Archives mensuelles : février 2018

La campagne – Post it n°20

Aujourd’hui, quelques jours après la Toussaint, le Jardin du Luxembourg est à son meilleur. Le soleil est radieux, l’air est purifié par un petit vent irrégulier et les nuages laissent une large place au ciel bleu. Il y a une dizaine de minutes, je me suis assis face au Sud. Les pieds bien posés sur la petite rampe métallique qui court au ras du sol le long de la pelouse en demi-lune, à peine renversé dans mon fauteuil de métal, les avant-bras appuyés sur les accoudoirs, j’ai ouvert le livre que l’on vient de m’offrir : « Les leçons du Vertige ». De temps en temps, je lève les yeux du bouquin et je vois le parterre de fleurs, l’herbe tondue, et plus loin les arbres et, au-dessus de leurs cimes vertes et jaunes, les nuages qui passent sans se presser du haut de la tour Montparnasse au dôme de l’Observatoire. Pas d’autre bruit que celui des conversations tranquilles des promeneurs qui passent derrière moi, des pieds des enfants qui raclent le sol et des ailes des pigeons qui m’effleurent. Le soleil me chauffe amicalement le visage.

Un couple s’est approché. Il s’est dirigé vers les deux fauteuils qui sont demeurés libres à ma droite. L’homme a la cinquantaine. Il est habillé d’un pantalon de flanelle grise, d’une veste de velours noir et d’un large Borsalino marron. Une longue écharpe rouge entoure son cou une fois et pend jusqu’à ses genoux. La femme qui l’accompagne est jeune, vingt ans peut-être, tout habillée de noir. L’homme au chapeau a choisi le fauteuil le plus proche, l’a déplacé un peu, puis s’est assis.

En quelques ondulations du corps, il s’est installé confortablement. Il a croisé une jambe sur l’autre et il a regardé autour de lui. Il a vu les fleurs, l’herbe, la cime des arbres, les nuages qui couraient entre la tour Montparnasse et l’Observatoire. Il a fermé les yeux, il a respiré profondément et il a dit:

—Ah ! Ce que j’aime la campagne…

Princesse palatine : 6- Les noyés de Suède

Si vous ne savez plus très bien qui était la princesse palatine (1) , reportez-vous à la note de bas de page. Sinon, lisez directement cet extrait de sa correspondance.

11 septembre 1721
Paris

En Suède, on prétend que les noyés ne sont pas réellement morts ; lorsqu’on en retire de l’eau, on les met dans une barrique, dans une chambre bien chauffée, et on roule la barrique en tous sens jusqu’à ce que le noyé ait rendu, par haut et par bas, toute l’eau qui est entrée dans son corps. Quand il s’en est délivré et qu’il a été réchauffé, il revient à lui ; mais il faut qu’aucun de ses parents ne se trouve parmi les assistants, autrement il ne peut guérir. Si un de ses parents vient à entrer dans la chambre, le sang coule par le nez, les oreilles et la bouche du patient. Des personnes qui ont vu tout cela me l’ont assuré.

Note
Lorsqu’elle arrive d’Allemagne à la Cour de Louis XIV en 1672 en tant qu’épouse du frère du Roi, Elisabeth-Charlotte du Palatinat a 20 ans. Par son mariage, cette princesse palatine devient Madame, duchesse d’Orléans. Voici le portrait qu’en faisait Saint-Simon :
« Madame tenait beaucoup plus de l’homme que de la femme ; elle était forte, courageuse, Allemande au dernier point, franche, droite, bonne, bienfaisante, noble et grande en toutes ses manières ; petite au dernier point sur tout ce qui regardait ce qui lui était dû : elle était sauvage, toujours enfermée à écrire, dure, rude, se prenant aisément d’aversion ; nulle complaisance, nul tour dans l’esprit, quoiqu’elle ne manquât pas d’esprit ; la figure et le rustre d’un Suisse; capable avec cela, d’une amitié tendre et inviolable. »

 

ET DEMAIN, LA CAMPAGNE ? J’ADORE !

