Archives par mot-clé : Philippe

La planche et les deux canards, fable luxembourgeoise

Rediffusion

Bonjour !

Il est 8h49 et, ce matin, mon bureau, c’est la Fontaine Médicis du Jardin du Luxembourg. C’est assez rare que je vienne m’installer en cet endroit, souvent humide et froid. Mais en cette matinée du 14 juin, à cette heure, la température est idéale pour écrire une fable. Vous allez voir.
J’aime bien cette eau en pente qui semble glisser vers Polyphème surprenant Galatée dans les bras d’Acis. Ce matin, l’eau de la fontaine est noire, un effet de l’éclairage sans doute, et mis à part les imperceptibles ondes concentriques qui entourent trois canards endormis, elle est sans ride. Et la fable ? J’y viens.

Contrairement aux canards de Sologne dont on sait qu’ils s’envolent à l’aube par-dessus les ajoncs dans le soleil levant, le canard parisien n’est pas matinal. Ils sont trois à flotter comme des épaves, comme ça, le bec sous l’aile. Ils dorment. Hésitante, une planche remonte lentement à la surface. D’où vient-elle ? Que faisait-elle au fond ? Pourquoi a-t-elle décidé Continuer la lecture de La planche et les deux canards, fable luxembourgeoise

Carnet d’Écriture (1) : Cher auteur

— Cher auteur,
Vous avez écrit des milliers de pages, des centaines de chroniques, des dizaines de nouvelles, une demi-douzaine de romans dont trois ont été achevés. L’ensemble de votre œuvre dénote une diversité d’inspiration, de genres et de styles rarement rencontrée, passant sans dommage de la comédie au drame, de la critique de la société à l’analyse du comportement individuel, de la réalité à la fiction, du romantisme le plus exacerbée au réalisme le plus cru sans oublier vos passages par l’absurde, de la relation du passé à la prévision du futur, j’en passe, et non pas ‘’des meilleurs’’, comme le disent trop souvent les journalistes adeptes des syntagmes figés et maladroits, mais j’en passe et des tout aussi bons.
Alors, cher auteur, pourriez-vous expliquer à votre lectorat subjugué comment vous viennent toutes les idées qui sous-tendent vos textes, comment vous les couchez sur le papier, comment vous les faites éditer, et toute cette sorte de choses mystérieuses que nous Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (1) : Cher auteur

Go West ! (108)

(…) Je me suis laissé tomber, assis sur le lit. Elle s’est assise à côté de moi et nous sommes restés un moment comme ça, moi, la tête entre les mains, elle, me caressant le dos. Et puis elle m’a poussé doucement sur le côté jusqu’à ce que je m’allonge ; je n’ai pas résisté et, tout de suite, je me suis couché en chien de fusil, ramassé sur moi-même ; elle en a fait autant, son corps collé au mien, imbriqué. J’ai dû m’endormir avant elle.

Les derniers jours qui me restaient à vivre avec Patricia, seize exactement, d’abord à Washington puis, pour finir, à New-York, ne se sont pas passés comme je l’avais espéré. Et pourtant, tous ces jours, toutes les nuits qui les ont suivies, nous les avons vécus côte à côte, tous les deux, dans la même maison ou dans la même chambre d’hôtel, sans que personne ne nous dérange ni même ne nous observe. Nous avons dormi ensemble, nous avons pris des petits déjeuners ensemble, nous sommes allés au cinéma et au théâtre, nous avons pris l’avion ensemble, roulé en voiture, pris le métro, visité des musées et des grands magasins, flâné dans des rues et dans des jardins… Presque tout ce qu’on doit faire ou voir à Washington et à New-York, nous l’avons fait, nous l’avons vu. Pendant ces quelques jours, notre vie a ressemblé à celle d’un couple en vacances. C’était un peu comme si, Patricia et moi, nous étions en voyage de noces. Seize jours dont je n’aurais jamais osé rêver. Mais le cœur n’y était pas… pas vraiment.

Au retour de la baie de Chesapeake, quand nous étions arrivés devant sa maison, je n’avais pas la moindre idée de ce que Patricia allait faire. La fin de la nuit avait été difficile tant pour elle que pour moi et, depuis que nous avions quitté le Candlewood Motel, nous n’avions pas échangé trois mots. Rester Continuer la lecture de Go West ! (108)

Un truc pour écrire

Rediffusion

Ne vous y trompez pas, ce que je vous propose, ce n’est pas un stylo, mais une méthode. C’est bien mieux et c’est moins cher.

