Archives mensuelles : juillet 2017

¿ TAVUSSA ? (29) Une justice indépendante, pour quoi faire ?

Le Syndicat de la Magistrature réclame à cors et à cris l’indépendance de la justice. Et les bonnes âmes des justiciables qui s’ignorent encore entonnent en chœur : « Indépendance de la justice ! Indépendance de la justice ! » Indépendance, indépendance, toujours plus d’indépendance. Mais, pourquoi faire, au fond ? Pour que les juges puissent décider tranquillement et sereinement de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ? Mais non, bien sûr ! C’est pour décider tranquillement et syndicalement de ce qui leur parait équitable et de ce qui ne le leur parait pas.

Équité, justice, me direz-vous, c’est la même chose. Eh bien, non ! Et c’est là où je vous attendais.

Pour les juges du S.M., oui, c’est la même chose, et en jugeant en équité, ils ont probablement l’impression de faire œuvre de justice. C’est en tout cas ce que leur a appris le procureur Baudot dans son discours de 1974 dont j’avais reproduit ici quelques extraits.  (1)

En tordant un peu leurs attendus comme le leur conseillait Monsieur Baudot, ils veulent compenser les inégalités de la vie. En prenant à l’envers la morale du fabuliste —Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour…— en contredisant le précepte romain (certainement) et même stoïcien (je n’en suis pas sûr) —à chacun selon son dû— en appuyant d’un côté sur le fléau de la grande dame au bandeau, ils sont persuadés de faire le bien. Et peut-être le font-ils, d’ailleurs, mais est-ce ce qu’on le leur demande ? Est-ce à ces petits hommes (et femmes) et à leurs petits préjugés musclés qu’on doit confier la compensation des inégalités ? Doit-on donner à ces gens, qui ont déjà de grands pouvoirs, le pouvoir plus grand encore de façonner la justice selon leur humeur, leur pitié ou leur détestation ?

A quoi sert une justice indépendante si elle est capricieuse ?

L’indépendance seule est un déguisement, à la rigueur un habit de moine.

L’essentiel pour la justice n’est-il pas plutôt d’être impartiale ?

Avec l’impartialité, l’indépendance viendra d’elle-même. (2)

Notes

  • 1-Les extraits cités sont bien trop choquants pour que je les reproduise ici. Mais si vous voulez vraiment les lire une fois de plus, cliquez donc ICI.
  • 2-A lire et écouter les journalistes, j’ai constaté que, quand on aborde un domaine qu’on connait mal, par exemple en ce qui me concerne le Droit ou la Philosophie, on est forcément amené à dire des bêtises. Bon, d’accord ! C’est regrettable et qu’on veuille bien m’excuser. Mais c’est quand même pas une raison pour fermer sa gueule !

Figures de style

Voici quelques figures de style, fort utiles pour briller en société. On en trouvera la définition, l’effet recherché ainsi qu’un exemple d’application pris au hasard.

La métonymie Pour désigner un être ou un objet, on utilise le nom d’un autre qui lui est proche : son contenant, sa cause, son origine, son instrument, son symbole, etc. Permet une désignation plus imagée et une concentration de l’énoncé. Effet de condensé. La France en avait plein les urnes.
La synecdoque Pour désigner un être ou un objet, on utilise un mot qui désigne une partie de cet être ou de cet objet, ou la matière dont il est fait. Donne une vision fragmentée de la réalité ; frappe, surprend par sa forme concentrée. Et François s’endormit sous les ors de la République.
La périphrase Pour désigner un être ou un objet, on utilise une expression qui remplace le mot précis. Permet d’éviter une répétition et crée une attente, un mystère ; permet de souligner une qualité. Et l’ancien Secrétaire du Parti Socialiste prit la décision de ne pas en prendre.
L’antiphrase On exprime le contraire de ce que l’on pense, tout en ne laissant pas de doute sur ce que l’on veut faire comprendre. Figure de l’ironie, l’antiphrase crée une complicité avec le destinataire et permet la critique moqueuse. Ce Pingouin, quelle élégance, quelle prestance, quelle classe !
L’hypallage On attribue à certains mots d’une phrase ce qui convient à d’autres. Crée une discordance, un mystère, une surprise. Rapproche des réalités distinctes. Il avait l’allure d’un Pingouin de Corrèze et les troubles pensées volatiles et glaciales d’un Rastignac de Banquise.
L’euphémisme On emploie à la place d’un mot un autre mot ou une expression pour atténuer son sens. Dissimule une idée brutale, désagréable ou jugée inconvenante. Le quinquennat de Hollande fût un contretemps regrettable.
La litote On dit le moins pour suggérer le plus. On utilise une tournure moins directe, souvent négative. Permet d’exprimer implicitement plus qu’il n’est dit ; renforce l’idée Je n’adore pas l’humour du Président.
L’anaphore On répète un mot ou une expression en début de vers, de phrase, de membre de phrase ou de paragraphe. Rythme le texte, souligne un mot, met l’accent sur un idée pour exprimer une obsession, ou pour convaincre. Moi président, j’aurais au moins laissé ce mot dans toutes les mémoires : anaphore
Le parallélisme On utilise une construction syntaxique semblable pour deux énoncés. Met en évidence une similitude ou une opposition. Rythme la phrase. Tandis qu’il y a cinq siècles, Monsieur de Commynes  écoutait avec respect Louis XI raconter ses manœuvres et ses victoires, hier encore, Messieurs Davet et Lhomme du Monde écoutaient avec malice François Hollande raconter ses états d’âme et ses vantardises. 
La gradation On fait se succéder des termes d’intensité croissante ou décroissante. Produit un effet de grossissement ; peut tendre à l’hyperbole. C’est un niais, c’est un âne, c’est un pitre !