Dernière heure : Samedi, 11 heures, rue de Médicis

Dernière heure : 10 février 2018

Samedi, 11 heures : descendu tout à l’heure la rue de Médicis, vous savez, cette rue qui longe les grilles Luxembourg depuis la place Edmond Rostand jusqu’au théâtre de l’Odéon.
Le jardin avait ouvert ses portes mais les badauds, prudents, n’avaient pas encore défloré la neige des allées, des pelouses, des arbres et des bancs.
Le soleil brillait et comme il n’y avait pas d’exposition placardée sur les grilles, de la rue, on pouvait voir à travers elles, à travers les branches, au-dessus des pelouses, des allées et des bancs, des pans entiers du palais de Marie de Médicis, à demi caché par les grands pins et le frontispice de la fontaine où Polyphème surprend éternellement Galatée dans les bras de son amant.
C’était beau, c’était lumineux, c’était gai.
Dans la rue, les passants s’écoulaient lentement le long du muret sur le sable du trottoir, tout à leur prudence et à leur contemplation de ce rare tableau, ce jardin sous la neige.
Venez voir, vous aussi.
Profitez de la météo de demain, car il devrait faire beau ou presque.
Profitez de la neige, car tout n’aura pas fondu et, avec un peu de chance, il se pourrait même qu’il neige encore un peu cette nuit.
Profitez surtout de l’absence de panneaux accrochés aux grilles, mais dépêchez-vous avant que l’on ne nous inflige encore une fois ces photographies dont chacune, telle l’arbre proverbial, nous cache la forêt.
Venez voir.

 

ET DEMAIN, LE MEILLEUR MOMENT, C’EST QUAND ON MONTE L’ESCALIER

Ah ! Les belles boutiques – 26

La Brasserie de l’isle Saint-Louis
55 quai de Bourbon Paris 4°

J’ai dû y aller pour la première fois en 1960 et j’y retourne régulièrement depuis. La terrasse avec vue, que je ne fréquente jamais, le joli bar avec sa superbe machine à café, la salle sombre et désuète avec ses tables alignées façon cantine, ses nappes en papier, ses massacres de cerfs et de sangliers d’un autre âge, ses fresques alsaciennes, rien n’a changé. Quand j’y entre, j’ai l’impression de revenir en 1960, ou même sept ans plus tôt, en 1953, quand la brasserie a été reprise par la famille qui la dirige toujours. Je ne suis pas certain qu’en soixante-cinq ans, les peintures aient été refaites une seule fois. Je suis même persuadé du contraire.
Ce n’est pas la meilleure brasserie de Paris, ni même la meilleure choucroute, mais elle y est tout à fait acceptable, de même que le service qui loin, très loin, d’être obséquieux, est lui aussi acceptable et même parfois agréable.

La série « Ah ! les belles boutiques »
L’objectif : rendre hommage aux commerçants qui réussissent à conserver l’aspect traditionnel de leur façade de magasin, et les encourager à persévérer.
Le contenu : une photo de la devanture d’un magasin, avec si possible l’adresse et, très éventuellement, un commentaire sur la boutique, ou son histoire, ou son contenu, ou sur l’idée que s’en fait le JdC.

ET DEMAIN, UN CERTAIN POINT DE VUE

Une amitié furieuse

Une lettre de Gustave Flaubert à Ernest Chevalier

Rouen, 23 ocotbre 1841

Qu’as-tu donc mon vieil Ernest ? Es-tu malade, mort, enterré, pourri ? Attends-tu pour venir que ton brûle-gueule soit fini, que ton petit verre soit pris ? finis-les et arrive nom de Dieu ou je te !…

sed placuit…*

Quel sacré nom de Dieu de bougre de mâtin de mille foutre couillon de nom d’un pet tu fais ! Comment, sacré mâtin, je t’attends depuis une semaine et tu n’arrives pas, tu ne réponds même pas. Ah ah ah c’est plus fort que moi, je ne me tiens pas, qu’on m’attache, qu’on m’enchaîne, qu’on me passe le caleçon de force, le gilet de force, la culotte de force, les bottes de force, le collier de force. Oh je m’attendais à te voir arriver, je te voyais déjà à côté de Jean vous langottant tous deux. J’apercevais ta balle, nous prenions de l’absinthe au café Rouennais et personne, personne. Je suis un lion, un tigre — tigre d’Inde, boa constrictor !

Il faut que tu sois ici lundi et bien vite, à la place où j’écris maintenant, à fumer, à te rôtir les jambes, et à causer avec ton serviteur et ami.

Mme Mignit revenue de Forges est tout étonnée que tu n’arrives pas.

Néo s’en mord la queue d’impatience. Mes pipes se dessèchent d’ennui.

Les latrines elles-mêmes trouvent qu’il y a longtemps que tu ne leur as pas donné de ta merde.

Ton feu se tord de ne plus être ensalivé par toi.