 Ecrire n’est pas facile en général, surtout quand on est équipé d’un peu de sens critique, car, la plupart du temps, il vous conseillera de passer votre production au broyeur. Mais le plus souvent, c’est une méthode qui manque au débutant et la lecture de ce qui suit pourrait lui faire gagner un peu de temps. Celle que je préconise est celle du « Je me souviens« , éprouvée dès 1970 par Joe Brainard dans son recueil « I remember« , puis par Georges Perec en 1978 avec son « Je me souviens ».  Voici ce que j’en disais il y a quelques années :

Le Je me souviens est exercice d’écriture courant. Il consiste à dresser une suite de bribes de souvenirs dont chacune commence par les mots Je me souviens. Ces bribes reflètent des souvenirs personnels propres à leur auteur en même temps qu’elles évoquent une époque. C’est un exercice que je recommande chaudement à ceux que titille une vague envie d’écrire. Quitte à raconter quelque chose, autant commencer par ce qu’on croit connaitre : sa vie. Voici la méthode : Continuer la lecture de Un truc pour écrire

De la démocratie… 

Attention, ça va faire mal...
La démocratie est la dictature de l’ignorance.
On ne doit pas élever au rang de citoyens tous les individus dont l’État a cependant nécessairement besoin.
La dictature, c’est ferme ta gueule. La démocratie, c’est cause toujours.
A la nomination d’une petite minorité corrompue, la démocratie substitue l’élection par une masse incompétente.
Tout le rêve de la démocratie est d’élever le peuple prolétaire au niveau de la bêtise du bourgeois.
Une démocratie n’est rien de plus que la loi de la foule, suivant laquelle 51% des gens peuvent confisquer les droits des 49 autres.
Le meilleur argument contre la démocratie est un entretien de cinq minutes avec un électeur moyen.
La démocratie, c’est le pouvoir pour les poux de manger les lions.
La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres. 

Vous serez peut-être surpris que je reproduise dans le JdC cette suite d’aphorismes négatifs sur la démocratie. Pourtant, ils ont tous été prononcés par des hommes honorables. Parmi eux, pas de Néron, pas de dictateur, pas d’autocrate, pas de ploutocrate ni même d’oligarque. À part les deux premiers, dont vous aurez certainement deviné de qui ils étaient (ben voyons !), et qui expriment sans détour la véritable pensée de leur auteur, les autres doivent être considérés comme des traits d’esprit, des boutades ou des critiques ironiques destinées de façon évidente à mettre en valeur la notion même de démocratie.

Ces jours-ci, on n’en fait plus grand cas, de la démocratie. Elle a disparu ou est en voie de disparition effective dans des pays qui, autrefois, en ont été les initiateurs, les adeptes et les prosélytes.
Chez nous, elle existe encore et c’est une des seules choses qui nous restent, après que la puissance et la santé économique aient disparus. Elle existe encore, mais son socle de supporters devient chaque jour plus étroit, en particulier, et c’est sans doute le plus grave, chez les personnes les plus jeunes. On en trouvera pour preuve tous les sondages que l’on veut, assortis de toutes les justifications du type  « on a tout essayé sauf… », la « nécessité d’un bon coup de balai », le « désir d’homme fort » et autres rengaines populistes du type « y-a-qu’à – faut-qu’on ».

Il ne faut pas jouer avec la démocratie ni rigoler avec l’extrémisme, et surtout ne pas vouloir l’essayer, car si vous l’essayez, vous verrez, vous n’en reviendrez pas.

En attendant, si vous voulez savoir quels sont les auteurs des aphorismes ci-dessus, il va vous falloir ouvrir le commentaire ci-dessous.

Go West ! (107)

(…) tu m’écrivais que tu viendrais chez moi, que nous serions ensemble… Là, j’aurais dû t’en dissuader ; j’aurais dû te dire non, tu ne peux pas venir parce que mes parents… parce que mon travail… parce que…, mais je n’ai pas eu ce courage. J’essayais vaguement de te le faire comprendre… j’étais moins tendre dans mes lettres, je les faisais plus brèves, je mettais plus de temps à répondre aux tiennes, et à chaque occasion, j’élevais de nouveaux obstacles à ta venue chez moi. Mais je ne te disais pas « Ne viens pas ! Tu vas te faire du mal, tu m’aimes trop et je ne t’aime pas assez, il faut que tu m’oublies, ne viens pas ! ». Et puis, en même temps, je pensais « Eh bien, qu’il vienne après tout, puisqu’il y tient tant ! On verra bien !»

Mais ce n’est pas vrai, ce qu’elle raconte ! Ce n’est pas vrai ! Elle m’attendait, elle voulait que je vienne… Pendant tout ce temps, elle m’a fait croire que… et ce n’était pas vrai ?