Que dis-je, c’est un pitre ? C’est un gros ridicule !

L’énumération Succession de termes ou de groupes de mots Donne une impression de quantité ou de grandeur. Amplifie la réalité. Adieu fanfares, honneurs, amis, maitresses, personne n’écoutera plus mes blagounettes, mes confidences, mes rodomontades, car je rentre à Tulle.
L’allitération On répète de façon insistante un son . La répétition d’un son vocalique (voyelle) est en général appelé assonance. Donne un effet musical, rythme le texte, peut suggérer un bruit, une émotion. La guerre de succession socialiste, c’est pour ce soir, ça c’est sûr.
L’hyperbole On emploie de termes trop forts, exagérés et des procédés divers de renforcement (superlatifs, comparaisons, etc.) Grossit la réalité, la met en valeur. Peut-être familière ou épique. Peut servir à la parodie. La disparition du Parti Socialiste est un cataclysme sismique.

 

L’antithèse On emploie des termes contraires à l’intérieur d’un même énoncé. Souligne un conflit d’idées ou de sentiments, crée un contraste. Hollande était un faible, c’est en cela qu’il était fort.
L’oxymore Deux termes évoquant des réalités contradictoires sont unis dans un même groupe de mots. Exprime ce qui est inconcevable, crée une image poétique nouvelle. Surprend. Le parler vrai du Président : un vrai mensonge ? une fausse vérité ?
Le chiasme Dans deux énoncés symétriques, le deuxième reprend les termes du premier en les inversant. (double parallélisme croisé) Souvent lié à l’antithèse, attire l’attention sur des oppositions. Ou souligne l’union de deux réalités. Que l’espoir était grand !

Que l’homme était petit !

La comparaison Rapprochement de deux réalités au moyen d’un terme de comparaison. Le comparé et le comparant possèdent au moins une caractéristique commune qui justifie la comparaison. souVolonté de rapprocher deux éléments appartenant à des domaines différents. Création d’images insolites, apparition de rapports originaux et souvent cachés. Il était con comme un balais.
La métaphore Idem, mais sans terme de comparaison. Si plusieurs métaphores sur le même thème se succèdent, on l’appelle métaphore filée. Idem mais forme plus condensée ; parfois énigmatique ; peut devenir figée (cliché) Arrivé comme un courant d’air  par la porte de service, reparti comme un pet sur une toile cirée.
La personnification On prête à un objet, à un être inanimé ou à un animal des comportements ou des sentiments humains. On peut aussi faire d’une abstraction un personnage. Idem (c’est un cas particulier de métaphore)  Tandis que Matignon dormait sous Ayrault, l’Elysée rêvait sous Gayet.
L’allégorie Représentation concrète d’une abstraction sous différents aspects, dans une mise en scène vivante. Figure proche de la personnification, avec une dimension symbolique. Crée des images, rend plus accessibles des notions abstraites. A une force de persuasion. Oh, mon beau pédalo,

Oh, mon joli scooter,

Toi, mon char de l’Etat,

Mon vélo pour Cythère.

L’ellipse On supprime des termes qui seraient nécessaires pour que la construction soit complète. Enoncé dense, car chargé de tout ce que le lecteur peut imaginer. Rapidité (style télégraphique, petites annonces, style  » bébé « , etc.) Parti socialiste décédé. Merci François. Regrette ne pouvoir assister à enterrement.

Signé : François.

