Archives de catégorie : Citations & Morceaux choisis

Bourlanges s’en va

(…) Les démocraties européennes sont confrontées à une situation d’une gravité inédite, caractérisée par l’hostilité convergente de deux puissances, et non plus d’une seule : la Fédération de Russie et les États-Unis d’Amérique. Face à ces deux menaces, qu’avons-nous fait ? Alors que nous avons un produit intérieur dix fois supérieur à celui des Russes, nous avons été incapables, en trois ans, de mettre simplement les Ukrainiens à parité d’armes et de munitions avec leur agresseur. Songez que sur exactement le même laps de temps, les Américains, dont l’armée était bien peu de chose en décembre 1941, ont bâti une force capable de gagner la guerre en Europe et dans le Pacifique. Il est inadmissible que nous n’ayons aujourd’hui ni la volonté ni les moyens d’assurer vis-à-vis de l’Ukraine la relève d’une Amérique défaillante.(…)
(Extrait du discours de remerciement de Jean-Louis Bourlanges prononcé le 5 septembre à l’occasion de la remise de ses insignes d’officier de la Légion d’Honneur.)

Inquiétant, le discours de cet homme si fin, si cultivé, si spirituel et, à présent, si désabusé. La seule existence Continuer la lecture de Bourlanges s’en va

Les débuts de Proust et de Flaubert

C’est le programme minimum de l’été, alors, on rediffuse :

C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar.

Avec le « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » du petit Marcel, « C’était à Mégara… » est probablement l’incipit le plus connu de la littérature française. C’est celui du roman Salammbô de Gustave Flaubert.
Je ne vais pas disserter sur cette œuvre puissante et surtout pas tenter de la comparer à la Recherche du temps perdu. D’abord parce que ces deux romans sont incomparables, y compris entre eux. Ensuite parce que je ne suis carrément pas au niveau et, dans ces cas là, j’aime bien dire que je n’ai pas les outils.
Je voudrais simplement faire remarquer les différences qui existent pour moi entre ces deux magnifiques phrases d’entrée qui ne font d’ailleurs que refléter les différences fondamentales de nature entre les deux œuvres.
Avec l’incipit du petit Marcel, vous entrez dans son roman (on dirait aujourd’hui autofiction) par une petite porte, la fragile petite porte du fond du jardin de la maison de Combray, la délicate petite porte de la mémoire. La phrase est courte, simple et inattendue, surtout quand elle suit un titre aussi explicatif que « A la recherche du temps perdu ». Vous êtes tout de suite dans l’intimité du Narrateur qui, avec cette phrase d’introduction, commence à vous expliquer comment chaque soir il se couchait de bonne heure sans pouvoir s’endormir avant que sa mère ne vienne l’embrasser. Avec les trois mille pages qui suivent, vous saurez tout de lui.
Le grand Gustave ouvre Salammbô avec une phrase solennelle : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar« . On est au cinéma, l’hymne de la Twentieth Century Fox vient Continuer la lecture de Les débuts de Proust et de Flaubert

Les chiens de guerre

C’est le programme minimum de l’été.

Alors, on rediffuse : 

Mars 44 avant JC.     César vient d’être assassiné.    Antoine, ami de César, est seul dans le théâtre de Pompée. Il contemple le corps de César et annonce la guerre civile.

…La malédiction va fondre sur la tête des hommes ; les fureurs intestines, la terrible guerre civile vont envahir toutes les parties de l’Italie. Le sang, la destruction seront des choses si communes, et les objets effroyables deviendront si familiers, que les mères ne feront plus que sourire à la vue de leurs enfants déchirés des mains de la guerre. Toute pitié sera étouffée par l’habitude des actions atroces ; et conduisant avec elle Até, sortie brûlante de l’enfer, l’ombre de César promènera sa vengeance, criant d’une voix puissante dans l’intérieur de nos frontières : Carnage ! Et alors seront lâchés les chiens de la guerre, jusqu’à ce qu’enfin l’odeur de cette action exécrable s’élève au-dessus de la terre avec les exhalaisons des cadavres pourris, gémissant après la sépulture.
Shakespeare (Jules César)

On n’est jamais sûr de rien

C’est le programme minimum de l’été.

Alors, on rediffuse : 

Gore Vidal, à qui l’on demandait ce qui se serait passé si c’était Khrouchtchev et non Kennedy qui avait été assassiné en 1963, répondit:
« Avec l’Histoire, on n’est jamais sûr de rien, mais je crois que je peux dire sans risque qu’Aristote Onassis n’aurait pas épousé Madame Khrouchtchev »
Gore Vidal (1925-2012), romancier, auteur dramatique et acteur américain

L’homme n’est pas né d’hier

C’est le programme minium de l’été.