Et mes pincettes sentent le besoin d’être maniée par tes mains pour que tu m’ennuies avec à tripoter mes tisons.

Et l’auteur grille d’envie de te donner une poignée de main.

 

Note *
Flaubert fait référence à un vers de l’Enéïde  :
Quos ego — sed motos praestat componere fluctus.
imité par Racine dans Athalie :
Je devrais sur l’autel où ta main sacrifie
Te…mais du prix qu’on m’offre il faut me contenter

Que voulez-vous, on est entre lettrés.

ET DEMAIN, ON DÉJEUNE À LA BRASSERIE SAINT LOUIS

J’en ai marre ! – Critique aisée n°11

J’en ai marre !

La conversation est sans conteste l’une des activités qui distinguent le mieux l’homme de l’animal. Qui plus est, c’est aussi l’exercice qui permet de distinguer l’homme distingué de l’homme tout court. Nos ancêtres, tout au moins ceux d’entre eux qui, depuis Platon jusqu’au baron de Charlus, se trouvaient en haut de leur panier, avaient poussé l’art de converser vers des sommets qui, contemplés aujourd’hui depuis nos marécages embrumés, paraissent bien inaccessibles.
S’il existe plusieurs catégories de conversations, chacune d’entre elles, quand elle est honorablement pratiquée, peut présenter de l’intérêt. On distingue habituellement:

—les propos anodins ou, comme disent les anglais, small talks, les petites conversations, sur le temps qu’il fait, l’augmentation du prix des fruits et légumes ou l’ingratitude des enfants,
—le dialogue, qui est un échange de propos sensés, d’égal à égal, du moins pour le temps de l’exercice,
—la conférence, forme élaborée du soliloque, et sa forme plus modeste, la causerie qui, malheureusement, consistent la plupart du temps à asséner des banalités à des gens qui sont peut-être venus pour ça, mais pas toujours de leur plein gré,
le conciliabule, qui réunit au moins deux personnes pour se mettre d’accord par la discussion sur un Continuer la lecture de J’en ai marre ! – Critique aisée n°11

Une journée d’Ivan Denissovitch – Critique aisée n°116

4 minutes

Critique aisée 116

Une journée d’Ivan Denissovitch
Alexandre Soljénitsyne   –  1962

Une journée d’Ivan Denissovitch fait partie des grands chocs littéraires de ma vie. La liste n’en est pas très longue, une demi-douzaine de titres peut-être : Les Bienveillantes, The thin red line, Qui a peur de Virginia Woolf ?, L’Iliade, …. Me connaissant un peu, vous serez surpris que des chefs d’œuvre comme Madame Bovary, La recherche du temps perdu, L’Attrape-Cœur et quelques autres n’y figurent pas. Comprenez-moi bien, quand je dis « choc littéraire », j’entends ces bouquins qui vous laissent pantois, épuisé, effaré, révolté. Pas les chefs d’œuvre qui vous laissent charmé, rêveur, admiratif, enthousiasmé. Pas ceux-là, non ; mais ceux qui vous flanquent un coup de poing dans le plexus.

Ce livre d’Alexandre Soljénitsyne a paru en URSS en 1962 pendant l’ère Kroutchevienne. A l’époque, la censure l’avait autorisé car elle n’y avait vu qu’une critique de la période stalinienne et non Continuer la lecture de Une journée d’Ivan Denissovitch – Critique aisée n°116

Dernière heure : En 1968, il n’y a pas eu que le mois de mai

Dernière heure : En 1968, il n’y a pas eu que le mois de mai

Il y a exactement 50 ans, en Février 1968, se déroulaient les Jeux Olympiques d’Hiver de Grenoble, un moment de gloire jamais égalé depuis pour le ski alpin français.

 

Jean-Claude Killy
Médaille d’Or en Slalom spécial
Médaille d’Or en Slalom géant
Médaille d’Or en Descente

Marielle Goitschel
Médaille d’Or en Descente

Guy Périllat
Médaille d’Argent en Descente

Isabelle Mir
Médaille d’Argent en Descente

Annie Famose
Médaille d’Argent en Slalom géant
Médaille de Bronze en Slalom spécial

Ces gens- là avaient alors à peine plus de vingt ans. Ils en ont aujourd’hui entre 68 et 76 . Comme moi.

Dans le Figaro de ce matin, une très belle interview de Jean-Claude Killy.

ET DEMAIN, UNE BELLE JOURNEE DANS LA NEIGE : CELLE D’IVAN DENISSOVITCH