Archives mensuelles : octobre 2016

Les sept mercenaires (Critique aisée 80)

Critique aisée n°80
Les sept mercenaires
Antoine Fuqua – 2016
Denzel Washington, Ethan Hawke

Tout d’abord, il y eut Akira Kurosawa qui, d’après un scénario qu’il avait écrit lui même, nous donna en 1954 « Les sept samouraïs ».

Dans une ambiance médiévale, japonaise et extrêmement boueuse, un village de pauvres paysans, mis à chaque saison en coupe réglée par une bande de brigands, veut se défendre en engageant des mercenaires, en l’occurrence des samouraïs en mal de seigneur. Outre le prologue, le film comporte quatre parties principales : la rencontre des paysans et du premier samouraï et la sélection de ses six compagnons, la préparation du village et des villageois à la prochaine venue des brigands, la première bataille victorieuse, et enfin la trahison d’un villageois au profit des brigands suivie aussitôt du retour des samouraïs et de la victoire finale. D’une première version de plus de trois heures, le film a été réduit à deux heures et demie pour des raisons d’exportation. Ce film est un des meilleurs films d’action de l’histoire du cinema et il connut un très grand succès tant auprès de la critique que du public. Violent sans excès, avec des pointes d’humour et de poésie de temps en temps, le film était porté par quelques excellents acteurs dont le favori de Kurosawa, Toshiro Mifume.

En 1960, le metteur en scène américain John Sturges reprend le film de Kurosawa. Il le transpose dans un univers fin dix-neuvième siècle, mexicain et poussiéreux et le nomme « The magnificent seven » traduit par « Les sept mercenaires ». Sturges raccourcit la durée d’une trentaine de minutes, mais il conserve l’histoire, les personnages, le découpage et même quelques répliques. Il supprime la pluie et la boue et la remplace par le soleil et la poussière, il ajoute quelques chevaux et se permet quelques très belles scènes comme la chevauchée des brigands à l’attaque du village ou la fête des paysans. Il faut admettre que, pour l’acteur principal, Sturges n’avait pas choisi le meilleur du moment : Yul Brynner. Mais son jeu raide et figé colle assez bien avec le personnage du chef des samouraïs. Par contre il est entouré d’acteurs débutants ou presque, McQueen, Bronson, Coburn, impressionnants et d’acteurs confirmés ou presque, excellents, Vaughn, Wallach…, même Hortz Buchholz, agaçant au début, ne s’en tirait pas mal vers la fin. Ajoutez à cela une musique d’Elmer Bernstein, qui donne envie de chevaucher en sautant des clôtures. Wikipedia dit que Kurosawa était très satisfait du remake de son film. Je le comprends.

Et maintenant, c’est un autre américain, Antoine Fuqua, qui s’y colle. Il place le film dans un autre lieu, il conserve la même époque, presque la même histoire, presque les mêmes personnages, presque … presque…

Mais c’est raté. Il a pourtant choisi deux très bons acteurs américains, Denzel Washington et Ethan Hawke. Mais on ne peut pas dire que Denzel soit à son aise (D’ailleurs, il commence à m’énerver, Denzel, à ne plus tourner que des âneries ). On en viendrait à regretter Yul Brynner. Ethan Hawke s’efforce de faire le dur torturé par la peur, mais ça ne colle pas. Les autres acteurs sont inexistants, aussi bien mercenaires que villageois, des archétypes juste bon à tirer beaucoup de coups de revolver. Il y a même le personnage ridiculement incongru d’une jeune et jolie veuve qui vient faire le coup de feu en profond décolleté. A aucun moment on ne s’attache aux personnages, ne serait-ce qu’à un seul d’entre eux. Qu’ils meurent ou pas, on s’en fout. Les scènes de sélection des mercenaires, essentielles chez Kurosawa et Sturges, sont bâclées, en particulier celle du duel du lanceur de couteau. (La même scène dirigée par Sturges et jouée par James Coburn était un chef d’œuvre de tension et de simplicité).

Les paysages sont quelconques, l’humour inexistant et la musique tonitruante, ponctuée d’énormes coups de percussion sans objet ni raison.

Il y a beaucoup de mouvements de grue, vers le haut, vers le bas, sur le côté, mais pas d’ampleur ou d’élan dans les mouvements. Il y a aussi énormément d’impacts de balles et de flèches (assez bien faits ceux-là, je dois dire), beaucoup de corps qui tombent, de cheval, de chariots, de toitures, de clochers…(mais là, c’est normal, c’est un western)

Au total, un remake inutile, un western sans envolée, une histoire sans émotion.

Ah, si ! Une émotion ! Au début du générique de fin, surgit la magnifique musique du western de 1960, la musique de Bernstein. On est ému, parce que, un instant, on croit que le film de Sturges va commencer.

Ah ! J’oubliais : je dois ici remercier le gérant du cinema UGC Odéon qui, malgré une panne de billetterie électronique, m’a permis d’assister gratuitement à la séance de 13heures de ce film.
C’est déjà ça.