L’anacoluthe Rupture de construction syntaxique. Défaut fréquent du langage parlé. Peut être voulue et expressive. Effet de surprise, de rupture. La femme de ménage, si elle eut été un homme, le flou de Corrèze n’aurait été président.
Le zeugma On réunit plusieurs groupes de mots au moyen d’un élément qu’ils ont en commun et qu’on ne répètera pas. On peut unir un terme abstrait et un terme concret, de façon inhabituelle. Rapidité, condensation de l’énoncé. Effet de surprise si alliance inhabituelle : peut renouveler une expression stéréotypée. Des écologistes, il en prit dans son gouvernement et en plein dans la gueule.

 

Arma virumque

Morceau choisi

Je prends deux caractères d’imprimerie, A et R, je les mets dans une boite, je les laisse couler par une petite fente qui n’en peut admettre qu’un à la fois. Ils ne peuvent s’arranger que de l’une de ces manières, AR, RA ; car ces lettres n’ont que deux combinaisons différentes. Je puis parier sans désavantage un contre un que le hasard me fera rencontrer la syllabe AR, qui est la première de l’Enéïde. Mais si je veux me procurer une très grande probabilité d’obtenir la syllabe AR par un jet fortuit, je n’ai qu’à demander que la tentative soit répétée un million de fois. Je pourrai gager que le hasard me donnera au moins une fois la syllabe AR. Il n’est pas absolument impossible, mais ce serait grande merveille, que la syllabe RA revint un million de fois tout de suite.

Prenons maintenant les quatre lettres du premier mot de l’Enéïde, ARMA. Les quatre lettres ont vingt-quatre combinaisons différentes. Il y a vingt-trois à parier contre un que je n’obtiendrai pas la combinaison Arma, puisqu’il y a vingt-trois combinaisons différentes. Mais en vingt-trois reprises, le pari devient égal ; et si l’on m’accorde un million de fois vingt-trois reprises, je puis obtenir du hasard au moins une fois la combinaison Arma.

Prenons ensuite les douze lettres ARMA VIRUMQUE. Ces douze lettres peuvent se combiner de près de 120 millions de manières différentes. Il y a donc 120 millions à parier contre un qu’en ballottant ces douze lettres, le hasard ne les fera point sortir dans l’ordre arma virumque. Mais en 120 millions de reprise, l’égalité du pari revient. Et en un million de fois 120 millions de reprises, je parie d’obtenir ce qui paraissait d’abord chimérique.

S’agit-il après cela du vers entier, Arma virumque cano Trojae qui prius ab oris ; s’agit-il même de l’Enéïde ? La probabilité que le hasard ne fera point sortir ces lettres dans l’ordre qu’elles ont dans l’Enéïde est immense. Mais enfin c’est un nombre fini. Si l’on fait cent mille millions de millions de fois la tentative, le prodige ne serait point que le hasard rencontrât l’Enéïde ; le prodige serait qu’il ne le rencontrât pas.

Si donc il y avait une infinité de roues d’où sortissent perpétuellement des caractères d’imprimerie, ou bien une seule d’où il en fût sorti de toute éternité, il y aurait une probabilité infinie, c’est-à-dire une certitude entière que le hasard en aurait fait sortir l’Enéïde.

A.P. Le Guay de Prémontval – Vus philosophiques – 1757

Si Virgile avait su cela, il ne se serait surement pas donné tout ce mal. 

Les Nouvelles Aventures de William Shakespeare (2)

Il y a exactement 422 ans, le 24 Juillet 1595, William Shakespeare rencontrait Christopher Marlowe pour la première fois. Cette rencontre historique, soigneusement organisée par le hasard (car il tenait à bien faire les choses), se tint à l’auberge du Cygne et de la Couronne (1) sur la rive gauche de la Tamise dans les environs de Londres. Les deux hommes déjeunèrent d’un bouillon de poulet au gingembre, d’un rôti de dinde accompagné de ses salsifis et de sa sauce gravy et de vin d’Anjou (2). Au bout de trois heures de ripailles, William quitta la table précipitamment car il voulait arriver  à l’heure au Globe Theater où il tenait un rôle de hallebardier bègue dans une comédie lamentable et en latin de Sebastian Wescott.  C’est alors que Marlowe fit cette sortie restée dans toutes les mémoires :

—Eh oui ! Etre ou ne pas être en retard, voilà la question !

Plus tard, William affirma qu’il n’avait pas entendu la remarque de Marlowe, prétendant qu’il était déjà sorti de l’estaminet quand Christopher l’avait prononcée.

