Un garçon de laboratoire (3/3)

temps de lecture : 5 minutes 

« Parfait, parfait, qu’il a répété, Ratinet. Je suis sûr que nous allons nous entendre. Pourriez-vous commencer dès aujourd’hui ? Oui ? Très bien, parfait, parfait. Maintenant je vais vous prier de bien vouloir lire attentivement ce contrat, et s’il vous agrée, de le dater et de le signer au bas de la dernière page. Et surtout, prenez votre temps ! »

Troisième et dernière partie

Moi, le juridique, c’est vraiment pas mon truc. Et puis quand je lis des choses comme  … de l’exécution des présentes, le salarié s’engage à se conformer aux instructions et directives de l’ensemble des instances dirigeantes et supérieurs hiérarchiques auquel il est… ou comme …Conformément aux dispositions de l’article L1635–1 du Code du Travail, le salarié est informé qu’il bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel avec…, moi ça me fout le tournis et je comprends plus rien de ce que je lis. Alors, j’ai d’abord cherché le montant de la paie dans toute cette paperasse, après, j’ai fait semblant de lire le reste, et puis j’ai dit « Et comment qu’il m’agrée, votre contrat, M’sieur Ratinet ! J’en n’ai jamais vu un qui m’agrée autant que celui-là. Z’avez un stylo ? » et j’ai signé. Ratinet a récupéré son stylo, il a rangé le contrat dans un tiroir, l’air tout content.

Le con ! Il m’avait même pas demandé si j’avais déjà fait ce genre de boulot ou si j’avais un casier, par exemple. Heureusement, d’ailleurs, parce qu’un casier, j’en ai un. Oh ! pas pour des trucs bien-bien graves, mais plutôt nombreux-nombreux, les trucs. Et pour ce qui était de mes connaissances dans le domaine, ça m’aurait embêté de lui dire que si je savais reconnaitre un rat d’un lapin, c’était bien le bout du monde. Mais je me disais que j’arriverai toujours à me débrouiller pour savoir dans quelles bestioles il faudrait que j’injecte toutes leurs saloperies. Je sais lire, quand même ! De toute façon, maintenant, j’avais signé, il avait signé, j’étais pénard.

« Bien, maintenant, il me fait, si vous voulez bien, je vais vous montrer votre lieu de travail. » « À vos ordres, chef ! que je lui ai répondu en me mettant au garde-à-vous, manière de plaisanter, juste pour lui montrer tout de suite que c’était pas parce qu’il était mon boss que je pouvais pas le charrier un peu.» Non mais sans blague !

On a pris un ascenseur, troisième sous-sol, et on est entré dans une grande salle bien éclairée. Y avait un long couloir central avec des cages de chaque côté, des cages empilées les unes sur les autres, des cages de toutes les tailles, bien propres, avec accrochées dessus une étiquette et une feuille de notes, et dans chaque cage, une bestiole… un rat, un chien, un pigeon, un lapin, encore un lapin, un chat, deux écureuils, un singe… Y avait même une grande cage avec un cheval dedans, ou un âne, je sais pas.

« C’est ici que nous gardons nos spécimens sous étude, qu’il me dit. »

« C’est là que je vais bosser, alors ? je lui demande. » « Pas tout à fait, qu’il me dit. Vous, c’est un peu plus loin ; d’ailleurs, nous y arrivons. » Et moi, comme un con, je lui sors « Ah ? Eh ben, j’ai hâte de voir mon bureau ! » Mais comment je pouvais savoir que ça allait tourner comme ça ?

Ratinet, il a pas dû entendre ce que je disais, parce qu’il a poussé la porte en grillage qu’était au fond, au bout du couloir des cages, et y m’a dit « Après vous… ». Alors je suis entré dans mon bureau, une petite pièce, aussi éclairée que la grande salle, avec un sommier en fer, un lavabo et un WC, point à la ligne ! Pas d’ordinateur, pas de téléphone, pas de table, pas de chaise, pas de matelas, rien ! Pendant que je regardais ça, j’ai entendu le bruit de la porte qui se verrouillait. Je me suis retourné : y avait Ratinet qui me regardait. Je lui ai dit : « Mais c’est pas un bureau, ça ! » Alors y m’a dit « Mais pourquoi voudriez-vous que ce soit un bureau ? Est-ce qu’un lapin de laboratoire à un bureau ? Un chien de laboratoire, peut-être ? Pas davantage. Alors pourquoi un garçon de laboratoire aurait-il un bureau ? Je vous le demande ! »

Je savais plus quoi dire, mais c’est sorti tout seul : « Ah ! mais ça va pas du tout, ça ! Je veux pas, je refuse, je suis pas d’accord, je boycotte, j’objectionne, je dis non non non et non ! C’est pas un bureau, c’est… une cage !… Merde, c’est une cage, c’est vraiment une cage ! » Alors y a Ratinet qui me sort : « Oh, vous savez, les mots… Ici, nous préférons dire une loge, c’est plus neutre, vous ne trouvez pas ? Et puis, ne vous plaignez pas, la loge 340 est la plus spacieuse de tout l’établissement ! Bon, je vous laisse, j’ai une conf-call dans dix minutes avec le Président Wells qui est à Shanghaï. Le Docteur Moreau viendra vous examiner demain matin avant de commencer votre première série de test. Bonne nuit, mon garçon. » Et il est reparti dans le couloir.

 « Eh ! Oh ! Vous allez pas me laisser là, quand même !… Eh ! Faut me sortir de là ! Oh ! S’il vous plait… Laissez-moi sortir ! Attendez, attendez, M’sieur Ratinet ! Ne partez pas tout de suite, faut qu’on reparle de mon contrat ! Eh ! Oh ! N’éteignez pas la lumière ! Pourquoi vous éteignez la lumière ? Eh ! M’sieur Ratinet ? M’sieur Ratinet ? Vous êtes là, M’sieur Ratinet ? »

A un moment, j’ai fini par arrêter de gueuler. De toute façon, y s’était barré, Ratinet. Y avait plus que les autres spécimens pour m’entendre.

FIN

2 réflexions sur « Un garçon de laboratoire (3/3) »

  1. Où l’on apprend que Ratinet réapparaît dans un nouveau métier. Un véritable passepartout ce Ratinet. Faudra un jour nous écrire la carrière extraordinaire de Monsieur Ratinet.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *