre et moderne, et on aurait pu penser que derrière le comptoir, ils auraient mis une fille du même tabac, je veux dire genre canon, moderne et tout. Ben non ! C’était peut-être une remplaçante, je sais pas, mais en tout cas, la fille, elle était ni canon ni moderne ni rien. Plutôt genre ménagère de plus de cinquante balais et de plus de quatre-vingt-cinq kilos au Lidl du coin.

« C’est pourquoi ? qu’elle me fait, la grosse vache, en reniflant »

Alors je lui dis que c’est rapport à l’annonce. Alors elle me dit : « Quelle annonce ? Des annonces, on en passe des tas, qu’elle me dit. Comment que j’peux savoir pour laquelle t’es là ? » Et c’est tout juste si elle ajoute pas « Ducon ! » Mais je reste cool et je lui dis que c’est pour « garçon de laboratoire » « Ah ben, fallait le dire tout de suite ! qu’elle me dit. Ne bougez pas jeune homme, je m’occupe de vous. » Alors je dis je bouge pas. Alors elle prend son bigophone : « Monsieur Ratinet, c’est Jessica à la réception ; j’ai un candidat, là… Oui, pour garçon de laboratoire. Je vous l’envoie ?… Très bien, Monsieur Ratinet, tout de suite, Monsieur Ratinet. » Et puis elle raccroche et elle me dit « Porte 3, jeune homme. Monsieur Ratinet va vous recevoir. »

Ah ça ! Y m’a reçu, Monsieur Ratinet. Et pas qu’un peu. Il a commencé par me demander si je voulais pas un café par hasard. Comme il avait pas de bière, j’ai pris le cawa. Ensuite, gentiment, il m’a posé un tas de questions : si j’étais marié : non. Bon !  qu’il a fait. Si j’avais une petite amie : pas en ce moment. Bien ! Si j’avais de la famille : j’y cause plus. Très bien ! Si j’étais en bonne santé : je pouvais encore boire mon pack de six et chanter le Que je t’aime, que je t’aime de Johnny sans me tromper une seule fois. Intéressant, intéressant ! Si j’acceptais d’être logé sur place : ça m’arrangeait plutôt. Impeccable ! Et qui avertir en cas d’accident : j’voyais vraiment pas.

« Parfait, parfait, qu’il a dit à la fin. Vous me paraissez tout à fait qualifié pour être notre prochain garçon de laboratoire. » Putain ! Ça y était ! je l’avais, le job !

Et puis, y m’a demandé si j’avais des questions. Un peu, mon neveu, que j’en avais des questions. D’abord, la paie, combien ? Ensuite, les vacances ? Ensuite, les horaires ? Ensuite, la voiture de fonction ? À part pour la bagnole, les réponses de Ratinet étaient plutôt genre pas croyable.

Après, y m’a demandé si je savais en quoi ça consistait, garçon de laboratoire. Alors j’ai dit que ben oui, à peu près, que fallait porter une blouse blanche et un bic quatre couleurs et faire des analyses des produits de blanchisserie qu’on vous disait, ou des trucs comme ça.

Alors, y m’a dit qu’ah ben non, jeune homme, qu’ici on avait pas besoin de faire des analyses des produits, que c’était qu’une blanchisserie de façade, parce qu’on voulait pas qu’on sache qu’en fait on était un laboratoire spécialisé dans les tests des produits pharmaceutiques et cosmétiques sur le vivant, des rats, des lapins, des moutons, des chiens, de singes etc. «Vous comprenez, qu’y m’a dit, il arrive que les spécimens sur lesquels nous faisons des tests n’en sortent pas en bon état. Il arrive même qu’ils n’en sortent pas du tout. C’est regrettable, mais qu’est-ce que vous voulez, c’est indispensable pour ne mettre sur le marché que des produits absolument sûrs. Et ça, les gens le savent qu’on utilise des animaux et ils n’aiment pas ça du tout. Il y a de nombreuses associations qui protestent, qui manifestent et même des individus qui essaient de mettre le feu aux laboratoires. Alors nous, on dit qu’on est blanchisseurs et on nous laisse tranquilles. Et vous, ça vous gêne qu’on fasse des essais sur des êtres vivants ? »

« Mais pas du tout, M’sieur Ratinet, que je lui ai dit, pas du tout ! Au contraire ! Moi, quand j’étais gosse, j’arrêtais pas de faire des expériences comme vous. Je voulais tout le temps savoir si une sauterelle pouvait sauter si elle avait plus qu’une jambe, ou combien de temps un chien cousu dans un sac pouvait tenir dans l’eau. Je pourrais pas vous dire combien de poissons et de grenouilles j’ai coupés en deux pour voir ce qu’y avait à l’intérieur. Je voulais savoir, savoir, tout le temps savoir. C’est ça la science, non ? Encore aujourd’hui, quand je peux choper un chat, j’ai toujours une expérience à faire, savoir si y retombe vraiment sur ses pattes quand y tombe de huit étages, voir s’il a vraiment neuf vies et tout ça. Alors vous pensez si je suis partant dans un labo comme le vôtre. »

« Parfait, parfait, qu’il a répété, Ratinet. Je suis sûr que nous allons nous entendre. Pourriez-vous commencer dès aujourd’hui ? Oui ? Très bien, parfait, parfait. Maintenant je vais vous prier de bien vouloir lire attentivement ce contrat, et s’il vous agrée, de le dater et de le signer au bas de la dernière page. Et surtout, prenez votre temps ! »

A SUIVRE

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