La réponse de Marlowe ne se fit pas attendre :

—Mon œil ! dit-il d’un air prémonitoire (3)(4).

Notes

1- En 1592, l’Auberge du Cygne et du Marteau était la propriété d’Arnie « Doubledeck » Guttentag, qui mourut subitement l’année suivante de la chute d’une souche de cheminée. Une exhumation récente de son corps, financée par la S.C.C.W.S.Q. (Société des Coupeurs de Cheveux de William Shakespeare en Quatre), a permis de découvrir qu’Arnie « Doubledeck », contrairement à ce que la S.F.H.A.W.S. (Société des Faiseurs d’Histoires autour de William Shakespeare) prétendait depuis près de quatre siècles, n’avait pas reçu la cheminée sur la tête, mais qu’elle était tombée si près de lui qu’il en avait fait un arrêt cardiaque, ce que laissait présager son embonpoint, déjà souligné par son surnom de Doubledeck. Malgré l’énorme intérêt de cette découverte, qui permit notamment de mettre un terme à la dispute séculaire qui régnait entre la S.F.H.A.W.S. et le Département de Médecine Cardiovasculaire de l’Université d’Oxford (D.M.C.U.O.), elle demeura totalement ignorée du grand public, et c’est tant mieux !  En 1598, l’auberge fut reprise par son neveu, Audrey « Baldie » Fitzgarlic. Il rebaptisa aussitôt l’établissement du nom d’ « Auberge du Cygne et de la Cheminée ». Les spécialistes considèrent aujourd’hui que c’est principalement ce changement de raison sociale qui entraina la faillite rapide de l’Auberge, ça et le fait qu’Audrey « Baldie » Fitzgarlic avait tendance à servir sa bière allongée d’eau et beaucoup trop froide. L’emplacement du Cygne et de la Couronne est aujourd’hui occupé par un magasin spécialisé dans la vente de livres et accessoires érotiques et dont l’enseigne proclame « Come and get it, you dirty you ! » Depuis trois ans, la S.I.C.P.A.S.U.A (Société Immobilière pour la Conservation du Patrimoine de l’Aigle de Stratford Upon Avon) est en négociation avec le propriétaire de « Come and get it, you dirty you ! » pour racheter l’ancienne Auberge du Cygne et du Marteau dont les murs résonnent encore des paroles prononcées par les deux géants de la littérature élisabéthaine.

2- Le menu complet de ce déjeuner et les quantités absorbées figurent dans l’opuscule de Sir Willoughby Crumblethorn (1853-1954) : « What Shakespeare really ate »

3- Tout le monde sait que Christopher Marlowe mourut moins d’un an plus tard d’un coup de couteau dans l’œil. Ah bon ? Vous ne le saviez pas ?

4- De l’éditeur à l’auteur : merci de préciser ce qu’est un air prémonitoire et comment on fait pour le prendre.

Du feuilleton au roman, de la série au film

Un feuilleton policier fait rarement un bon roman. La suite au prochain numéro : l’effet repose là-dessus. Parce que les chapitres sont réunis en volume, ces moment de faux suspense deviennent simplement irritants.
Raymond Chandler – Lettres –  1962 – Christian Bourgois Editeur

Remplacez feuilleton policier par « série », n’importe laquelle, remplacez « roman » par « film » et vous aurez toujours une vérité.

A propos de frontières

Marie-Claire                                                                       

Je suis un voyageur immobile : les mûrs de mon petit chez-moi sont tapissés d’affiches, je possède une multitude de guides touristiques, des tonnes d’horaires de trains et d’avions, des monceaux de catalogues d’agences de voyages. Et pourtant, je ne bouge pas. Et je n’ai pas de passeport. Ma vie de vieux garçon s’est enroulée sur elle-même, même lieu, même travail et si peu de gens autour.
Mais voilà, un beau jour, quelqu’un est venu violer ma forteresse !
La première fois, elle a frappé trois petits coups discrets, si discrets qu’ils ne m’ont pas vraiment inquiété. J’ai donc ouvert.
Elle était là, blonde, frêle, l’air un peu gêné, je ne devais pas paraître aimable, je n’ai pas l’habitude des visites- surprise.
Elle a dit :

—Excusez-moi, il n’y a plus d’électricité chez moi et je me demandais si tout l’immeuble était en panne. Mais je vois bien que non, vous avez une lampe allumée !

—Ca doit être votre disjoncteur, il a probablement sauté.

Elle ouvrait ses grands yeux bleus, se dandinait, visiblement ça ne lui disait rien un disjoncteur. Continuer la lecture de A propos de frontières