(…) Il y a longtemps que le propriétaire de Gisèle ne l’écoute plus. Il est reparti vers la table où ses deux compères l’accueillent avec des plaisanteries que Bernard n’entend pas. Ils éclatent de rire encore une fois puis se saluent en heurtant leurs poings fermés. Le bon Samaritain se dirige vers la porte qui s’efface devant lui, amenant un grand courant d’air froid dans la cafétéria surchauffée. Les emballages de sandwiches s’envolent de la table de Gustave qui hurle « Robert ! La porte, nom de Dieu ! » et éclate de rire encore une fois. Sans se retourner, Robert lui fait un doigt d’honneur et disparaît dans un tourbillon de neige. Le vent s’est levé et maintenant, devant la vitrine, les flocons volent à l’horizontale.
Bernard s’agite. Il se soulève un peu de son fauteuil en s’appuyant péniblement sur les accoudoirs — douleur. Son pantalon encore humide se décolle de ses cuisses comme à regret. Aussitôt, un froid humide enveloppe son entre-jambe. La sensation est extrêmement désagréable. Il se lève, sa veste pèse sur ses épaules et sa chemise vient adhérer à sa poitrine. Sous le contact poisseux, il frissonne. Il essaie d’enfiler ses mocassins. Ils ont perdu une pointure et leur cuir ressemble à du carton froissé. Bernard passe une première manche de son manteau sans trop de difficulté mais, à la deuxième, son bras meurtri se rappelle à lui encore une fois — douleur… Le vêtement lui semble peser autant qu’une cotte de maille. Bernard a mal aux pieds, il a mal au bras, il est épuisé, trempé, fiévreux. Pourtant il n’y pense plus. Tout ce qu’il sait c’est qu’il y a un camion qui l’attend, avec son routier sympa, son habitacle surchauffé, probablement son Thermos de café et, pourquoi pas même — il sait que beaucoup de semi-remorque en sont équipés — sa couchette accueillante à l’arrière de la cabine. Il a réussi à enfiler ses mocassins en écrasant Continuer la lecture de Gisèle ! (10)