« Et puis un jour, c’était la fin du mois de mai et je venais de recevoir ta lettre qui me disait quand tu allais arriver. Ce jour-là, j’ai vu John dans la rue. Tout de suite, je suis entrée dans un magasin pour me cacher, mais quand il a dépassé la vitrine, je suis sortie et j’ai commencé à le suivre. Je me demandais pourquoi je faisais ça, c’était idiot, il ne fallait pas… mais je le suivais. Je l’ai suivi jusqu’à ce qu’il se retourne brusquement pour appeler un taxi. Il m’a vue, il a hésité une seconde. Il avait l’air bouleversé. Il est venu vers moi, mais je lui ai fait signe que non, que je ne voulais pas… Alors, il a souri tristement, il a haussé les épaules et il est monté dans son taxi. Je l’ai regardé s’éloigner. Il ne s’est pas retourné, il ne m’a pas fait de signe. Je me sentais vide, épuisée, mon cœur battait à cent à l’heure, mais j’étais fière de moi : au moins, j’avais résisté à cette tentation…
Mais le lendemain matin, j’ai appelé son cabinet en me faisant passer pour une de mes amies. Il y avait un rendez-vous de libre en fin d’après-midi. Je l’ai pris… Continuer la lecture de Go West ! (107)

Et à part ça, Madame la Marquise ? 

Vous vous êtes sans doute étonné de ce que, depuis plusieurs semaines, je me suis appliqué, non sans quelque regret, une sévère autocensure sur tout ce qui concerne la Nouvelle Amérique.
Vous aurez peut-être noté également que la personne de la Maire de Paris ne remplit plus mes colonnes d’amertume et d’ironie. En tout cas, beaucoup moins, car à quoi bon continuer à tirer sur une ambulance municipale ? 

Par contre, vous n’aurez pas été sans remarquer une certaine agitation dans le JdC, articles et commentaires, dès qu’il s’agit de la politique nationale, et plus particulièrement quand c’est le Parti Socialiste qui fait l’actualité.
Par exemple tenez, encore aujourd’hui, (ou hier ou demain, c’est pareil) : le PS, devenu Continuer la lecture de Et à part ça, Madame la Marquise ? 

La cour de Petra

Vous voyez ce petit coin de Luxembourg sur la photo ? Pendant quelques années, vers la fin des années 50, au début des 60, ce fut notre coin, à nous, notre territoire.

Ce n’est pas que personne d’autre n’avait le droit d’y venir.  Combien de fois n’y suis-je pas arrivé, déçu de voir que la place était occupée par des intrus, des gens de passage, des inconnus ? Mais, sans que nous n’y ayons jamais exercé notre droit de préemption, ce coin était à nous.

Nous, c’était Continuer la lecture de La cour de Petra

Go West ! (106)

(…) Et puis, à Paris, tu es revenu me chercher… notre déjeuner, notre balade, ta joie de me retrouver, ta fierté de me montrer ta ville… et toujours, cette gentillesse maladroite, cette délicatesse, ce respect même… c’était émouvant. D’un seul coup, sur la petite place, j’ai décidé tout envoyer promener, j’ai décidé de tomber amoureuse.  Et je t’ai amené par la main jusqu’à ma chambre d’hôtel… Tu as dû me prendre pour une fille facile… »

Sa respiration s’était accélérée. Elle s’est tue un instant. Moi, je pensais que ce n’était pas très flatteur d’être considéré comme un enfant, mais au moins, elle le disait : elle était tombée amoureuse.
— Moi aussi je t’aime, Patricia. Comment aurais-je pu te prendre pour une fille facile ?

Ça y était, je l’avais dit, le mot gênant, le mot interdit, définitif, celui qui change tout, ou qui casse tout, je l’avais dit, ce je t’aime redoutable. Mais comment ne pas le dire à une fille dont on rêve depuis des mois, pour qui on a traversé l’Atlantique et les États-Unis ? Comment ne pas le dire quand il est minuit, qu’on est couché dans le même lit, à côté d’elle, dans une chambre au bord de la mer et que c’est elle qui vient de vous dire la première qu’elle vous aimait ? Parce qu’elle l’avait dit, ou tout comme. Alors on dit « Moi aussi je t’aime ».
Mais Patricia n’a pas relevé. C’était comme si je n’avais rien dit. Elle a allumé sa lampe de chevet et après un long silence, elle s’est remise à parler.

« Maintenant, il faut que tu saches Continuer la lecture de Go West ! (106)