Alors, on rediffuse : 

L’homme date des temps les plus anciens.
Les manuscrits du Moyen Age mentionnent déjà son existence. Sur des images à fond doré. Ils le représentent chassant le loup, le canard, ou même la sarcelle, en culotte rouge et en petit chapeau vert décoré d’une plume de poulet. Ou alors entouré de licornes. Et aussi mangé par des lions. Ou pliant le genou devant une dame. Ou attaquant des châteaux forts sur des lacs suisses, avec une petite culotte bouffante, des manches gigots, des piques très compliquées, des pertuisanes dont le fer a l’air d’une lettre arabe, des canons, des boulets en pierre, sur des radeaux que les assiégés repoussent du pied en brandissant des couteaux de cuisine.

Alexandre Vialatte

Intelligence ? Artificielle ou magique ? 

(…) À la question « Les IA vont-elles un jour pouvoir expliquer comment elles prennent leurs décisions ? », les technologues répondent que cela n’arrivera jamais, que les modèles se révéleront fiables, dignes de confiance et qu’il faudra s’en contenter.
Comme le Dieu de Kirkegaard, l’IA ne peut être pensée en termes purement rationnels. Le seul moyen d’entrer en relation avec elle est de faire un acte de foi. Sa grande promesse est de prévoir, même si on ne comprend pas. Les technologues ne voient pas où est le problème. Puisqu’ils ne s’intéressent ni à l’histoire ni à la philosophie, ils ne se rendent pas compte que leur proposition équivaut à un retour à l’époque d’avant les Lumières, à un monde magique, incompréhensible, régi par l’IA que l’on priera comme les dieux de l’Antiquité. 

Giuliano da Empoli – L’heure des prédateurs – 2025

Vous devriez vraiment le lire, ce livre…

Ultime check-list

Henry Kissinger, Prix Nobel de la Paix 1973, a été Secrétaire d’État sous les Présidents Richard Nixon et Gerald Ford.  Dans son dernier livre, Le temps des prédateurs, Giuliano da Empoli écrit à son propos : 

 « Du rôle de conseiller, il connaissait intimement les jouissances et la frustration. C’est comme être « dans la position d’un homme assis à côté d’un conducteur qui se dirige vers un précipice et à qui l’on demande de s’assurer que le réservoir d’essence est plein et que la pression des pneus est adéquate », a-t-il dit un jour. »

We now have a situation…

Dans les milieux bien informés (dont vous faites bien entendu partie grâce à votre lecture quotidienne du Journal des Coutheillas), on a beaucoup dit que l’issue des dernières élections présidentielles américaines était moins le résultat d’une progression Républicaine que d’un déclin Démocrate.
Sans pour autant négliger la puissance de la coalition de la bêtise et de l’argent, je suis plutôt d’accord pour dire, avec le « on » bien informé cité ci-dessus,  que les Démocrates sont responsables du cuisant échec dont nous n’avons pas fini de subir les conséquences. La bonne conscience qu’ils se sont donnés par leur tolérance vis à vis du Wokisme, le choix précipité de Kamala Harris comme candidate, la maladresse arrogante dont leur campagne a fait preuve, son échec malgré les colossales quantités d’argent qui y ont été Continuer la lecture de We now have a situation…

Bonnes nouvelles

« La nouvelle se porte bien1 ; elle est en train d’échapper aux périls où le roman est exposé (occupation du terrain par les écrivains philosophes, dissociation du moi, effondrement du sujet, après celui de l’objet)2. La nouvelle tient bon, grâce à sa densité. Elle garde un public vrai, celui qui ne demande pas un livre de lui servir d’aliment (un écrivain n’est pas un restaurant). Il n’y a pas de quoi se nourrir dans une nouvelle, c’est un os. Pas de place pour la méditation, pour un système de pensée. On peut tout mettre dans une nouvelle, même le désespoir le plus profond, mais pas la philosophie du désespoir. Les personnages sont cernés, gelés dans leur caractère ; ils n’ont pas le temps de tomber malade, de mourir de la maladie du roman contemporain. La nouvelle opère à chaud, le roman, à froid. La nouvelle est une nacelle trop exiguë pour embarquer l’Homme : un révolté, oui, la révolte, non. »
Paul Morand – Ouvert la nuit -Préface à l’édition de 1957

Ouvert la nuit, publié en 1921, est le deuxième recueil de nouvelles de Paul Morand (1888-1976).  Morand fut un diplomate écrivain, beaucoup plus écrivain que diplomate, antisémite, dandy, ambassadeur sous Vichy, beaucoup plus dandy qu’ambassadeur,  à ma connaissance ni condamné ni même jugé pour collaboration, mais exilé Continuer la lecture de Bonnes nouvelles