Chronique des années passées – 1

Chronique des années quarante

1 – La sucette à la framboise

Pour entrer dans la boutique blanche du 20 boulevard de Port-Royal, il faut monter trois marches en pierre et pousser la porte qui tinte de ses trois petits cylindres suspendus.
Les sucettes Pierrot Gourmand sont plantées dans le crâne du clown en plâtre blanc, comme les  plumes sur la tête d’un chef indien.
Monsieur Martini est tout rose dans sa blouse blanche.
Il relève la tête au-dessus des bocaux rouge, jaune et bleu, mais aussitôt, il se retourne vers ses étagères de toutes les couleurs.
Il sait qu’avec ce client-là, il ne faudra pas poser de question, ni même lui parler.
Il sait qu’avec ce client-là, ce sera toujours une sucette à la framboise.
Mais il vaut mieux faire semblant de ne pas le savoir.
Il vaut mieux faire semblant de ne pas le voir.
Il faut attendre. Il attend.
On a tiré sur le bas de sa blouse blanche, deux fois.
Il se retourne et s’étonne : « Ah ! C’est toi ! Tu sais que tu m’as fait peur ? »
Le client rit : « Mais, c’est moi, Monsieur Martini !  »
-Et aujourd’hui, ce sera ?
-Une sucette, s’il vous plait, Monsieur Martini. A la framboise. Celle-là !
Monsieur Martini retire la sucette du crâne de Pierrot.
-C’est dix francs.
Le client donne sa pièce et sort.
Comme chaque jour, le chef indien a perdu une plume.
Violette.

How to share a cab

People say New Yorkers can’t get along. Not true. I saw two New Yorkers, complete strangers, sharing a cab. One guy took the tires and the radio; the other guy took the engine.

David Letterman

On dit que les New Yorkers sont incapables de s’entendre. Faux. J’ai vu deux New-Yorkers, parfaitement étrangers l’un à l’autre, partager un taxi. L’un d’eux a pris les pneus et la radio, tandis que l’autre prenait le moteur.

Cours de mythologie 1ère année-Leçon 7

Orphée, la fin
ou
Je chante, je chante soir et matin,  / Je chante sur mon chemin…

– Ô Muses, raconterai-je ici comment Orphée tenta de ramener au jour sa défunte épouse, comment il parvint à séduire les riverains du Styx pour parvenir jusqu’à sa belle et comment il convainquit Hadès de la laisser partir ? Dirai-je l’hypocrite condition imposée par Hadès et l’impatience coupable d’Orphée qui tuèrent Eurydice une seconde fois ? Chanterai-je l’immensité du chagrin d’Orphée, errant parmi les plaines herbeuses et psalmodiant sa peine aux belles cavales qui les broutent ?

Bon, écoute, le Poète, là, tout de suite, on n’a pas le temps ! Et puis, on la connaît déjà par cœur ton histoire. Tu l’as même publiée ici même, il n’y a pas si longtemps. Alors, maintenant, ça va comme ça !

– Vous êtes sûres ?

Certaines !

– Bon, d’accord ! Mais est-ce que je vous ai raconté la suite ? Laissez-moi au moins vous raconter la suite ! Vous verrez, c’est très beau et pas très long. S’il vous plaît…

Si ça peut te faire plaisir ! Mais parle dans cette belle langue concise du pays des Lacédémoniens, la Laconie.

– Ouais…! Super ! Eh bien, voilà : Eurydice est définitivement défunte et Orphée momentanément triste. Il se console en trouvant une place de prêtre dans un temple d’Apollon en Macédoine. De sa voix sublime, accompagné de sa lyre merveilleuse, il chante les louanges du dieu des Arts qui lui fournit le gîte et le couvert. Dionysos, dieu de la vigne et de la folie, en est jaloux. Il ordonne aux Ménades, ces femmes déchaînées qui le suivent toujours en cortège, de le venger. Orphée et les maris des Ménades se rassemblent dans le temple d’Apollon pour y prier. Les furies y pénètrent. Elles tuent tous leurs maris et mettent Orphée en pièces. Elles jettent sa tête dans le fleuve. Mais la tête flotte et continue à chanter jusqu’à Lesbos. Recueillie par les Muses, on l’installe dans une caverne où elle chante des oracles sans discontinuer. Cela agace Apollon qui se met debout sur la tête d’Orphée et lui dit :  » Cesse donc de te mêler de mes affaires, il y a trop longtemps que je te supporte, toi et tes chants !  »
Vexée, la tête se tut.
Et moi aussi.

Ça va ? C’était suffisamment laconique ?

NDLR. Cette histoire, absolument véridique, est rapportée par Robert Graves dans son énorme ouvrage, « Les Mythes Grecs » ‘1125 pages, Le Livre de Poche)

R.Graves est également l’auteur d’un livre qui m’enchante chaque fois que je le lis : « Moi, Claude, empereur ». Un jour, il faudra que je vous en parle un peu plus.

Contrôle des connaissances :
– quel est, en Attique, le montant du salaire horaire d’une femme de Ménade ?